

La ville d'Alba et l'Italie tout entière rendent aujourd'hui un dernier hommage à Michele Ferrero, décédé samedi dernier à l'âge de 89 ans des suites d'une maladie. Travailleur infatigable capable d'intuitions géniales, c'est lui qui est à l'origine du Nutella et des produits Kinder, de Mon chéri et de Tic tac, c'est encore lui qui a guidé l'essor international du groupe, tout en incarnant le modèle paternaliste du capitalisme familial made in Italy.
La page d'accueil du site du groupe : "Nous sommes fiers de toi. Merci Michele"
Drapeaux en berne et écoles fermées aujourd'hui, à Alba, dans la région piémontaise des Langhe. La ville tout entière est en deuil : à 11h00 les obsèques de Michele Ferrero, décédé à l'âge de 89 ans à Monaco des suites d'une maladie, seront célébrées par l'évêque du diocèse dans la cathédrale de Saint-Laurent. Tout comme en 2011 après la mort de Pietro, le fils aîné du patriarche, qui avait succombé à 47 ans seulement d'une crise cardiaque en Afrique du Sud, les habitants seront aux côtés de la famille Ferrero. Il est difficile de mesurer l'intensité du désarroi et de la commotion que l'on respire à Alba ces jours-ci si l'on ne connaît pas la force du lien tissé au fil des ans entre le signor Michele et ses employés. Et si dans la région la retenue et la discrétion, qui vont toujours de pair avec un caractère bien trempé, sont de mise, l'émotion est forte. Car même si le groupe a connu un essor international spectaculaire et que nous parlons aujourd'hui d'une multinationale présente dans une cinquantaine de pays dans le monde, il n'en reste pas moins que la société incarne à la perfection le modèle social paternaliste de capitalisme familial très attaché au terroir dans lequel il prend ses racines. Un modèle, il faut le reconnaître, dans lequel elle a puisé sa force sous la conduite ferme et sûre de Michele Ferrero.
Lavorare, creare, donare
Travailleur infatigable et doté d'un flair infaillible pour comprendre les nouvelles tendances du marché, en les devançant souvent grâce à ses intuitions géniales, il a bâti son existence autour des trois mots qui forment la devise du groupe : "lavorare, creare, donare (travailler, créer, donner)". Travailler, d'abord, en prêtant une attention presque maniaque à la qualité et en participant activement à la phase d'élaboration des nouveautés qu'il tenait à tester personnellement. Créer aussi, sans jamais oublier de se mettre au diapason avec "madama Valeria" (il parlait souvent en patois), comme il avait rebaptisé la femme au foyer type : c'est à elle qu'il s'adressait en lançant les produits Kinder, plus de lait moins de cacao, un argument très convaincant pour une mère de plus en plus attentive à l'alimentation de ses enfants. Et donner, ensuite, un principe solidement ancré dans la tradition catholique de la famille. Une politique sociale favorisant l'épanouissement des employés, une fondation pour accompagner les retraités sans oublier des projets sociaux réalisés dans le monde entier : voilà un modèle qui explique la fidélité des salariés et leur attachement inconditionnel aux valeurs du groupe.
Le capitalisme familial italien à un tournant ?
C'est avec un sentiment profond de nostalgie pour la fin d'une époque, quelque peu teinté d'inquiétude concernant l'avenir que Carlo Petrini, le fondateur de Slow Food, s'est exprimé lors d'une interview pour le quotidien La Stampa : "L'ADN de Ferrero, une entreprise familiale multinationale, est le fleuron de cette région. Dans d'autres situations, il y aurait eu une diversification, des fonds d'investissements. Ici, au contraire, du chocolat, rien que du chocolat." Et il a renchéri : "Ferrero c'est l'usine qui respecte la campagne, ce sont les paysans-ouvriers auxquels on laissait le temps nécessaire pour faire les vendanges ou la moisson." Cette ouverture et ce respect profond du territoire ont donné des fruits qui sont sous les yeux de tous, d'autant plus que parmi les intuitions de Michele Ferrero figurait aussi la volonté de valoriser le potentiel agricole de la région comme les noisettes des Langhe. Alors qu'une page se tourne avec la disparition du patriarche, l'avenir de Ferrero reste solidement ancré entre les mains de son fils cadet Giovanni. Aujourd'hui l'usine principale ainsi que le laboratoire de recherche sont toujours dans le Piémont, mais l'optimisation fiscale a poussé le groupe à déplacer le siège social au Luxembourg, tout comme beaucoup d'autres multinationales européennes. Ce modèle de capitalisme familial pour une multinationale qui a toujours refusé d'être coté en bourse, pourra-t-il continuer à exister au XXIe siècle, à l'ère de la globalisation ?
Luisa Gerini (www.lepetitjournal.com/Turin) mercredi 18 février 2015






