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Rencontre avec Alain Lefebvre, auteur du livre "Macron le Suédois"

Macron le Suédois Macron le Suédois
Livre d'Alain Lefebvre, Macron le Suédois - Photo : Alain Lefebvre
Écrit par Fabienne Roy
Publié le 22 décembre 2018

Vous souhaitez démystifier les systèmes nordiques et comprendre davantage les réformes à venir d´Emmanuel Macron? Retraites, Code du travail, formation professionnelle, assurance-chômage, apprentissage, chemins de fer et prisons : ce livre explique très clairement et précisément les principes et limites du modèle suédois censés inspirer les réformes sociales françaises.

Alain Lefebvre, journaliste et consultant spécialiste des questions sociales et des ressources humaines, s’est plongé dans la culture politique de ces pays qu’il connaît bien – il a travaillé pendant quinze ans en Suède et en Finlande, notamment pour les services diplomatiques français et pour des agences européennes. Le Petit Journal Stockholm vous partage en exclusivité son échange avec l´auteur. 

 

LPJ : Vous analysez dans votre livre les systèmes de différents pays nordiques et également allemand. Pourquoi avoir choisi ce titre "Macron le Suédois" ?

Alain Lefebvre : À l´origine c´était plutôt "Macron le Nordique" qui était envisagé. C´est quand même un livre qui est beaucoup orienté sur la Suède en particulier sur les réformes que le gouvernement actuel veut mettre en place, notamment en matière de retraites. Pratiquement chaque fois que l´on annonce une réforme, soit le gouvernement, soit les média se réfère à la Suède.  La première réforme c´était la question de la moralisation de la vie publique. J´ai lu une centaine d´articles à ce sujet de transparence de la vie politique même si à la fin, le gouvernement a choisi une voie peut être un peu plus franco-française. (…)

Votre livre commence fort, avec la citation d´un proverbe suédois : "Il est bon d´apprendre des erreurs des autres car il n´y a pas assez de temps pour les faire soi-même". Puis vous ajoutez un constat assez cinglant pour le chef de l’Etat : "Macron et son gouvernement ignorent, volontairement ou non, ce que font réellement les pays nordiques, et proposent parfois des solutions depuis longtemps dépassées dans les pays qu’ils veulent imiter". Quelle est la plus grande méconnaissance à ce sujet ?

A ma connaissance c´est l´affaire de la Flexisécurité. C'est un concept qui a maintenant plus de 15 ans. C´est un concept marketing du Danemark qui correspondait plus ou moins à la réalité danoise de l´époque et qui arrange beaucoup en général les gouvernements de droite en Europe. Parce que la réforme sur la flexisécurité permet de flexibiliser le travail, de rendre les contrats plus flexibles, de donner plus de possibilités aux entreprises de licencier tout en donnant une certaine sécurité financière. C´est complétement dépassé. Il n´y a jamais eu de flexisécurité en Suède, il est toujours aussi difficile de licencier (...).

Ce n´est sûrement pas la flexisécurité qui permettrait d ´améliorer la situation. Donc je pense qu´il y a un contresens complet sur le sujet. Je pense que la question de la flexibilité du contrat de travail n´a pas grand chose à voir avec la santé de l´économie. Enfin on peut imaginer que le gouvernement en a plutôt fait un argument psychologique pour les entreprises ; qui s´est fait au détriment des salariés.  Il y a quelque chose qui ne marche pas.

Alors qu´en fait la flexibilité dans les pays nordiques elle existe. C'est surtout la flexibilité dans l´organisation de l´entreprise : moins de niveau de hiérarchie, plus d´autonomie pour les managers intermédiaires, la possibilité d´échouer et de se rétablir, la possibilité d´adapter l´organisation de l´entreprise aux besoins du marché.(…) Malheureusement ce n´est pas le gouvernement qui décide de ce genre de choses. (…)

Vous écrivez, "Emmanuel Macron tente de transformer les Français en vikings des temps modernes" Qu´est-ce qu´un viking des temps modernes ?

(…) Ce que je voulais dire principalement en faisant cette référence c´est que les vikings étaient totalitaires, flexibles et égalitaires.

Transformer les Français en vikings ca veut dire d´une part insister sur la notion d´égalité, partager mieux les richesses et d´autre part se montrer totalement flexibles, imbattables et faire face à la situation en fonction de ce qu´on voit et pas par rapport à des principes définis à l´ avance.  Donc les entreprises qui réussissent aujourd´hui sont des entreprises qui savent s´adapter au marché et aux évolutions et qui se réorganisent facilement. Ce qui est impossible si on a une structure hiérarchique trop haute. Trop rigide . (…)

Vous analysez la flexisécurité danoise et démontrez une forme d´inflexible sécurité suédoise, notamment avec la présence de syndicats puissants. Faudrait-il également réformer le rôle des syndicats en France ? De quelle manière ?

