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LES STONES AU PKIN: la nuit où la décadence envahit Varsovie

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Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 20 février 2018, mis à jour le 18 février 2021

Un demi-siècle après, ils seront toujours là pour faire parler la poudre. A en croire les plus folles rumeurs, les Rolling Stones compteraient réchauffer les planches varsoviennes, onze ans après leur second passage dans la capitale. Mais ne nous-y trompons pas : bien au-delà du show de 2007, l’histoire liant l’inoxydable groupe anglais à Varsovie est celle du coup de foudre de la première rencontre, en 1967. Le genre de coup de foudre tellement intense qu’il a fait dresser les poils et briller les yeux de milliers d’anciens jeunes polonais, racontant leur nuit du 13 avril 1967, déformant leurs récits avec des histoires improbables, transformant l’Histoire en Légende. Et si on dépoussiérait tout ça ? 

 

Les Bad Boys au pays de la dépression

 

12 avril 1967. A bord de leur avion, les Rolling Stones ressentent une sorte de mal de l’air, comme un avant-goût d’une tension annoncée. En dessous de leurs pieds se dresse la majestueuse Varsovie, une première pour eux. Une première également pour les Polonais, et le monde communiste dans son entier, qui n’ont jusqu’alors jamais reçu la visite d’un groupe occidental. La bande de Mick Jagger devait d’ailleurs se produire initialement à Moscou, mais les autorités soviétiques ont tout de suite refusé, y voyant de possibles émeutes d’une jeunesse attirée par la décadence occidentale. Qu’importe, les Stones ont jeté leur dévolu sur Varsovie, première ville communiste à se frotter au Rock’n Roll teigneux de l’Occident.

 

Et teigneux, le mot est faible. Alors empêtrés dans des affaires judiciaires de consommation de  drogues variées, les artistes, un peu au ralenti en terme de créativité, se réconfortent dans des tournées toujours plus loufoques. Mick Jagger et Brian Jones électrocutés par leurs instruments à Odense en 1965, Keith Richard bastonné à l’aéroport du Bourget, et les sempiternelles histoires de coeur de Brian Jones ont achevé de ternir la réputation des vilains Stones.

 

Il devient dès lors assez aisé de comprendre l’attente gigantesque que procure la venue des Rolling Stones chez les jeunes Polonais, arrivés en masse de tout le pays pour assister au spectacle. L’enthousiasme n’est évidemment pas partagé par le pouvoir polonais, qui répond en mobilisant toutes ses ressources pour éviter l’émancipation d’un « mouvement jeune ». Le journal d’Etat Sztandar Młodych n’aura ainsi  que deux lignes bien sobres à accorder au plus grand groupe de rock de tous les temps : « Le groupe londonien des Rolling Stones a atterri ce 12 avril à Varsovie. Les membres du groupe ont reçu des fleurs de la part de jeunes femmes qui les attendaient à l’aéroport d’Okecie. »

 

Pas de quoi rendre le sourire aux Stones, déprimés par le paysage qui s’offre à eux. « Varsovie était grise et plate à en devenir dépressif », raconte Bill Wyman, le bassiste du groupe. « Sur le chemin de notre hôtel, qui était, semblait-il, le meilleur de la ville, nous avons noté que les rues paraissaient étrangement silencieuses, sinistres. » Des chambres sans télévision et aux radios hors d’usage y attendent les jeunes hommes. Bill a même le plaisir d’avoir une chambre de forme triangulaire, dont l’énorme pilier central empêche presque l’accès à la salle de bains. Comble de l’horreur, les frais de l’hôtel sont finalement tout juste couverts par les recettes de la bande de Bill, qui parle assez cyniquement de « show de charité ». Ce qui ne suffit pas à faire oublier aux Stones l’humour innocent propre à leur jeunesse. Surveillés par une police qui n’a de « secrète » que le nom, les rockeurs sont interdits de sortir sans permission : qu’à cela ne tienne, ils trouvent un autre moyen de se divertir. « L’hôtel était bardé de policiers. Dès que nous croisions leur regard, ils se planquaient derrière des murs et des piliers », se souvient Bill en plaisantant.

 

« Icantgetno », van géant et Glasnost

 

Le lendemain, 17h30. Vient le temps de la représentation, celle que certains redoutent tandis que les autres prient y assister. Car, ce que ne savent pas les Stones, c’est que « certains », dignitaires du pays, ont  décidé de se réserver les places aux premiers rangs, tandis que les « autres », les jeunes Polonais, n’ont même pas eu accès au précieux sésame du billet de concert, jamais mis en vente au grand public. Le monopole de la violence légitime a lancé le casus belli dont la rébellion, tout autant légitime, s’empressera de répondre.

 

A l’intérieur, les centaines de fans déchaînés prennent progressivement possession du plus grand symbole communiste du pays, à grands coups de reins et de « headbangs » version sixties. Alors que les dernières notes endiablées de « Goin’ Home » résonnent dans les travées brûlantes du PKiN, le public semble brailler des palabres polonaises totalement incompréhensibles pour les Rolling Stones. Après un moment de flottement, le groupe comprend enfin que les Varsoviens réclament le hit remuant « Satisfaction », à coups de « Icantgetno » plus bruyants que bien prononcés.

 

 

A l’extérieur, le désordre est encore pire. Mais cette fois, les jeunes Polonais n’y sont pour rien. Pour répondre aux milliers de  curieux sans places, qui s’étaient massés devant les portes du Palais de la culture, la police n’ rien trouvé de mieux à faire que d’appeler en renfort la force armée, à cheval avec des mitraillettes. Médusés devant la présence de véhicules armés et la violence des militaires, les Rolling Stones décident d’abandonner leur passivité innocente.

 

« Cette répression, c’était pire que tout ce que nous avions vu, pire, même, que l’émeute soulevée à Blackpool lorsque nous nous y étions produits, en 1964. Nous avons décidé, nous aussi, de nous soulever contre cette autorité, à notre manière, raconte Bill. Nous nous sommes arrangés pour obtenir un grand van à vitres, que nous avons chargé de tous les EPs et singles que nous avions sur nous avant de partir. Nous roulions dans la ville, et freinions à l’approche de jeunes pour leur lancer des disques. Nous ne sommes rentrés à l’hôtel que lorsque nous n’en avions plus aucun. » Peut-être moins évocateur que la légende, très certainement infondée, de l’histoire du wagon de vodkas en guise de royalties, cet épisode a le mérite de lancer durablement la scène rock polonaise, tout en mythifiant la légende des Stones en Pologne.

 

« Je voulais que les gosses de là-bas aient une chance de nous écouter », commentera Mick pour Melody Maker, une semaine plus tard. « Je ne vois pas pourquoi une moitié de l’Europe devrait être laissée de côté. » Le Glasnost attendra ; les premiers à ouvrir la Pologne à la culture occidentale, ce sont bien les Stones. Et rien que pour cela, les Varsoviens espèrent un retour de leurs anciens héros.

 

Hervé Lemeunier des Graviers (lepetitjournal.com/Varsovie) – Mardi 20 février 2018

 

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Publié le 20 février 2018, mis à jour le 18 février 2021