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RENCONTRE – La cuisine française naît dans les restaurants, la cuisine italienne dans les familles

Écrit par Lepetitjournal Turin
Publié le 29 février 2012, mis à jour le 15 novembre 2012

Alessandro Felis, expert gastronomique et grand connaisseur de vins italiens et français, nous guide dans l'univers riche et varié des cuisines française et italienne. Un voyage envoûtant au c?ur des traditions de ces deux cultures gastronomiques si proches et pourtant si différentes

 

lepetitjournal.com - Vous avez un parcours personnel et professionnel transfrontalier, à cheval entre la France et l'Italie. Comment vivez-vous cette double identité et dans quelle mesure a-t-elle déterminé vos choix ?

Alessandro Felis
- Je considère que mon parcours transfrontalier est un atout formidable : depuis ma petite enfance, j'ai eu la chance de "respirer" les deux cultures gastronomiques qui sont, selon moi, les plus importantes au monde. Je suis né à Cannes dans une famille italienne. Après mon Bac de français, j'ai décidé de m'inscrire à la faculté de sciences agronomiques à Turin. A l'époque, je m'interrogeais encore sur mon avenir professionnel, mais le vieil adage de mon père résonnait à mes oreilles : "Les gens auront toujours besoin de manger"? En fait, j'ai trouvé ma voie : l'enseignement d'abord, mais aussi et surtout mon travail dans le domaine de l'?nologie et de la gastronomie. Depuis 1997, je suis responsable de la section italienne (Piémont et Ligurie) du Guide Gantié, le guide gastronomique de la Provence et de la Côte d'Azur. J'ai également deux rubriques sur La Stampa : Bianco e nero et Tavola con vista.

La France et l'Italie, donc. Mais en cuisine de quel côté penche votre c?ur ?
J'avoue qu'à chaque fois que je traverse la frontière, et cela dans les deux sens, ma voiture est toujours chargée de produits typiques ! En tant que critique gastronomique, je dirais qu'en France, ce qui me fascine le plus, c'est avant tout le respect du client. Le service est souvent  impeccable, la disposition des mets aussi. Et pas seulement dans les restaurants étoilés. Même dans les bistrots, de petits détails peuvent faire la différence.

Et qu'aimez-vous de l'Italie ?
La variété régionale, cela ne fait aucun doute. L'Italie, tout comme la France, a des plats nationaux, mais ici l'identité régionale est bien plus marquée, il y a une tradition de restauration familiale qui s'est progressivement perdue dans l'Hexagone. Je répète souvent que la grande cuisine française naît dans les restaurants -elle est plus élaborée et elle est faite par des professionnels-, tandis que la grande cuisine italienne naît dans les familles. C'est la cuisine des mamme et des nonne, qui utilisent les produits du terroir avec des préparations plus simples qui font davantage ressortir le goût du produit. Prenons les régions viticoles du Piémont, les Langhe et le Monferrato, qui connaissent aujourd'hui un véritable essor. Ici, les grands chefs proposent ce que l'on pourrait appeler "la cuisine du peuple", mais dans un cadre raffiné. Et le flambeau est repris d'une génération à l'autre, c'est une histoire de famille. Un exemple parmi tant d'autres, la Trattoria della posta à Monforte d'Alba.

Alessandro Felis est le responsable "Piémont et Ligurie" du guide gastronomique Gantié : "J'aime dénicher les bonnes adresses. Chez les restaurateurs, je cherche surtout la passion et ce petit plus qui mérite d'être signalé. J'écris principalement pour  un public français : un cadre qui a du charme, une cuisine franche ou gastronomique proposée dans un type d'établissement que l'on ne trouve pas facilement en France, et des solutions adaptées aux différents portefeuilles, voici ce qui compte à mes yeux".

 

Alessandro Felis est aussi le président de l'association Sac à poche

Est-il alors possible de parler d'une cuisine nationale dans un pays comme l'Italie qui vient de fêter les 150 ans de son unification?
La différence avec la cuisine française ? avec ses règles et ses paramètres- est évidente, et elle s'explique aussi pour des raisons historiques. En Italie, il faudra attendre le Risorgimento pour assister à une petite révolution dans ce sens, quand Giovanni Vialardi ? chef de cuisine et pâtissier de la maison de Savoie - essaya de donner une identité italienne à la cuisine de la cour, très influencée par la cuisine française, et plus en général à celle de la Péninsule. Un autre nom à retenir est celui de Pellegrino Artusi, qui codifia toute la richesse de la cuisine italienne dans son célèbre livre de recettes. Il en arriva à bannir tous les termes français? qui ont bien résisté malgré tout, notamment dans le Piémont. Prenons la viande de fassone (une race piémontaise sélectionnée à la cour des Savoie) : dans ce mot, nous retrouvons l'expression française "animal bien façonné". De même, manger des batsoa (pieds de porc bouillis et panés) procure apparemment la même sensation qu'enfiler un "bas de soie".

Très récemment, on a proposé d'introduire en Italie une taxe sur la junk food. D'après vous, c'est une mesure efficace pour influencer les comportements alimentaires?
Je pense qu'il faudrait plutôt renforcer les programmes de sensibilisation et d'éducation nutritionnelle dans les établissements scolaires, où il faudrait mettre l'accent notamment sur cette "culture de la quantité" qui est encore très répandue dans la Péninsule. En période de crise, l'éducation alimentaire est un sujet sensible et une taxe sur la junk food n'est certainement pas la solution, il faut dire aussi qu'en Italie une pizza ou une assiette de spaghettis représentent des solutions à la portée de toutes les poches. Sans oublier que les marques de distributeurs montrent qu'il est possible de conjuguer une certaine qualité et un prix correct, là encore c'est le modèle français qui fait école.

Quel futur nous attend : une cuisine "Km 0" ou plutôt une cuisine multi-ethnique qui mélange saveurs et savoir-faire ?
Les restaurants qui utilisent des produits "Km 0" sont très à la mode aujourd'hui. S'agit-il d'une réponse à la crise ou plutôt d'un retour à la valorisation des produits locaux dans le respect de l'alternance des saisons ? En ce qui me concerne, je suis pour une cuisine qui aide à promouvoir les produits du terroir, sans pour autant oublier la grande richesse des autres cultures gastronomiques. Pour cette raison, j'aime aussi la cuisine fusion, pourvu qu'elle ne soit pas uniquement de façade. Très récemment j'ai goûté du sushi à la saucisse de Bra, un vrai délice ! Je doute par contre qu'il y aura un jour une bagna caoda à la japonaise?
Luisa Gerini (www.lepetitjournal.com/Turin) mercredi 29 février 2012

Publié le 29 février 2012, mis à jour le 15 novembre 2012

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