L’Art Gallery of South Australia a ouvert une de ses plus grandes expositions, « Colours of Impressionism » en collaboration avec le Musée d’Orsay, propriétaire de la plus belle collection de peinture française de cette période.
Quelques semaines avant l’ouverture officielle de l’exposition, la bloggueuse Matilda Marseillaise eu l’occasion de faire la connaissance de Paul Perrin, conservateur et commissaire d’exposition du Musée D’Orsay.
Matilda Marseillaise : Pourquoi les impressionnistes sont-ils si importants ?
Paul Perrin : Je pense que les impressionnistes sont vraiment absolument décisifs et importants en ce qui concerne l’art moderne parce que ce sont eux qui ont été les premiers à décider de sortir des conventions de l’art de la peinture, d’explorer de nouvelles voies, d’aller plus loin dans leur exploration dans la couleur, dans la lumière, du temps, du mouvement. Donc je pense qu’ils ont été vraiment ceux qui ont eu cette volonté d’explorer quelque chose qui n’avait jamais été fait avant. Et puis je pense qu’en avançant, en recherchant, leur principal but a été de travailler la lumière – comment représenter la lumière, et comment représenter le changement de la lumière. Je pense qu’en faisant ça, petit à petit, ils ont ouvert l’art à quelque chose de peut-être plus abstrait qui a un sens indépendant de la peinture vis-à-vis des conventions traditionnelles de la représentation.
MM : D’où vient le nom impressionniste ?
PP : Le nom vient d’un tableau de Monet, «Impression, Soleil levant». Il est à Paris (pas au Musée D’Orsay, il est au Musée Marmottan). Ce tableau est très esquissé. C’est une vue du port du Havre avec le soleil qui se lève. Ce tableau a été exposé lors de la première exposition de groupe des futurs impressionnistes. Dans la presse, un critique s’est moqué de Monet et de son tableau en disant « mais vraiment impression soleil levant, ces peintures sont des impressionnistes, ce sont des impressions ». C’était vraiment péjoratif et négatif au départ. Et puis petit à petit, les peintres eux-mêmes vont réutiliser le mot parce que passé dans le langage courant.
MM : Tout comme le terme impressionniste était utilisé comme quelque chose de négatif, les peintures des impressionnistes n'étaient pas acceptées ni appréciées et même jugées vulgaires. Au moins, les impressionnistes ont fini par être acceptés alors qu'ils étaient encore en vie, contrairement à Van Gogh dont les œuvres n'ont été appréciées qu'après sa mort.
PP : C’est un peu diffèrent avec les impressionnistes parce qu’au début ils vont être régulièrement rejetés par le système académique officiel, par la critique et les amateurs, les visiteurs de l’époque mais progressivement, ils vont trouver des amis, des critiques, des collectionneurs qui vont les soutenir, qui vont acheter leurs peintures, des marchands qui vont vraiment investir. Il y a eu quelques personnes qui ont cru en eux et qui ont petit à petit créé un marché pour l’impressionnisme.
MM : Connait-on les noms des gens qui ont cru en eux ?
PP : Oui. Ils ne sont pas très connus aujourd’hui mais il y avait quelques amateurs. Un amateur qui s’appelle Choquet, qui est un personnage un peu excentrique, n’avait pas beaucoup d’argent mais adorait leurs peintures. C’est comme cela qu’il qui a commencé à acheter ces tableaux impressionnistes. C’est le marchand Durand-Ruel qui va vraiment commencer à acheter leurs peintures, les soutenir, à organiser des expositions, à soutenir le marché qui va avec. Donc en fait à partir des années 1890, ils deviennent vraiment populaires ; ils ont des amateurs partout dans le monde, notamment aux Etats Unis. A la fin de leurs vies, Renoir et Monet vivent très bien et sont assez riches et gagnent beaucoup d’argent avec leurs tableaux.
MM : Donc il y a 65 peintures ici pour l’exposition et le projet a pris 4 ans…
PP : Oui, ça fait 4 ans qu’on travaille sur ce projet.
MM : Comment avez-vous choisi les 65 peintures de l’exposition ?
PP : L'idée était vraiment de choisir les meilleures peintures qui pourraient raconter l'histoire de l'impressionnisme en couleur. Nous avons cherché les peintures les plus belles et les plus intéressantes de nos collections qui pourraient illustrer l'histoire de la couleur. C'est vraiment ainsi que nous avons organisé notre voyage. L'idée était d'avoir des chefs-d'œuvre, des œuvres très connues ainsi que des œuvres moins connues de notre collection. Donc, pour avoir un mélange des deux et aussi, parmi ceux qui ont alors tous les deux des artistes très connus - nous avons par exemple 10 toiles de Claude Monet, mais aussi des artistes que les gens ne connaissent pas forcément pour avoir de la variété.
MM : Comment avez-vous décidé de faire cette exposition sur le thème de la couleur ?
PP : En discutant avec ma collègue, l'autre commissaire de l'exposition, Marine Kisiel, nous nous sommes demandés comment nous pourrions raconter différemment l'histoire de l'impressionnisme, mais d'une manière simple, qui nous permettrait d'avoir un très beau fond d'écran. Ces peintures sont radieuses et belles. Ce qui nous intéressait c'était aussi la manière dont ces peintures étaient réalisées. Nous faisons partie d'une génération d'historiens d'art et de conservateurs - nos prédécesseurs ont beaucoup travaillé sur la question de l'iconographie (histoire sociale, culture, genre, toutes sortes de choses) - et nous ne regardons pas vraiment les matériaux. Les bases, comment ils l'ont fait, pourquoi ils utilisent telle ou telle couleur, comment ils mettent cette couleur à côté de celle-là, pourquoi nous intéressent... Nous avons donc décidé de revenir à quelque chose de basique, la couleur, et de voir si nous pouvions raconter une histoire différente.
