Édition internationale

LITTÉRATURE – Contes du Nord ou la poésie venue du froid

Écrit par
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 4 décembre 2016

«?Existe-t-il une ?part de Nord?, en chacun de nous, qu'il importerait de considérer et d'explorer???», interroge le romancier et essayiste Pierre Péju en préface de ces Contes du Nord publiés par les éditions de la BNF. À feuilleter ce superbe ouvrage, une seule réponse possible : oui?!

Grand format à la couverture cartonnée, relié, agrémenté d'illustrations couleurs, le tout sur un papier au grammage généreux : Contes du Nord est typiquement le genre d'ouvrage qui séduit les amoureux du livre avant même la lecture d'une seule ligne. Comme le souligne Pierre Péju, «?Notre premier ?plaisir du texte? est inséparable d'une odeur de colle, d'une reliure, ou du papier craquant d'un vieux recueil?». Le support matériel du texte n'est jamais anodin. Ici, tout est soigné, la maquette est aérée, ce qui ne rend la lecture que plus agréable. Un vrai beau-livre donc.

Kay Nielsen, Miyazaki nordique??

L'un des principaux attraits du volume, ce sont bien évidemment les magnifiques illustrations du Danois Kay Nielsen (1886-1957). On a peine à croire que l'artiste est décédé depuis près de 60 ans tant ses illustrations n'ont rien à envier à un Miyazaki ou à un Moebius. On ne s'étonne pas non plus qu'il ait travaillé pour les studios Disney, réalisant des études pour Fantasia et La Petite Sirène (qui ne sortira sur les écrans que bien après sa mort). La prédominance des blancs, des bleus et des gris projette d'un coup d'?il le lecteur en terre nordique. Les teintes douces créent une atmosphère de rêverie où les décors sont épurés, stylisés au point qu'un arbre paraît orné de pendeloques de verre tandis que la silhouette d'un rocher évoque une vague à la Hokusai. Évoluant dans le vaste espace de la toile, des «?personnages élancés, aux membres démesurément étirés, port majestueux, visages altiers?» focalisent le regard. D'une grâce infinie, certains semblent prêts à se mouvoir de leurs longues courbes, rejetant le drapé d'un lit ou luttant contre le vent qui emporte une brassée de fleurs. D'autres, au contraire, se figent en une pause impérieuse, presque rectiligne, dans la crainte peut-être de déranger la profusion de détails graciles dont ils sont parés.

Passionnante mise en contexte

Recherche du détail également dans la préface de Pierre Péju, qui lève le voile sur certaines intertextualités, avant de relater sa propre rencontre avec les Contes du Nord. Carine Picaud, conservateur à la Réserve des livres rares de la Bibliothèque nationale de France, nous offre quant à elle une introduction passionnante sur l'histoire de l'édition, abordant notamment la tradition des prestigieux gift books et l'évolution de l'illustration. Elle retrace également le parcours un peu alambiqué des contes rassemblés dans ce volume. Collectés dans les années 1830 par deux folkloristes norvégiens, Peter Christen Asbjørnsen et Jørgen Moe, ils ont été popularisés par l'édition anglaise avant d'être publiés en France par Piazza en 1919. C'est de cette édition qu'est inspirée la présente parution. Mais les écarts sont grands avec les contes recueillis au XIXe siècle. En effet, après être passés par le filtre de la traduction anglaise, ils ont été réécrits en français par le poète et essayiste Edmond Pilon qui s'est permis de belles libertés.

Six déclinaisons poétiques

Si l'on retrouve très nettement la structure narrative et les éléments du conte (personnages archétypaux, lieux symboliques?), le style d'Edmond Pilon est en revanche plus lyrique et imagé que la version originale, elle dépouillée et sobre. La plume élégante de Pilon fait la part belle aux métaphores et charge le texte d'une ravissante poésie. La syntaxe se teinte de temps à autre d'archaïsmes, sel délicat qui s'ajoute aux saveurs déjà vives du texte. Le pouvoir d'évocation des Contes du Nord se révèle dès les titres, mystérieux, laconiques ou transparents : À l'est du soleil et à l'ouest de la lune, Le Prince dragon, Vers le Pays blanc, Le géant qui n'avait pas de c?ur dans la poitrine, Le cheval enchanté, Les trois princesses dans la montagne bleue. Et c'est déjà la promesse d'un voyage. 

Amours contrariées, métamorphoses, prophéties inexorables accompagnées de mises en garde ignorées, périples infinis et territoires glacés par-delà les frontières se dessinent sous les lignes de ces six histoires-mondes encapsulées en l'espace de quelques pages. L'intrigue est souvent familière, malgré les paysages de givre, les trolls et ce Vent du nord qui semble porter jusqu'au souffle du récit. Et c'est bien ce qui ébranle et fascine avec les contes : cette résonance qui fait qu'on y retrouve toujours quelque élément connu, une vague impression de déjà-lu, la sensation qu'ils ont circulé de voix en voix jusqu'aux confins du monde. Seule peut-être la structure narrative ternaire très marquée pourrait lasser les plus impatients de ses répétitions.

Il n'est pas à douter que ces Contes du Nord richement illustrés ne charmeront pas que les amateurs de beaux-livres, mais trouveront une place légitime dans les bibliothèques de bien des lecteurs, petits et grands. C'est du moins ce qu'on peut espérer tant il y a à puiser dans ces récits ciselés et lumineux.

Informations pratiques

Contes du Nord, illustrés par Kay Nielsen, préface de Pierre Péju

Éditions de la Bibliothèque nationale de France, octobre 2015, 29 ?

Retrouver la critique de La facture de Jonas Karlsson par Catherine Derieux ici.

 

Catherine DERIEUX lepetitjournal.com/stockholm Lundi 28 mars 2016

Commentaires

Votre email ne sera jamais publié sur le site.

Flash infos