

Le festival Kinopolska se tient actuellement à Paris. La semaine dernière la France honorait également deux grandes actrices polonaises en leur remettant l'Ordre des Arts et des Lettres. Le Cinéma polonais est habitué aux récompenses internationales. Mais ce succès d'estime ne s'accompagne malheureusement pas d'une réussite commerciale. Et malgré un bon accueil de la critique, la sortie, mercredi dernier, de Rewers en France ne risque pas de changer la donne.
Loin devant la littérature ou la musique, au niveau mondial, le cinéma reste le porte-étendard de la culture contemporaine polonaise. La jeune scène polonaise est particulièrement dynamique et cherche à se faire connaitre.
Le festial du film polonais à Paris
Kinopolska veut présenter cette génération de jeunes réalisateurs au public français. Le festival illustre aussi la diversité du cinéma polonais en montrant des films de fiction, des documentaires, des films d'animation et des courts métrages réalisés par des cinéastes débutants. Les rencontres avec les réalisateurs et les interprètes s'accompagneront de dégustation de produits de la cuisine polonaise.
Pour cette 3ème édition, Kinopolska rend hommage au 30ème anniversaire du syndicat Solidarno??. Le festival se termine le 30 novembre à Paris mais parcourra ensuite toute la France pendant trois mois avec des haltes à Reims, Lyon, Lille, Strasbourg, Nantes et Toulouse.
Tribulations d'une amoureuse sous Staline
Kinopolska coïncide aussi avec la sortie en France de Rewers, le premier long-métrage de fiction de Borys Lankosz. Le film a connu un grand succès critique et commercial en Pologne : plus de 330.000 spectateurs, sept prix au festival du cinéma polonais de Gdynia, le Grand prix du festival international de Varsovie et une sélection comme candidat polonais dans la course à l'Oscar 2010 du meilleur film étranger.
Cette fable, rebaptisée Tribulations d'une amoureuse sous Staline, présente d'une manière tragi-comique les déboires d'une famille composée de 3 femmes seules, mais pleines de ressources face au régime stalinien. Le film est un mélange original de suspens et d'humour filmé dans un noir et blanc très maniériste et rythmé par le jazz de W?odek Pawlik.
Pendant ce temps, à l'Ambassade de France en Pologne
Krystyna Janda, l'une des actrices principales des Tribulations d'une amoureuse sous Staline, a justement été faite Officier des Arts et des Lettres le 22 novembre. Cet Ordre récompense les personnes qui se sont distinguées dans le domaine artistique ou par leur contribution au rayonnement des Arts et des Lettres. Krystyna Janda avait connu la gloire internationale en incarnant l'étudiante de l'Homme de marbre et de l'Homme de fer d'Andrzej Wajda, symbole du combat d'un peuple pour la liberté.
Maja Komorowska a, quant à elle, été faite Commandeur de l'Ordre des Arts et des Lettres, au nom du Ministre de la Culture et de la Communication. L'Ambassadeur a salué son engagement patriotique et sa carrière aux côtés des plus grands metteurs en scène du théâtre et du cinéma polonais.
La cinématographie polonaise est reconnue depuis longtemps comme l'une des plus intéressantes et novatrices en Europe. 150 récompenses ont été attribuées à ses films entre 1945 et 1981. Ensuite, pour n'en citer que quelques un, Andrzej Wajda reçoit en 81 une Palme d'Or à Cannes pour L'homme de marbre, Krzysztof Zanussi obtient en 84 un Lion d'Or à Venise pour L'année du soleil tranquille, Krystyna Janda (encore elle) gagne la Palme d'Or en 1991 pour son rôle dans le film L'interrogatoire de Ryszard Bugajski. Des Lions d'Or aussi pour Bleu de Krzysztof Kie?lowski et pour Roman Pola?ski en 1993, pour Andrzej Wajda en 1998 et enfin une Palme d'Or pour le Pianiste de Pola?ski en 2002.
Les Oscars ont aussi récompensé Roman Pola?ski pour la mise en scène du Pianiste, Andrzej Wajda pour la totalité de son oeuvre en 1999, ou encore Janusz Kami?ski pour la photographie de La liste de Schindler, Allan Starski et Ewa Braun pour leur scénographie (1994).
Les raisons d'un succès
La culture cinématographique polonaise s'est forgée et sublimée dans l'adversité. Confrontés à la censure du régime communiste, les réalisateurs polonais ont continué la tradition de résistance culturelle des élites polonaises du XIXième siècle. Ce faisant leurs oeuvres ont acquis une stature symbolique quasi mythique, dépassant leur portée esthétique. Récompenser un film tourné pendant les années 80 est aussi une façon pour l'Ouest de célèbrer l'engagement des Polonais pour la liberté.
Les deux caractéristiques de ce cinéma sont sa grande politisation et son point de vue artistique, très ambitieux. Il a su instaurer un dialogue avec un large public en dénonçant l'actualité politique de façon voilée. C'est aussi un cinéma d'auteur, en quête perpétuelle de nouveaux moyens d'expression, capables de rivaliser avec la littérature, et abordant de face les problèmes existentiels et philosophiques les plus importants.
C'est de cette époque que datent les deux plus grands courants de l'histoire du cinéma polonais: "l'école polonaise de cinéma" des années 1956-1961 et "le cinéma de l'inquiétude morale" des années 1975-1981. La qualitié des enseigenements de l'Ecole Nationale de Cinéma de ?ód?, qui existe depuis plus de 50 ans et le dynamisme du nouvel Institut du Film Polonais (créé en 2005) sont aussi deux clés importantes dans la réussite actuelle du cinéma polonais.