MM : Souvent quand on voit une exposition c’est soit par artiste, soit par sujet – donc là, c’est vraiment différent de passer d’une pièce à une autre avec les couleurs qui changent.
PP : Il y a des salles dans lesquelles on a vraiment réussi à faire des ensembles très cohérents de couleur, le noir, le blanc, le vert, le bleu par exemple et des autres qui sont plus mélangées parce que finalement on arrive à la fin de la période et que ça part dans tous les sens. Donc du coup, on ne peut pas dire que tout est axé sur une couleur. En fait, ça part dans toutes les directions. A la fin c’est presque plus une sorte d’arc en ciel de couleur. C'est vrai que nous avons regardé un peu ce qui s’était déjà fait auparavant et que personne n'avait jamais fait une exposition impressionniste organisée par couleur.
MM : Après Adélaïde, l'exposition retournera à Paris ? Y a-t-il un intérêt à ce que l'exposition voyage ailleurs ?
PP : L'exposition a déjà eu lieu à Singapour avant de venir ici à Adélaïde et de repartir vers Paris.
MM : Les peintures que nous avons ici ont-elles remplacées par d'autres dans le musée d'Orsay lors de cette exposition?
PP : Oui, nous avons puisé dans nos réserves pour remplacer les peintures. Donc les gens à Paris auront également l'occasion de voir d'autres peintures - c'est l'occasion de montrer d'autres peintures. Il y a toujours des choses à voir au Musée d'Orsay.
MM : Quel est votre tableau préféré dans cette exposition?
PP : Difficile de répondre. C'est difficile de choisir. La Pie de Monet est celle que j'avais dans ma chambre quand j'étais petit. J’avais demandé à mes parents de m'acheter l'affiche après une visite au Musée d’Orsay. C'est donc un tableau que j'ai vu dans ma chambre très longtemps et qui m'a donné envie d'étudier l'histoire de l'art et de travailler dans un musée. Mais aujourd'hui, ce n'est pas forcément celle que je choisirais. J'aime vraiment Renoir maintenant. Mais je pense que La pie est l’œuvre avec laquelle j'ai une relation spéciale.
MM : Ces tableaux ont énormément de valeur, je n'ose même pas demander combien vous avez dû les assurer !
PP : Le budget assurance est très important. Le soutien du gouvernement a été nécessaire pour pouvoir assurer l'exposition. Ils sont venus en avion - tout le transport d'art est en avion ou en camion, mais ici c'est un peu difficile ! Tout est donc venu en avion de Paris. Je ne peux pas trop parler des détails car c'est un peu un secret.
MM : Nous voyons dans les films que chaque peinture est transportée dans son propre emballage, créé expressément.
PP : Oui, les coffrets de transport sont fabriqués en bois isotherme avec de l'aluminium et différents matériaux à l'intérieur pour s’assurer que l'objet est vraiment bien protégé contre les chocs et les changements climatiques.
MM : Est-ce la première fois que ces peintures viennent en Australie?
PP : Certaines ont déjà été prêtées pour des expositions dans le passé. Mais pour la majorité, c'est la première fois qu'elles sont exposées en Australie.
MM : Quand et pourquoi avez-vous décidé de devenir conservateur?
PP : En français, nous utilisons deux mots : conservateur quand vous êtes responsable d'une collection dans un musée et commissaire d’exposition quand vous créez une exposition. En anglais, conservateur englobe les deux fonctions. Je m'intéressais à l'histoire de l'art mais aussi au contact avec le grand public, pas seulement dans mes livres de recherche, dans mon bureau, mais aussi dans les discussions lors de visites guidées, et surtout pour offrir une expérience physique qui est celle d’une visite au musée, la visite d'une exposition. Cela m'intéressait beaucoup pas seulement dans le cadre d’une activité purement académique mais parce que les musées sont des lieux éducatifs, remplis d’émotions. Je voulais vraiment travailler dans un musée.
MM : En fait, tout a commencé avec La Pie !
PP : Exactement!
MM : Sans être indiscrète, n’êtes-vous pas trop jeune pour occuper un tel poste dans un musée aussi connu ?
PP : Oui. J'ai 31 ans. J'ai été très chanceux d'obtenir ce poste au Musée d'Orsay et si rapidement. En France, nous avons un concours pour devenir conservateur (Ndlr : École Nationale des Chartes). J'ai donc passé l'examen et suis devenu conservateur. A la fin de mes études, il y avait un poste disponible au Musée d'Orsay. C'est arrivé à un moment où le directeur du musée d'Orsay voulait donner un coup de jeune et avoir un œil jeune sur les collections. J'ai eu de la chance. C'était il y a 4 ans.
MM : Est-ce votre première fois en Australie?
PP : Oui, je suis arrivé mi-avril et repars à la fin du mois d’avril.
L’exposition sera à l’Art Gallery of South Australia jusqu’au 29 juillet. Vous pouvez réserver des billets ici ou sur place au musée.
Cet article est republié avec autorisation. Vous pouvez voir l’original ici et également le lire en anglais là.