Édition internationale

JEAN-CHRISTOPHE RUFIN – Jacques Cœur : portrait d’un homme libre

Écrit par Lepetitjournal Turin
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 12 mars 2013

Le 6 mars dernier, pour le dernier temps fort du Festival de la Fiction française organisé par l'ambassade de France en Italie en collaboration avec l'Alliance française de Turin, Jean-Christophe Rufin a rencontré le public turinois à l'occasion de la traduction italienne de son roman "Le grand C?ur". Nous l'avons rencontré quelques heures avant la conférence qui s'est tenue au cercle des lecteurs, devant une salle comble. Une rencontre caractérisée par la finesse, la simplicité et l'humour d'un homme qui, à l'instar de son héros, a su suivre ses rêves.

(photo C. Hélie, Gallimard 2012-02) 

Jean-Christophe Rufin et le Festival de la Fiction française
On ne présente plus Jean-Christophe Rufin. "Médecin nomade" engagé dans l'humanitaire, grand voyageur, diplomate ? il a été ambassadeur de France au Sénégal de 2007 à 2010, homme de lettres? Autant de catégories qui ne permettent pas pour autant de le classer ni de cerner une personnalité et un parcours hors du commun. Ces expériences peuvent sembler quelque peu disparates ; elles sont cependant reliées par un fil conducteur : "J'ai été élevé par mon grand-père. Il était médecin. C'était un homme d'un autre siècle. Un homme engagé : pour lui, la médecine était un art, un humanisme. C'est ce qui m'a poussé à embrasser la carrière de médecin, mais j'y ai trouvé une science, pas un art. Heureusement, me direz-vous... J'ai retrouvé la dimension de l'engagement avec Médecins sans frontières, il ne me manquait plus que la littérature. C'est lors d'une mission à Recife, au Brésil, où j'étais conseiller culturel, que j'ai trouvé du temps pour écrire." Après Philippe Claudel, Amin Maalouf et Mathias Enard, les "rencontres d'auteur" organisées par l'Alliance française de Turin se terminent donc avec un hôte d'exception. En revenant sur ce Festival de la Fiction française, on se rend d'ailleurs compte que trois des auteurs que Turin a eu la chance d'accueillir sont des écrivains "du dehors" : Amin Maalouf en raison de ses origines, Mathias Enard et Jean-Christophe Rufin par choix. Un choix qui n'est pas anodin car "aujourd'hui, la culture française ne peut vivre que si elle se confronte avec le monde extérieur. Sa raison d'être, c'est l'ouverture sur le monde." 


Le grand C?ur et ses rêves
Traduire, trahir ? D'emblée, avec le titre du roman de Jean-Christophe Rufin, on est confronté à une difficulté de taille. Le grand C?ur, Jacques C?ur, ce riche marchand de Bourges qui a connu la fin de la Guerre de Cent ans et dont la vie a représenté une véritable charnière entre le Moyen-Age et le monde moderne, est devenu L'uomo dei sogni. Un titre particulièrement bien choisi : "Le jeu de mots était difficile à rendre en italien. Sans parler de l'allusion au Grand Meaulnes, une ?uvre très présente dans le Berry, qui n'aurait pas été saisie par un public italien. En revanche, Jacques C?ur est bien L'uomo dei sogni, un homme qui avait des rêves. Une vision. Sa valeur n'est pas dans sa réussite, sinon il ne s'agirait que d'un simple homme d'affaires. Elle réside dans ses rêves, dans son imagination et dans sa capacité à créer son propre monde. Ce sont ces gens-là qui transforment le monde car ils voient au-delà de la réalité. Héros puissant et positif, sa vie est une aventure permanente."
Pour retracer le parcours de ce visionnaire, Jean-Christophe Rufin a choisi d'utiliser un récit à la première personne. "J'ai pensé à Marguerite Yourcenar et à ses Mémoires d'Hadrien avant d'écrire mon roman. Je voulais moi aussi écrire l'histoire d'une conscience, dresser le portrait d'une âme et c'est la forme qui s'y prête le mieux puisqu'elle permet d'abolir les distances." Au cours du roman, Jacques C?ur revient donc sur sa propre vie car "il écrit à la fin de sa vie, au moment où il va mourir. Il a donc une sorte de recul, celui du temps qui a passé et qui lui permet de juger sa vie avec sérénité, d'autant plus que c'est un homme qui a tout connu : l'anonymat, la gloire, la déchéance puis la renaissance."

Histoire ou roman ?

(photo Alliance française) 

La vie de l'homme se dessine donc sous la plume magistrale de Jean-Christophe Rufin : les trente premières années passées dans l'ombre, le voyage qui lui ouvre de nouveaux horizons, l'aventure commerciale, le succès et le soutien apporté au roi de France, la disgrâce, la prison, l'évasion rocambolesque et le début d'une nouvelle vie. N'allez pas pour autant penser qu'il s'agit d'un roman historique. N'y cherchez pas non plus, comme certains ont voulu le faire, une autobiographie. Car Jean-Christophe Rufin a beau avoir écrit dans la postface : "Je ne sais ce qu'il (Jacques C?ur, NDLR) penserait d'un tel portrait et sans doute me ressemble-t-il plus qu'à lui", on a beau trouver des parallélismes troublants entre la vie des deux hommes, l'auteur se rebelle devant toute tentative d'assimilation. Pour lui, le roman "est le fruit d'un savant mélange entre le monde, le personnage et l'auteur. La réalité romanesque dans laquelle l'auteur met un peu (beaucoup ?) de lui-même sous peine d'avoir une matière inerte" permet de combler les vides historiques. C'est là l'essence de la création littéraire.

Du pouvoir à la disgrâce
Au-delà de l'itinéraire d'un homme d'exception, le roman offre aussi une réflexion sur le pouvoir. On y voit Charles VII tisser sa toile pour créer un Etat moderne. "Il est répugnant, mais il fascine. C'est un grand roi mais il a poignardé dans le dos tous ceux qui l'ont aidé. Il suffit de penser à Jeanne d'Arc? Qui a dit que les grands rois devaient forcément être sympathiques ?" On y croise Agnès Sorel, la dame de Beauté, cette lumineuse créature prématurément disparue qui appartient à l'imaginaire collectif des Français. Au soir de sa vie, le rapport au pouvoir de Jacques C?ur est lucide, jamais désenchanté. Il peut s'exprimer en ces termes : "Quiconque n'a pas vécu l'épreuve de la disgrâce, du dénuement et de l'accusation ne peut prétendre connaitre véritablement la vie." Car "quand on est au faîte de la gloire et des honneurs, on vit dans un monde complètement faux, au milieu des flatteries et des jeux d'intérêts. C'est dans l'épreuve que se révèlent les amis véritables et que l'on est confronté à la vérité des êtres. Jacques C?ur a su créer un réseau d'amitié solide, c'est ce qui lui a permis de s'enfuir de la prison où une mort certaine l'attendait. Je l'imagine beaucoup plus heureux dans sa deuxième vie : il est enfin libre, il s'est évadé d'une autre prison, de la cage dorée à laquelle le succès et la réalisation de ses rêves l'avaient condamné." La fin est proche et le roman se termine sur ces mots : "Je peux mourir, car j'ai vécu. Et j'ai connu la liberté."
Christine Correale (www.lepetitjournal.com/Turin) mardi 12 mars 2013

Jean-Christophe Rufin de l'Académie française 

 Le grand Coeur (Gallimard) 

 L'Uomo dei sogni (E/O)

 

 

Publié le 12 mars 2013, mis à jour le 12 mars 2013
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