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SOCIETE - Trashion, La mode engagée

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Publié le 27 mars 2017, mis à jour le 28 mars 2017

Avez-vous déjà pensé à transformer vos capsules de Nespresso usagées en une robe de soirée, vos emballages de chips du lundi matin en un trendy sac à main, ou vos bouchons de bouteilles en petit bikini ? Certains l'ont fait et ont démocratisé ce concept baptisé "Trashion", mariage des mots "trash" (déchet) et "fashion" (mode), dont on peut actuellement voir un exemple à Kulturhuset à Stockholm.

Trashion avant l'heure

Hier matin en fouillant dans ma boîte à bijoux, j'ai mis la main sur une bague assez particulière, achetée en 2009 sur le stand d'une étudiante en arts appliqués, composée d'un simple anneau métallique surmonté de la touche "A" d'un vieux clavier d'ordinateur type 95. Je pense qu'à cet instant, j'ai effectué mon premier achat dans l'univers fascinant du trashion. Mais je vous entends déjà rouspéter à propos de ce terme hipstero-barbare. Le trashion c'est quoi au juste ? C'est tout simplement le fait d'utiliser ce que nous qualifions de déchets pour en faire de l' "art-couture": nouveaux vêtements, nouveaux objets, nouvelles tendances...

Le trashion n'est ni propre à un pays, ni à une culture, ni à une génération. Bien que le phénomène apparaisse à New-York dans les années 2000 et que son nom a été inventé en 2004 par des blogueurs néo-zélandais, il a toujours existé depuis que l'homme est homme? Et qu'il sait fabriquer des déchets.

Que ce soit en Afrique avec des sacs fabriqués à partir d'emballages Tetra-pack, en Suède où l'on découpe une paire de moufles dans un vieux pull usagé ou en France quand on fabrique dans un vieux jean une trousse à crayons, le principe reste le même : recycler, reconditionner le matériau usagé en le détournant de sa fonction première, faire de ce que l'on jette quelque chose d'utile avec zéro budget, en développant une richesse d'inventivité et d'esthétisme pour élaborer une création trendy et écolo. A base de ce cocktail révélateur, le phénomène devient vite en vogue dans le monde des tendances.

 

Les grandes marques et le trashion

L'univers de la mode est de plus en plus éco-responsable et commence réellement à emboîter le pas de l'esprit récup' dans le cercle très fermé du zéro déchet.

Parmi les marques de sport à s'être emparée du phénomène, Adidas, vient de créer une paire de sneakers en étroite collaboration avec l'ONG Sea Shepherd et Parley for the Oceans, une plateforme associative qui travaille en faveur de la protection des océans. La marque a conçu cette chaussure entièrement avec du fil de pêche récupéré en mer. En plus d'épargner la vie de nombreuses espèces aquatiques et de nettoyer les océans, le matériau en question, qui devrait par ailleurs servir à produire des T-shirts, des shorts, pour ne citer qu'eux, est très résistant.

Cet accessoire de mode vaut la +modique+ somme de 200 euros, mais on ne peut exiger qualité et engagement éthique sans mettre la main au portemonnaie. Dans une ère où l'on achète des vêtements bon marché de qualité médiocre, fabriqués dans des conditions douteuses, qui finissent tristement à la poubelle après trois lavages, n'est-il pas préférable d'investir dans une seule et unique pièce onéreuse mais éco-responsable, dont le prix serait amorti sur la durée puisque le matériau issu du déchet est increvable ?

Si le prix n'est pas un frein à l'utilisation des déchets, l'image de marque non plus. L'industrie du luxe suit le mouvement même si la haute couture ne fabrique que peu de déchets comparée au monde du prêt-à-porter. La maison Hermès par exemple décline depuis 2010 Petit h, une marque d'accessoires réalisés à partir de matières premières non utilisées, des leftovers des anciennes collections récupérés et transformés dans les ateliers de la prestigieuse maison. On parle alors plus de détournement que de recyclage, d'autant plus que le côté récupération ne colle pas vraiment à l'univers du luxe. Le "upcycling" dénote une certaine prise d'éco-responsabilité et colle à l'air du temps et à l'esprit des jeunes générations, potentiels futurs clients.

 

Les messages du trashion

Parfois, le trashion sert également à appuyer un message: la créatrice de mode Sakina M'Sa, aujourd'hui à la tête d'une maison de couture regroupant des créateurs indépendants et engagés. Connue pour l'utilisation du bleu de travail dans ses pièces en hommage au monde ouvrier, elle a présenté en 2007 une collection au Petit Palais de Paris nommée l'étoffe des héroïnes, mettant en lumière non seulement le vêtement recyclé, mais aussi le potentiel manuel des femmes des quartiers en réinsertion. Engagée, Sakina récupère des chutes d'étoffes auprès des maisons de couture, fait travailler les femmes au chômage longue durée, défiler les détenues de la prison de Fleury-Mérogis... Bien au-delà de la simple récup', Sakina M'sa se bat pour que la mode soit, en plus d'être belle, "désirable, durable, responsable".

 

 

A Stockholm, en ce moment et jusqu'au 17 avril 2017, le Nationalmuseum Design, à la Kulturhuset de Stockholm, propose dans le hall de la Kulturhuset un aperçu du travail de la styliste Johanna Törnqvist et son projet "Precious Trash". A l'intérieur d'un container, deux robes sont exposées. Johanna utilise comme matières premières pour ses créations ce qu'elle trouve dans les poubelles, comme des emballages de papier cadeau, des toiles cirées, des filets en plastique pour les oranges ou des canettes. Au travers de ce projet ambivalent, elle soulève la question cruciale de notre consommation atteinte par le syndrome du jetable, de la durabilité de nos déchets, de la problématique des produits bio qui comportent plus d'emballages que les produits normaux et pose un oeil critique sur la société et son gaspillage matériel. Par le biais de ses robes, plus ?uvres d'art que créations de mode, elle met en contraste la poubelle éphémère et l'intemporalité de l'art.

 

Si le trashion permet de récupérer des déchets tout en réinventant des matières design et utile, si ce mouvement contrecarre des industries très polluantes par des créations tendances tout en puisant dans des matières recyclées, reste à savoir ce que l'on va faire de ces vêtements une fois qu'ils sont bons à mettre à la poubelle. Car c'est bien là le paradoxe, la mode, quoi de plus éphémère et? démodable ?

 

 

Plus d'informations

Adidas et sa nouvelle collection Parley

Hermès et Petit h

Sakina M'Sa

National Museum

 

 

Aurelia de Boüard (lepetitjournal.com/stockholm) 29 mars 2017

 

Illustration : Aurelia de Boüard

Photo: Adidas

Création de mode: Johanna Törnqvist//Photographe : Fredrik Sederholm

 

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