C´était un des projets d´Emmanuel Macron de faire une réforme pour donner plus de présence aux syndicats. Finalement il a fait l'inverse ; c´est à dire qu´ il a une tendance à courcircuiter les syndicats pour les réformes, je pense notamment à la SNCF (…). Je pense là aussi que l´absence des corps intermédiaires va lui coûter cher politiquement.

Alors par contre il y a un syndicat, qui est d´ailleurs un grand admirateur de la Suède qui fonctionne bien et qui se développe, c´est la CFDT. Les syndicats qui jusque-là se voyaient plutôt révolutionnaires et par conséquent minoritaires en France ont tendance à régresser donc il a y une évolution lente en faveur des syndicats plus réformistes (…). Par ailleurs, les syndicats français (sauf pour l´éducation nationale), se sont refusés jusque là à apporter des services à leurs adhérents . Contrairement à leurs homologues suédois et finlandais qui proposent des bonus pour leurs assurances comme des réductions pour les voyages (…).

Je pense que c´est difficile d´imaginer qu´un gouvernement puisse transformer les syndicats en ce sens. Par contre, reconnaitre de travailler avec les syndicats réformistes avant de lancer une réforme c´est quelque chose d´utile et ce qu´il se passe avec les retraites va dans ce sens. C´est la raison pour laquelle cela prend beaucoup de temps mais ça peut payer à long terme. (…). C´est une bonne chose d´avoir des syndicats puissants et qui représentent bien la population.

Notion de transparence, partage des richesses, concept du "lagom"* sont des valeurs au cœur de la culture suédoise. Est-ce finalement cette différence culturelle qui compromettrait des réformes françaises à la suédoise ?

Je pense que les différences culturelles me paraissent très importantes au niveau des élites. (...) Il y a un retard des élites françaises aux pratiques politiciennes datant du milieu du siècle dernier voir fin du XIXe siècle . Ce refus existe dans la population et je pense que beaucoup de gens sont plus proches de la manière de penser nordique sur ce genre de sujet que la classe politique. Un décalage qui fait peur et qui a sûrement engendrer le mouvement des gilets jaunes, en dehors des questions de revenu. Il y a une grande volonté de transparence, d´égalité. (…)

Comme je l´explique dans le livre, il y a un député qui était socialiste et qui aujourd´hui est dans La République En Marche et pense qu´il est inadmissible que les gens sachent avec qui et quand il a mangé. Alors que pour les Français, dans la mesure où il mange avec des lobbyistes de l´industrie, c´est bon à savoir. En Suède on peut savoir ce genre de chose. (…)

Il est souvent dit que la France et un pays difficilement réformable. Quel est le plus gros défi pour Emmanuel Macron selon vous ?

D´abord la France est un pays non réformable qui fait des réformes tous les 15 jours à peu près. Les réformes c´est la spécialité française! En Finlande on a fait deux réformes structurelles en cinq ans. (…) En France on a une réforme du marché du travail par an en moyenne. Sur les retraites on a fait beaucoup plus de réformes que les pays nordiques. Donc on n´est pas difficile à réformer, on est un pays où les gouverneurs adorent réformer. Je pense que si on ne fait pas de réformes on est considéré comme incapables, en tout cas les politiciens français doivent proposer des réformes car en principe en France tout va mal donc il faut tout changer. Je pense qu´il y a une certaine impuissance en fait. Mais je crois qu'on parle beaucoup trop des réformes (…).

A chaque réforme il y aura toujours quelqu'un de mécontent donc il faut savoir prioritiser et prendre les combats qui s´imposent. (…). Je pense que la France devrait se concentrer sur une ou deux priorités, faire des réformes en discutant. Il y a une ou deux réformes qu´il faudrait faire. Il y a la question d´égalité et de pauvreté. Les Français ne sont pas réfractaires aux réformes. Ils sont réfractaires à l´excédent de réformes.

*lagom : concept suédois qui signifie : "juste ce qu'il faut" ou "ni plus, ni moins". 

 

Fabienne Roy, 22 Décembre 2018


 

Fabienne ROY
Publié le 22 décembre 2018, mis à jour le 22 décembre 2018

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