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Les halles de Tsukiji : Chronique d’une époque révolue

Il fut un temps où le marché de Tsukiji était l’endroit le plus effervescent de Tokyo et détenait le titre de plus grand marché de poissons dans le monde. Un marché vivant, chaotique, et pourtant parfaitement orchestré. C’était un lieu où le bruit des chariots se mêlait aux cris des marchands, où les carcasses de thons géants glissaient sous les scies à ruban dans une danse rituelle. Ce marché, vieux de plus de 80 ans, a fermé ses portes en 2018 pour être remplacé par le marché de Toyosu, moderne et aseptisé. Mais pour beaucoup, rien ne remplacera l’âme de Tsukiji.

Les halles de tsukiji par Bruno ChapironLes halles de tsukiji par Bruno Chapiron
Écrit par Bruno Chapiron
Publié le 18 septembre 2024, mis à jour le 23 septembre 2024

Un passé chargé d’histoire

Historiquement, cet énorme marché était situé à Nihonbashi, alimentant en poisson frais la ville d’Edo pendant près de 300 ans. Après le grand séisme de 1923, Tsukiji fut choisi pour accueillir le nouveau marché, qui, dès 1935, devint le centre névralgique de la distribution de produits marins au Japon. Pendant des décennies, Tsukiji s’est imposé comme le plus grand marché de poissons au monde.

 

Une nuit à Tsukiji : L’effervescence du marché

Dès minuit, le marché s’éveillait. Camions, triporteurs, chariots et livreurs se pressaient dans ses allées étroites, déchargeant près de 2.000 tonnes de poissons. Ce ballet chaotique d’apparence était en réalité un système parfaitement rodé, où chaque geste, chaque déplacement était millimétré.

Vers 03h30, les acheteurs passaient commande puis attendaient patiemment que les chariots motorisés transportent leurs précieux chargements vers les camions destinés à livrer les supermarchés.

L’effervescence montait d’un cran vers 04h00, lorsque les longues rangées de carcasses de thons congelés, posées à même le sol, dégageaient un brouillard glacé. Ces thons étaient alors présentés aux acheteurs. Seuls quelques grossistes étaient autorisés à acheter le poisson directement aux pêcheurs lors de la vente aux enchères.

Photo d’archive © B.Chapiron  – 1996, Halles de Tsukiji à Tokyo.
Photo d’archive © B.Chapiron – 1996, Halles de Tsukiji à Tokyo.

 

Le clou du spectacle : Les enchères de thons

05h00 – Le poids et la qualité des poissons étaient marqués à la peinture rouge directement sur les carcasses. Le rituel de l’inspection pouvait commencer. Les acheteurs inspectaient minutieusement les poissons, observant la couleur, la texture de la chair, et tâtant les corps à l’aide d’un pic en métal. Selon un rituel immuable, ils palpaient ensuite le poisson avec leurs mains avant de consigner soigneusement les informations dans un carnet.

À 05h30 précises, une cloche retentissait, signalant le début des enchères. Le commissaire, perché sur une estrade, lançait des appels incompréhensibles pour les non-initiés, tandis que les acheteurs répondaient par des signes subtils de la main. Le rythme était effréné : chaque thon était vendu en quelques secondes, parfois pour des millions de yens, dans une ambiance tendue mais exaltante.

 

Photo d’archive © B.Chapiron  – 1996, Halles de Tsukiji à Tokyo.
Photo d’archive © B.Chapiron – 1996, Halles de Tsukiji à Tokyo.

 
Photo d’archive © B.Chapiron  – 1996, Halles de Tsukiji à Tokyo.
Photo d’archive © B.Chapiron – 1996, Halles de Tsukiji à Tokyo.

 

Tsukiji n'était pas seulement un marché, c'était un spectacle, une expérience humaine et sensorielle qui marquait durablement ceux qui avaient la chance d’y assister.

L’activité de Tsukiji atteignait son paroxysme vers 06h30, lorsque les livreurs chargeaient les poissons sur des chariots en bois (des Karoko) et les portaient jusqu’à l’étal du grossiste acquéreur. Il fallait deux hommes pour soulever la carcasse d’un thon. C’est ainsi que les 65.000 personnes qui travaillaient dans et autour du marché de Tsukiji effectuaient leur va-et-vient incessant.

Vers 07h00, lorsque le reste du monde s’éveillait, les restaurateurs et les commerçants arpentaient les allées du marché pour remplir leurs paniers et faire leur choix parmi les 450 variétés de poissons en vente à Tsukiji.

 

Photo d’archive © B.Chapiron  – 1996, Halles de Tsukiji à Tokyo.
Photo d’archive © B.Chapiron – 1996, Halles de Tsukiji à Tokyo.

 

L’héritage de Tsukiji et la transition vers Toyosu

Cependant, malgré toute son effervescence et sa renommée, Tsukiji était devenu trop petit, trop exigu pour une ville comme Tokyo en constante expansion. Les rues étroites autour du marché rendaient l'accès des camions difficile, et les normes d'hygiène devenaient de plus en plus strictes. Après plus de dix ans de débats, la décision fut prise : le marché quitterait son emplacement historique pour un nouveau site, plus moderne, à Toyosu.

En 2018, Tsukiji ferma ses portes définitivement. Toyosu, avec ses infrastructures dernier cri, est désormais le principal marché aux poissons de Tokyo. Le nouveau marché est immense, propre, et ultra-moderne, mais il manque l’âme qui faisait l’essence de Tsukiji. Là où Tsukiji était chaotique, bruyant, vivant, Toyosu est lisse et ordonné. Le passage du temps et la nécessité de modernisation ont effacé l’esprit du vieux marché.

 

La nostalgie d’un lieu unique

Aujourd’hui, de nombreux Tokyoïtes et visiteurs gardent une profonde nostalgie de Tsukiji. Toyosu, bien qu’essentiel pour répondre aux exigences modernes, ne parvient pas à remplacer l’atmosphère de son prédécesseur. Tsukiji était plus qu’un marché, c’était un microcosme du vieux Tokyo, un endroit où l’ancien et le moderne cohabitaient, où chaque coin de rue racontait une histoire.

C’est avec cette nostalgie que nous nous souvenons de Tsukiji, un marché qui, bien que disparu, continue de vivre dans les mémoires de ceux qui l’ont arpenté, goûté et aimé.

 

Photo d’archive © B.Chapiron  – 1996, Halles de Tsukiji à Tokyo.
Photo d’archive © B.Chapiron – 1996, Halles de Tsukiji à Tokyo.
 
Photo d’archive © B.Chapiron  – 1996, Halles de Tsukiji à Tokyo.
Photo d’archive © B.Chapiron – 1996, Halles de Tsukiji à Tokyo.

 

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