Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

CULTURE - Portrait de femme : Natasha Kanapé Fontaine, le slam à l’état pur.

Innu_making_canoes_near_Sheshatshiu%2C_ca._1920Innu_making_canoes_near_Sheshatshiu%2C_ca._1920
Écrit par Virginie Garcia
Publié le 24 avril 2017, mis à jour le 15 juin 2018

 

Le petitjournal/stockholm a rencontré lors du mois de la francophonie la poète-interprète (slameuse), comédienne, artiste en arts visuels et militante canadienne Natasha Kanapé Fontaine. A travers ses textes, c'est toute l'histoire d'une communauté, celle des Innus, qui défile. L'histoire d'hommes et surtout de femmes qui au bord du fleuve Saint-Laurent ont lutté contre des groupes financiers. David contre Goliath ? 

 

 


Les mots à la place des armes 

?...Tu verras tomber
les ponts de passage
les voitures à la renverse
le feu pillant
les champs de maïs

Tu avaleras
mes grenades rouges
mes canneberges
mes saumons mes truites
nos colères fumées??*
*Extrait de "La Réserve"

 

Natasha est une jeune femme discrète, presque timide. A 26 ans, elle porte et transmet l'héritage des Innus, communauté autochtone de la côte nord du Québec, qui considère que leurs droits ancestraux ont été bafoués par les multinationales lors de l'occupation de leurs terres.
Pour lutter contre cette ?colonisation?, elle a choisi d'écrire et d'interpréter ses textes sur les scènes comme slameuse. Le succès de cette entreprise pacifique ne s'est pas fait attendre puisqu'elle est aujourd'hui l'une des voix les plus connues et reconnues au Canada. Son premier recueil, N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures, reflète déjà cette plume brute qui, en 2013, a été récompensée par le prix d'excellence de la Société des Écrivains francophones d'Amérique. A travers son deuxième recueil, Manifeste Assi, Natasha évoque l'injustice subie par le peuple Innu, son peuple, ses racines. Ces mots deviennent au fil des pages un véritable acte politico-philosophique.

Nous lui demandons quel événement a déclenché son envie d'écrire. ?C'est l'histoire de mon pays, de ma terre, de l'exploitation de cette dernière. C'est l'histoire d'une grosse société, Hydro Québec, qui a installé des pylônes électriques sur ces mêmes terres en complet désaccord avec les différents votes qui avaient eu lieu à ce sujet. C'est donc l'histoire d'un vol, d'une colonisation sourde mais réelle d'un peuple pacifique, installé là depuis des millénaires. Et c'est plus spécifiquement une belle journée où ma famille, mes amis, mes voisins, ont décidé de faire barrage, au sens propre du terme. Ces militants improvisés de quelques jours ont bloqué la route 138. C'est la seule route qui relie les terres entres-elles, c'est donc le seul moyen de tout arrêter. J'ai vu ma mère, mes voisines, les amies bras dessus, bras dessous, face au géant, avec pour seule arme des chants traditionnels qui en Innu criaient que vais-je donner, laisser à mes enfants si je vends mes terres ? Cette journée a changé le cours de ma vie?.

Un cri pour la femme
Les poèmes de Natasha ne sont pas seulement un hymne à son peuple mais aussi et surtout un cri pour la Femme. Car du haut de ses 26 ans, Natasha rassemble la maturité de sa mère et de sa grand-mère, et ses poèmes, où le ?je? reviens comme un refrain, reflètent cet héritage, cette expérience de vie. Dans Bleuets et abricots, son troisième recueil, Natasha rend hommage à toutes ces femmes, jeunes et moins jeunes, qui ont souffert, ont été victimes de viols, ou ont tout simplement disparu. ?J'écris pour retourner l'histoire de la colonisation, c'est un acte de renversement du passé?, nous dit-elle avec une voix humble et grave.

Natasha s'inscrit dans un double héritage poétique, car elle récupère le souffle de la poésie de résistance politique québécoise des Gérard Gaudin, André Marceau, Gilles Vigneault ou encore Gaston Mireau. Baignée par toute la tradition poétique francophone - Arthur Rimbaud est son poète français favori - , elle dépasse les identités, pour donner au sujet de la résistance de son peuple une dimension universelle, en langue française.


??Je reprendrai possession de mes droits
je reprendrai possession des mon souffle
je reprendrai possession de mes routes d'eau

Je me nommerai Mississppi
Assiniboine
Azueï
Oaxaca
j'aurai un nom de reine
ma fleur d'origine

Je suis
j'existe
je suis venue apporter la lumière aux nations
je suis venue avec la lumière

Je suis revenue pour rester
je suis revenue pour prendre pays
lui donner son nom de terre.?*
*Extrait de "Bleuets et abricots"

Natasha appartient à cette jeunesse qui a aussi le regard tourné vers l'avenir. Elle vient de publier un autre ouvrage Kuei je te salue (?kuei? signifie ?bonjour? en innu) avec le Canadien Denis Ellis Béchard. Elle décrit ce nouveau livre comme ?une réflexion sur le racisme sans barrière ni tabou?. Un nouvel acte d'amour en somme et de l'amour Natasha en a beaucoup à donner.

Pour en savoir plus :
? N'entre pas dans mon âmes avec tes chaussures
? Manifeste Assi
? Bleuets et abricots
? Kuei je te salue
? www.natashakanapefontaine.com


Virginie Garcia & Yann Torsten Long lepetitjournal.com/stockholm 25/04/2017
Photo : Fred C. Sears. Courtesy of Library and Archives Canada  et Virginie Garcia - Virg'images

Virginie Garcia Stockholm Directrice Le Petit Journal
Publié le 24 avril 2017, mis à jour le 15 juin 2018

Flash infos