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L’ŒIL D’AUDREY — Guy Bourdin ou le rouge fétiche

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Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 21 mai 2016

Tous les mois, notre férue d'art décrypte une exposition qui l'a particulièrement touchée. L'année s'achève comme l'automne a débuté, au Fotografiska où Guy Bourdin, le photographe français de mode, né en 1928 et mort en 1991 à Paris, s'expose actuellement dans une exposition intitulée Avant-garde. 

Guy Bourdin grandit dans la France de l'entre-deux-guerres, dans un environnement marqué par le tabou et la censure. En voyant ses photos, on comprend qu'il trouva dans cette profession une porte de sortie, un exutoire où son imagination, voire ses fantasmes, pouvaient s'exprimer sans limite aucune. Car nombre de ses images comporte les mêmes éléments : des paires de jambes, le plus souvent de femmes, réelles ou de mannequins, chaussées de talons hauts, des paires de fesses plus ou moins dénudées, des poses relativement provocantes ? au moins pour l'époque, aujourd'hui, je dois avouer que ce langage photographique me semble dépassé. Les visages disparaissent le plus souvent dans le cadrage. L'omniprésence du rouge en fait sa couleur fétiche. Mais il est évident qu'il a ouvert la voie à une esthétique lisse et plutôt froide que l'on retrouve plus tard chez David LaChapelle, Annie Leibovitz, Araki, Sarah Moon, Agnès Varda ou Karl Lagerfeld pour n'en citer que quelques-uns.

C'est finalement son ?uvre de jeunesse que je préfère : des photos en noir et blanc, des silhouettes élégantes se promenant dans Paris. Une tête chapeautée à côté d'une devanture de boucherie où pendent des carcasses de porcs ou des têtes de veaux : le contraste vie/mort, mode/morbide. « La beauté attire les mouches comme une charogne », citation du photographe, pourrait être le titre de ses photos, peut-être même résumer son ?uvre finalement. Car on retrouve la morbidité dans ses ?uvres plus tardives, bien que moins directement exprimée, parfois dissimulée dans un humour bien noir. Guy Bourdin fut le protégé du grand Man Ray et garda une inspiration surréaliste tout au long de sa carrière. Tout comme André Kertesz, il découvrit la photo lors de son service militaire, mais s'orienta ensuite dans un style complètement différent. Il peignait aussi ; d'ailleurs quelques-unes de ses peintures sont exposées au Fotografiska.

La vie personnelle de Guy Bourdin est ponctuée de drames et le créateur de parfums et de cosmétiques Serge Lutens aurait dit de lui qu'il « [menait] sa propre psychanalyse dans le Vogue » pour lequel il travaillera de 1955 à 1987.  Cela rajoute une dimension à ses photos de mode où la femme devient objet, voire réduite à des morceaux de corps. Exigeant envers les magazines, il n'envoyait qu'un négatif avec des instructions de mise en page très claires et composait donc ses images en fonction. Il a photographié pour les parfums Dior, Issey Miyake, Versace, Ungaro, Chanel etc. 

L'avantage du Fotografiska, c'est qu'il propose toujours plusieurs expositions en même temps : si l'une ne vous touche pas plus que ça, vous en trouverez toujours une autre qui vous parlera plus. À l'affiche en ce moment : UpClose avec les « visages » de Martin Schoeller (terme qu'il préfère à « portrait »), étonnant de réalisme et de précision, les photos poétiques de Thomas Wågström, le film Hungry Horse de Pieter ten Hoopen ou les portraits d'enfants réfugiés de Magnus Wennman, photographe d'Aftonbladet.

Plus d'informations

Fotografiska

Stadsgårdshamnen 22, 116 45 Stockholm

Metro Slussen

Ouvert tous les jours, de 9h à 23h (sauf le 24 décembre)

120kr plein tarif ; 90kr étudiants/retraités ; gratuit pour les moins de 12 ans.

Site internet

Guy Bourdin, Avant-Garde, du 27 novembre 2015 au 21 février 2016

Thomas Wågström, På Jorden, du 20 novembre 2015 au 16 mars 2016

Pieter ten Hoopen, Hungry Horse, du 19 novembre 2015 au 31 janvier 2016

Magnus Wennman/Aftonbladet, Där barnen sover, du 30 septembre 2015 au 24 janvier 2016

Martin Schoeller, Up Close, du 2 octobre 2015 au 7 février 2016

 

Audrey LEBIODA (texte et photos) lepetitjournal.com/stockholm Dimanche 20 décembre 2015

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