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AGRICULTURE URBAINE – Les jardins ouvriers font de la résistance à Varsovie

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 9 septembre 2015

 

Ce sont de petits enclos de verdure en plein c?ur de la ville, qui sentent bon les fleurs et les vacances. Une fois franchie la porte des jardins ouvriers, le bruit de la ville s'estompe pour laisser place aux chants des oiseaux et au frémissement du vent. Mais ces jardins à l'histoire séculière sont enviés, jalousés. Situés sur des emplacements clés, ils attirent les convoitises des promoteurs immobiliers. Alors que l'urbanisation galope à Varsovie, les jardins ouvriers résisteront-ils encore et toujours à l'envahisseur ? Et que se cache-t-il derrière ces mystérieux paradis urbains ? Enquête.

 

© Marie-Jeanne Delepaul

Retour vers le futur

Les jardins ouvriers, c'est avant tout une histoire qui remonte à plus d'un siècle. Si on trouve quelques jardins précurseurs dès le XIXème siècle, c'est à Varsovie en 1903 que le premier du genre naît véritablement. Ils ont ensuite poussé comme des champignons, au rythme de l'urbanisation galopante du début du XXème siècle : il y en avait 19 en 1919, et déjà 606 en 1939. Leur fonction principale était la production de fruits et légumes. Après la Seconde Guerre mondiale, dans une Pologne dévastée, le besoin de développer ces jardins est vite apparu nécessaire : ils étaient souvent la seule source d'approvisionnement en produits frais dans les villes. En 1949, une loi a été votée pour faciliter leur expansion. On comptait déjà 1.500 jardins, divisés en 120.000 parcelles, et couvrant 6.500 hectares.

En 1981, la création de la Polski Zwi?zek Dzia?kowców (PZD), littéralement «Fédération polonaise des jardins ouvriers», permet d'augmenter la taille des jardins de moitié en neuf ans. Les statistiques de l'époque rapportent qu'en 1987, 700.000 tonnes de fruits et légumes, 3.500 tonnes de viande de poulet et lapin et quelques centaines de tonnes de miel y ont été produites, permettant, en ces années de crise économique, d'assurer l'alimentation voire la survie d'un grand nombre de familles.

Depuis la chute du communisme, le rôle dévolu aux jardins ouvriers a évolué : ce ne sont désormais plus tant des lieux de production alimentaire que des espaces de relaxation et de détente. Les locataires de parcelles ne sont d'ailleurs pas les seuls à profiter de ces espaces verts : vrais havres de paix au c?ur de la ville, ils sont aussi un lieu de promenade très apprécié des riverains. « Ce sont des jardins ouverts » insiste la PZD.

Les jardiniers ne sont que les usufruitiers de la terre, qui appartient à l'Etat

On dénombre aujourd'hui en Pologne 4.929 jardins ouvriers, divisés en près d'un million de parcelles, et couvrant 43.350 hectares. A Varsovie, ces chiffres sont respectivement de 162, 30.000 et 1.200. On estime à près de quatre millions les personnes bénéficiant de ces jardins dans tout le pays. La terre est propriété de l'Etat ou de la commune, les jardiniers n'en sont que les locataires. En revanche, ils sont propriétaires de tout ce qui se trouve sur leur parcelle: arbres, plantes, constructions diverses?  Mais aujourd'hui à Varsovie, aucun nouveau jardin n'est créé. Pour en faire l'acquisition, il suffit donc d'acheter ces biens à l'ancien locataire, la terre étant quant à elle cédée gratuitement, pour une durée indéterminée. « Les jardins ouvriers ont un statut de jardins permanents, explique la PZD. Cela signifie qu'ils ne peuvent être liquidés qu'en cas de nécessité publique, pour construire une route par exemple. Dans ce cas, les locataires et l'association qui gère les jardins reçoivent une compensation, et les jardins détruits sont reconstruits ailleurs. »

© www.catherinedetorquat.com

Les jardins ouvriers menacés de disparition

En 2012, un débat public houleux a secoué la Pologne. Le fonctionnement monopolistique de la PZD a été mis en cause par la Cour constitutionnelle polonaise, et l'existence même des jardins était menacée. Une pression populaire a poussé le Sejm (le Parlement polonais) à adopter l'année suivante une loi assurant la protection des locataires desdits jardins. La loi a également cassé le monopole de la PZD, en permettant la liberté d'association et la pluralité des organisations en charge des jardins ouvriers. Lors d'un vote, la grande majorité des jardiniers (95%) a exprimé sa volonté de rester affiliée à la PZD, alors que les 5% restants ont décidé de former leurs propres associations. « Nous avons passé avec succès le test de la démocratie » se félicitent les dirigeants de la PZD.

Des jardins jalousés

Véritables oasis de verdure coincées entre les immeubles, les jardins ouvriers sont souvent convoités par les promoteurs immobiliers. « Environ trois quarts des jardins ouvriers sont situés en plein c?ur des villes. Or, les villes ont besoin de s'étendre pour se développer, et la croissance des centres urbains est une tendance de fond » explique Emil Domeracki, qui travaille à Colliers International, une grande société spécialisée dans l'immobilier. A proximité des grandes routes, des transports en commun et des centres commerciaux, ils occupent un emplacement stratégique. Les jardins sont donc menacés par le grignotage urbain, et l'appétit sans fin des investisseurs. Mais les Polonais sont très attachés à ces paradis verts ? qu'ils soient d'ailleurs locataires ou non de ces jardins - et les municipalités ont également compris l'enjeu de leur conservation. A la mairie de Varsovie, on assure par exemple que « ces jardins sont les poumons de la ville et nous voulons qu'ils restent un espace vert public. Lorsque nous travaillons sur des plans de développement, nous essayons de les préserver. » Les associations écologiques vantent également les bénéfices de ces espaces pour la préservation de la biodiversité et la qualité de l'air.

Mais ces affirmations n'empêchent pas certains de grincer des dents, dénonçant notamment l'illégalité de certaines parcelles. Les locataires des jardins ont en effet le droit de construire une maisonnette sur leur terrain pour entreposer leur matériel, d'une taille maximale de 35 m² et 5 mètres de haut. Cependant, déplore la société immobilière Colliers International, « ce n'est pas rare de trouver sur les terrains de véritables maisons, parfois avec étages, vérandas et garages ! ». Cette « situation de non-droit » est l'un des arguments des pourfendeurs des jardins ouvriers. Les dérives existent en effet : alors que c'est strictement interdit par la loi, certains utilisent aussi leurs parcelles comme résidence principale, voire la louent l'été à des particuliers. « Le problème est réel, et malheureusement on ne peut pas surveiller tout le monde » regrette la PZD.

Petits coins de campagne à la ville, les jardins ouvriers renferment donc des secrets bien gardés. Jalousés et critiqués ? parfois à juste titre - ils demeurent un élément essentiel du paysage urbain. On y croise personnes âgées venues tailler leurs rosiers, jeunes parents promenant leurs enfants et joggeurs profitant de l'air pur pour recharger leurs batteries, à l'abri du tumulte de la ville.

Marie-Jeanne Delepaul (lepetitjournal.com/Varsovie) ? Mercredi 9 septembre 2015

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Publié le 8 septembre 2015, mis à jour le 9 septembre 2015
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