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Kulturhuset fête ses 20 ans de rencontres littéraires internationales

Marie Darrieussecq a Kulturhuset StockholmMarie Darrieussecq a Kulturhuset Stockholm
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Écrit par Léo Nouchi
Publié le 29 janvier 2018, mis à jour le 5 avril 2018

Kulturhuset Stockholm fête cette année vingt ans de rencontres littéraires internationales. Pour l’occasion deux écrivains français ont été mis à l’honneur. La prolifique romancière Marie Darrieussecq et le chef cuisinier Sébastien Boudet. Tous deux venus parler de leurs métiers respectifs avec l’auteure québécoise Kim Thuy.

Kulturhuset fete les 20 ans de sa scene internationale
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Rencontre avec Marie Darrieussecq

Invitée à plusieurs reprises en Suède, Marie Darrieussecq s’est cette fois-ci rendue à Kulturhuset pour défendre "Man måste älska männen mycket(Il faut beaucoup aimer les hommes - Prix Médicis 2013) son dernier roman traduit en suédois. 

On doit beaucoup aimer les hommes
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En France est depuis paru (pas encore traduit) "Notre vie dans les forêts".

C’est pour cette dystopie digne de Asimov ou Dick qu’elle nous a accordé une interview.

Notre vie dans la cellule – ose

Le roman raconte sous forme de journal, la vie de Viviane, psychologue traumatisés dans un univers s’apparentant à celui des personnages déshumanisés de "Metropolis" (Fritz Lang). Les inégalités sont poussées au paroxysme (1% possède 99%), les attentats sont à répétitions et le quotidien est étouffé par un tout-technologique. Dans ces œuvres que 90 ans séparent, la technologie a pris place jusque dans les cellules de la chair humaine. Les corps y sont emprisonnés, envahis, déchiquetés, trahis. L’héroïne du roman a son clone, mi-Viv(i)an(t)e mi-Marie qui lui sert de réservoir à organes (clone homonyme de l’auteure). Le dialogue entre Viviane et son journal fait effet de miroir.

Notre vie dans les forets
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De pages en mots, ses observations lui divulguent petit-à-petit une société ayant échappé aux humains. C’est ainsi que Viviane ose délivrer Marie du centre de rétention où sommeillent les clones. Ensuite, réfugiées sous les arbres, la psychologue enfante Marie, l’humanise, dans la matrice que devient la forêt. Le roman est riche de questions sur le corps, l’humain face à son double et où l’humanité semble aller vers un avenir toujours plus connecté. Viviane ose se débrancher.

Darrieussecq n’apporte pas de réponses claires, elle pousse le lecteur à tirer ses propres conclusions

A la question : "Dystopie ou prophétie ?" l’écrivaine répond laconiquement "Un bouquin ! De la littérature imminente". Comme une réponse à quelque chose qui inévitablement arrivera. 

Pour vous permettre de garder le suspense nous ne vous en dévoilerons pas davantage sur la trame.

 La chair

"Tout roman est charnel. Moi je dirais que les miens sont plutôt organiques. Qu’arrive-t-il à notre corps dans tous ses états ?" raconte-t-elle, soucieuse.

Le premier roman de Marie Darrieussecq "Truismes" (1996), raconte l’histoire d’une jeune femme qui à cause de misogynie se métamorphose en truie. Écho d’autant plus retentissant aujourd’hui après le mouvement médiatisé #balancetonporc. Cette mutation en truie se fait en même temps que la France s’enlise dans le totalitarisme. 

"Peut-être que le personnage principal de "Truismes" est la Viviane actuelle. »

Ce rapport au corps semble également se dévoiler dans "Il faut beaucoup aimer les hommes" (Prix Médicis 2013), suite de l’histoire de Solange, révélée dans "Clèves". Solange actrice hollywoodienne française, blanche, issue de la classe moyenne, tombe éperdument amoureuse du bel acteur camerounais Kouhouesso. La différence de culture y est finement racontée, sans a priori. Mais leur différence de nuance de peau s’invite malgré-eux dans la relation. Il y est sujet d’épiderme, et ce que le monde, hélas, se permet de créer de tabous, malgré l’attraction de nos corps.

Et dans "Naissance des fantômes", la romancière raconte l’histoire d’une femme dont le mari sorti acheter des cigarettes ne revient jamais. N’y est-il pas finalement question de savoir où sa part d'homme est passée, son corps ? Et quel corps suis-je seule, sans l’autre ?

Viviane a un clone auquel elle greffe ce qui lui manque, un œil, un poumon. Les corps se partagent les cicatrices. Viviane donne naissance à son clone...

Attentat

C’est en tirant ce parallèle charnel entre les romans que le lien nous a mené vers la précédente intervention de M. Darrieussecq à Kulturhuset - cinq jours après qu’une cellule terroriste ait perpétré les attentats du 13 novembre 2015. A cette occasion l’écrivaine s’y était vue propulsée porte-parole improvisée de la Francemeurtrie (Elle écrit régulièrement pour Dagens Nyheter). Il y avait été question de tenter d’occulter, d’expliquer la déchirure créée par les kalachs. Ce même travail que fait Viviane.

"Pour l’écriture de "Notre vie dans les Forêts" je vois plutôt une relation aux attentats du 11 septembre 2001. Le monde détruit, qui n’allait plus devenir ce qu’on nous avait promis, à l’école. Le progrès écroulé avec les deux tours."

Un retour à la dystopie, imminente, intéressante, poignante et naïve. Pas naïve par l’approche de la romancière mais par son héroïne, comme nous, probablement inconsciente de ce qui se déroule véritablement devant nos yeux, dans nos villes, notre présent, nos forêts et peut-être notre chair. Vivons-nous déjà en dystopie, le portable greffé au corps, des puces actives sous le derme… toujours plus connectés ?

Petit sourire, maternel, en coin de lèvre : "J’aime la naïveté de mes héroïnes. Elles me permettent de dire les choses que je pense." 

Afin d’essayer d’anticiper ce qui peut-être nous attend, ruez-vous pour acheter "Truismes" et "Notre vie dans les forêts". Ensuite posez-vous sous un arbre, osez vous déconnecter et lisez ! Pour protéger ce qui nous reste encore de cher.

Depuis 1998 la liste d’auteurs francophones à Kulturhuset a entre-autres été composée de : Jonathan Franzen, Foenkinos, Gavalda, Condé, Le Clézio, Onfray, Maalouf... La liste non francophone est elle aussi impressionnante : Margaret Atwood, Svetlana Aleksievitch, Vargas Llosa, Umberto Eco, Imre Kertész...

Kulturhuset
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La liste d’auteurs à venir :

http://kulturhusetstadsteatern.se/Litteratur/Internationell-forfattarscen/

 

Marie Darrieussecq :

Man måste älska männen mycket (2015 Norstedts förlag; trad. Lisa Lindberg).

Flickan i Clèves  (2013 Norstedts förlag; trad. Lisa Lindberg).

Clèves  (2011 P.O.L. éditions).

Notre vie dans les forêts  (2017 P.O.L. éditions).

Il faut beaucoup aimer les hommes  (2013 P.O.L. éditions ou chez Folio).

Naissance des fantômes  (1998 P.O.L. éditions).

Truismes  (1996 P.O.L. éditions).

 

Kim Thùy chez les éditons Stanké et Sekwa förlag.

Sébastien Boudet  chez les éditions Bonnier Fakta.

 

Léo A. Nouchi, 29 janvier 2018

Léo Nouchi Stockholm
Publié le 29 janvier 2018, mis à jour le 5 avril 2018

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