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HISTOIRE – Les origines du Systembolaget

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Publié le 30 mars 2016, mis à jour le 25 décembre 2023

 

C'est une enseigne verte et jaune bien connue des Suédois et qui surprend toujours les étrangers de passage : celle du Systembolaget. Ce monopole d'Etat sur la vente au détail d'alcool régule de façon stricte l'achat de boissons alcoolisées et de spiritueux. Comment expliquer la naissance d'une telle institution ? lepetitjournal.com/stockholm a remonté le temps.

De passage en Suède, l'étranger non averti risque d'être surpris. Ici, impossible de faire une descente au supermarché du coin un samedi soir pour faire le plein de boissons alcoolisées. Vous trouverez au mieux de la bière à 3,5%, au pire un cidre à la poire faiblement alcoolisé. Les alcools « forts » ne se vendent que dans des magasins spécialisés, les Systembolaget. Propriétés de l'Etat, ceux-ci ouvrent leurs portes à des horaires stricts, refusent de vendre aux moins de vingt ans et pratiquent des tarifs prohibitifs suite à une forte taxation. Pour être tout à fait précis, le prix est fonction du degré d'alcool contenu dans la boisson : plus l'alcool est fort, plus il est taxé. À ce rythme-là, le calcul est vite fait : on est condamné à boire des litres de bière toute la soirée. La bouteille de 700 ml de vodka Absolut, la marque nationale, se vend environ 240 couronnes suédoises, l'équivalent? de vingt-cinq euros. La vodka suédoise a d'ailleurs la particularité de se vendre à plus petit prix à l'étranger qu'au sein des frontières, un comble ! Le vin le moins cher coûte environ six euros la bouteille, vendu dans des briques en carton. Même si l'on est au pays de Tetra Pack, on ne vous conseille pas de boire ce vin-là comme du petit lait?

Retour aux sources

L'existence des magasins d'Etat pour la vente d'alcool ne date pas d'hier. L'histoire commence au milieu du XIXème siècle, quand le gouvernement suédois interdit la distillation privée de spiritueux. En 1917, le pays échappe de peu à une prohibition totale, telle que l'ont connu les États-Unis. À la place, le « système Bratt », du nom de son inventeur, est instauré : il permet, à l'aide de tampons dans un carnet, de rationner la vente d'alcool selon la capacité estimée des personnes à « boire raisonnablement ». Certaines personnes sont tout simplement interdites d'acheter vins et spiritueux. Ce système est supprimé en 1955, mais le strict contrôle de la vente de ces boissons s'est maintenu jusqu'à aujourd'hui. La même année, les boutiques Systembolaget sont créées et l'entreprise d'Etat Vin & Sprit se voit accorder le monopole sur l'importation, la production, l'exportation et la vente d'alcool. Avec l'arrivée de la Suède dans l'Union Européenne en 1995, une nouvelle loi sur l'alcool entre en vigueur. Le monopole du contrôle sur la production, l'importation, l'exportation et la vente de gros est aboli mais les Suédois négocient fermement le maintien du monopole de la vente au détail d'alcool exercé par les Systembolaget.

Pourquoi diable une telle restriction ?

Le but affiché par l'Etat suédois est de réguler la consommation pour limiter les problèmes d'alcoolisme et ainsi veiller à la santé publique. D'ailleurs, le médecin qui a introduit au XIXème siècle la notion d'alcoolisme en tant que maladie s'appelait Magnus Huss et était? suédois. Pour la plupart des ressortissants, l'existence des Systembolaget n'est jamais remise en question, ou si peu. Ils se sont habitués à faire leurs courses d'alcool, comme d'autres vont chez le boulanger ou le boucher. Jenny, une jeune Suédoise de 23 ans, témoigne : « Je pense que si les Systembolaget venaient à disparaître, les gens se mettraient vraiment à boire beaucoup. La cherté des produits empêche une consommation excessive. » Un rapport publié par le site officiel du Systembolaget a conclu que si la vente d'alcool venait à être privatisée, la consommation par habitant augmenterait de 14 à 30% sur le long terme. Cela dit, nous avons aussi rencontré des Suédois qui trouvaient le système du monopole d'Etat obsolète et beaucoup trop contraignant. Ils ne sont pas les seuls à râler : récemment, la Cour européenne a condamné les limitations imposées par l'Etat suédois à la vente d'alcool sur internet, notamment importé depuis l'étranger.

Une culture de l'alcool particulière

L'existence d'un monopole d'Etat sur l'alcool en Suède a contribué à forger une culture de l'alcool assez particulière dans le pays. Le Suédois boit moins régulièrement que le Français, mais souvent avec excès. Jenny raconte : « Ici, l'alcool est tellement rare et cher que lorsqu'on en boit, on en boit énormément. Rares sont les soirées où tout le monde ne finit pas complètement saoul, et pas seulement entre jeunes. » L'Etat cherche d'ailleurs à limiter ces beuveries, c'est pourquoi les Systembolaget sont fermés le dimanche, et ouverts le samedi uniquement entre 10h et 14h? De plus, alors que la majorité légale est à 18 ans en Suède, il faut en avoir 20 pour être autorisé à acheter de l'alcool. Boire dans les lieux publics est également interdit. Autre particularité dans ce pays où chacun ramène et consomme son propre alcool, posé sur le coin d'une table ou dans un petit sac prévu à cet effet et jalousement surveillé. Pas de partage, et tant pis pour celui qui se retrouve à sec : en Suède, rira bien qui boira le dernier !

Certains petits malins ont ainsi trouvé la parade pour échapper au système très restrictif des Systembolaget. D'abord, en mettant la main à la pâte : la fabrication d'alcool maison (le plus souvent dans la baignoire familiale) n'est pas anecdotique en Suède. Ensuite, en prenant la « route de la soif » : les allers-retours dans les pays voisins, notamment le Danemark, permettent aux Suédois de faire le plein d'alcool à moindre frais. Les voyages en ferrys sur la Baltique, moyen de transport bien plus utilisé dans ces pays qu'en France, permettent aussi de ravir les passagers, tout étant vendu hors taxes à bord. D'ailleurs, les associations étudiantes organisent régulièrement des voyages courts d'une journée en bateau, dont le seul intérêt plus ou moins avoué semble être de remplir son frigo à moindre frais pour les prochaines soirées. Enfin, la contrebande se développe : Ninorta, jeune suédoise, nous confie : « C'est un peu glauque, mais on peut appeler certains contacts le week-end quand les Systembolaget sont fermés, et les payer discrètement à l'arrière de leur camionnette. »

Sur ce, skål !

Crédits photo : Wikicommons

Marie-Jeanne DELEPAUL lepetitjournal.com/stockholm Date de publication d'origine : dimanche 8 novembre 2015

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