La raison marchande remplace la censure communiste
Après 89, la chute du communisme et l'importance que prit la télévision dans le traitement de la vie publique ont, dans un premier temps, fragilisé le cinéma polonais. ?La réalisation de films n'est plus alors une mission patriotique. Les producteurs mettent l'accent sur le divertissement à des fins commerciales, et les films se vident en partie de leur contenu artistique et politique. Un grand nombre de cinémas sont aussi vendus par les collectivités locales et remplacés par des magasins.
Un cinéma d'auteur dynamique qui ne rencontre pas son public...
Andrzej Wajda déclarait en févier dans le JDD : "Le problème c'est le public et non les créateurs. Nous pourrions faire des films comme ceux d'autrefois mais, tel est notre malheur, le public n'a plus besoin de cela. Ils vivent dans une autre vie, ils considèrent le cinéma comme un divertissement car ils ont de l'argent. Avant, la place coûtait l'équivalent de trois boîtes d'allumettes. C'était un prix abordable pour ceux qui n'acceptent pas la réalité, et qui vont au cinéma parce qu'ils s'attendent à ce qu'on parle de leurs problèmes à l'écran. Si le billet est cher, ne peuvent venir au cinéma que ceux qui ont de l'argent? Et ils n'ont pas envie d'entendre parler des difficultés. Ils veulent se distraire, s'amuser."
... malgré une fréquentation des cinémas polonais en forte hausse (+16%)
Avec moins de 40 millions de tickets vendus en 2009 (contre 200 millions en France), les entrées des salles de cinéma polonaises restent faibles. Ce résultat est le meilleur depuis 1989, mais reste inférieur aux fréquentations des années communistes. Comme ses voisins Baltes ou Tchèques, un polonais ne va en moyenne qu'une fois par an au cinéma. Le premier film polonais de 2009 Kochaj i ta?cz, n'occupe que la 4e place du classement. La part de marché des films nationaux est en effet en baisse : seulement 21,5% (derrière la République Tchèque : 27,4%, mais devant la Lituanie : 0,1 %).
Les Polonais vont donc peu au cinéma et, quand ils y vont, préfèrent voir des films américains. D'ailleurs, la minorité qui opte pour un film polonais choisit souvent des films inspirés par le cinéma hollywoodien, généralement des comédies romantiques (Lejdis par exemple et ses 2.5 millions entrées en 2008). Le fossé entre les grands succès commerciaux et les ?uvres aux ambitions artistiques est donc immense. La Palme d'Or cannoise 4 mois, 3 semaines et 2 jours du Roumain Cristian Mungiu n'a ainsi réuni que 26.000 cinéphiles en Pologne (contre plus de 350.000 en France).
Nous l'avons vu, les films d'auteurs polonais brillent dans les festivals internationaux, mais ne se portent pas bien en Pologne. Ils ont un autre souci : ils s'exportent encore plus mal.
Le cinéma polonais a un lien particulier avec la France, ses 3 grands réalisateurs de la fin du XXième siècle (le franco-polonais Pola?ski, Kie?lowski et, dans une moindre mesure Andrzej Wajda) sont tous trois extrêmement proches de la France. Mais si le cinéma polonais est estimé par les cinéphiles francais, ces films ne sortent généralement pas en France et le peu qui sont diffusés ne rencontrent pas de réussite commerciale.
Le Pianiste, Bleu, Blanc et Rouge ou même la Liste de Schindler sont des co-productions, notamment polonaises, qui ont attiré le public. Mais les films financés majoritairement par la Pologne n'ont jamais rencontré un semblant de succès, et ne dépassent que très rarement les 20.000 entrées. Même Katy?, la super production d'Andrzej Wajda qui a attiré plus de 3 millions de spectateurs en Pologne, n'est sorti à Paris que dans 3 petites salles, au milieu d'une grande indifférence. Il n'a même pas fait mieux que Sztuczki (Un conte d'été polonais), dernier film d'auteur polonais à avoir rencontré un certain public.
Et ce ne seront pas les Tribulations d'une amoureuse sous Staline qui risquent de changer la donne, malgré l'accueil positif de la critique. Le film n'est diffusé que dans 7 salles en France... contre 1009 pour Harry Potter...
CQ (www.lepetitjournal.com/varsovie.html) lundi 29 novembre 2010
Infos Pratiques
- Kinopolska, jusqu'au 30 novembre au Cinéma Le Reflet Médicis (puis à Reims, Lyon, Lille, Strasbourg, Nantes et Toulouse).
3, rue Champollion, 75005 Paris
01 43 54 42 34
www.kinopolska.fr
Chaque soirée s'accompagne de la dégustation de produits de la cuisine polonaise. ??Prix des billets : 6,5 euros, ?Tarif réduit : 5 euros, ?Tarif scolaire : 3 euros, ?Le passe : 20 euros, entrée libre à toutes les séances
- un très bon site sur la culture polonaise à Paris
- l'article de Rzeczpospolita, traduit par le Courrier International sur Rewers/les Tribulations d'une amoureuse sous Staline
- l'article des Inrocks sur Kinopolska
- un document très détaillé sur l'histoire du cinéma polonais
- une présentation complète de la jeune garde du cinéma polonais (2004)







