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BLOG - Cochonade dans le Sichuan

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Crédits : STR / AFP
Écrit par Caroline Boudehen
Publié le 24 février 2019, mis à jour le 18 février 2021

Faste, abondance, prospérité, dolce vita : les promesses de cette nouvelle année, placée sous le signe du Cochon, ne sont pas tombées dans l’oreille d’une sourde. De nature plutôt réceptive aux signaux célestes, mystérieux ou bizarres et autres fumigènes qui rendent la vie plus poétique – et qui m’entourent depuis mon arrivée à Shanghai – il m’était une fois encore impossible d’ignorer l’astrologie chinoise, risquer d’être exclue de ses largesses ou attirer le mauvais sort.

Il était donc impératif de célébrer cet animal comme il se doit, et puisque les conseils venus du ciel étaient de « Prendre des vacances, l’argent viendrait de lui-même », j’ai dit à Grand Arbre de tout arrêter, et de se retrouver à l’aéroport fissa, c’est à dire avant que les 1 milliard et quelques de nos amis n’en fassent autant. Restait le choix de la destination.

 

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Pourquoi aller célébrer la nouvelle année lunaire dans le Sichuan ? Et bien une fois n’est pas coutume, l’année écoulée fut sans (trop d’) embûche(s), j’avais donc le sentiment que partir buller sur une plage paradisiaque à Bali pour la clôturer n’aurait pas été apprécié à sa juste valeur. Ça faisait aussi bien trop longtemps que nous n’étions pas partis à l’aventure avec Grand Arbre, c’était donc l’occasion de ressortir nos panoplies d’explorateurs, et d’aller observer toutes sortes de créatures improbables, du panda-bisounours au singe-guerrier, profiter du bon air – qui n’en fut pas un du tout – de la montagne et se connecter à l’esprit du Cochon dodu, qui nous promettait de faire les cigales toute l’année, en échappant à toute culpabilité – de la fable aux allures judéo-chrétiennes (plaisir égal punition). Ni une ni deux, nous étions dans les nuages, direction Chengdu, dans un avion à moitié vide, une étrangeté pour la période, un signe que je lus comme une absolution divine quant à notre choix. Non, passer les vacances du Nouvel An chinois en Chine ne serait pas un acte volontaire d’immersion dans une sorte d’enfer infernal.

Chengdu, la Rouen du Sichuan – un peu plus fréquentée tout de même, 14 millions d’habitants – sympathique mais pas plus, à l’air saturé de particules fines (AQI 160 en moyenne) mais, qui a la particularité d’abriter la créature la plus choupinette du monde. Le panda.

 

 

Une grosse peluche qui mange du bambou 13h par jour, chaque jour de sa vie, allongée la plupart du temps, parfois assise – mais on la sent peiner. Une sorte d’empereur romain d’après victoire. Les autres 11h, elle dort. Une sorte d’existence inutile, oisive, exclusivement dédiée à être mignonne. Totalement en phase avec l’esprit cochonesque, me suis-je dit. La ménagerie chinoise se la coule douce. Nous étions sur la bonne voie.

Une fois encore, étrangement, nous n’étions pas, en cette avant-veille de jour de l’an, en prise avec une marée humaine. Et il faisait beau. C’est tout ce que j’ai envie de retenir de Chengdu « la ville la plus touristique de Chine » comme annoncé avec humilité à la sortie de l’aéroport. Tiens donc, Pékin et sa Cité Interdite pouvaient aller se rhabiller. Sur ces considérations, nous avons rejoint le Mont Emei, toujours emmitouflés dans un moelleux manteau de pollution, dont nous ne nous sommes pas départis de toutes les vacances.

 

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Arrivés à Emeishan, village désertique et déserté au pied de la montagne, nous avons été soulagés de voir enfin débouler nos milliers d’amis en fin d’après-midi. Nous étions juste un peu en avance sur le grand rendez-vous télépathique qui semblait avoir été donné. Ils sont arrivés comme un seul homme, munis de pétards, feus d’artifice, gouailles, fumets, fumée et nourriture, emplissant l’unique rue du village d’un flot continu de crépitements, de rires et de cris. Dialogues entre le Ciel et la Terre, le divin et le Chinois. Cierges encerclant les hommes autant que les voitures, autels en tous genres disposés devant les échoppes, multitude d’offrandes pour s’assurer une protection divine… Tout l’environnement s’est soudainement pimpé, prêt à franchir la dernière ligne droite de cette année agonisante. Bols de nouilles épicées, baijiu, tête de lapin (la spécialité), intestins de tout le règne animal (autre spécialité) … Des petits banquets se sont organisés à droite à gauche, avec pour seule playlist une pétarade sans fin, mais qui devait remplir un objectif de premier ordre : éradiquer les mauvais esprits pour ripailler en toute tranquillité tout au long de la nouvelle année.

Rassurés, on a sifflé nos nouilles, tenté de dormir dans une ambiance guerrière, impatients de commencer notre rando dans la montagne le lendemain, et quitter la foule, persuadés, que, non, les Chinois, ne marchent pas, et ne sillonneront donc pas les chemins terreux et pentus avec nous.

Et bien, si, ils marchent – en tous cas, soit les choses ont changé, soit on était plus tolérants avant. Mais je penche pour la première option. Donc, on a commencé la rando tous ensemble, dans une ambiance gigantesque colonie de vacances, les Chinois cherchant les temples pour y brûler cierges et encens, et nous, la paix.

 

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Ce n’est que bien plus tard, lors de montées extrêmement pénibles – des marches, des volées de marches, des centaines de volées marches – qu’on s’est sentis, vaguement, un peu plus seuls.

 

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Mais ça n’a pas duré bien longtemps. Les Chinois aussi entendaient bien bénéficier des gâteries du cochon-cigale, même s’il fallait marcher. Nous les retrouvions à chaque étape qui menait vers le sommet, et ce de façon toujours un peu plus compacte et motivée à mesure que nous nous en approchions. Pour résumer, nous ne les avons jamais vraiment quittés.

C’est la première fois que j’expérimentais une montagne sans sentier. Ce sera probablement la dernière – barrière mentale et physique, ma rancune et mes mollets peinent toujours, une semaine plus tard, à se détendre. Construire une montagne tout en escaliers (de béton, j’entends) c’est très chinois, après analyse. C’est une histoire de mentalité : là où le sentier tournicote autour de la montagne, les escaliers de marches, eux, vont droit au but. Pas de tergiversation. Tête baissée et suante, j’ai gravi ces centaines d’étages en ayant eu la très nette impression qu’on tentait de me faire expier les péchés d’une vie… Un chemin de croix durant lequel il a fallu se battre, physiquement – contre sa mauvaise humeur et soi-même, donc – Bali ou es-tu ? – mais aussi contre des gangs de singes enragés. Oui, le Mont Emei est auto-géré par des singes, agressifs et qui ont faim.

 

 

Bâtons de bambou en guise d’épées, on a finalement réussi à leur échapper et à rejoindre le temple perdu, pour y passer la nuit. Moment de paix et de sérénité, dans lequel le Hard Wok Café a joué un rôle essentiel : cette trouvaille de gargote, au pied du temple, a fait des pancakes (ou sorte de) sa spécialité! Gloubiboulga de crêpe épaisse, chocolat, banane, miel, pomme… Priceless, quand tu te nourris exclusivement de légumes tièdes et huileux depuis plusieurs jours.

 

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Nous sommes arrivés au sommet le lendemain, dans une apparition aussi enfumée que mystique de la statue iconique de Samantabhadra, érection d’or sur ciel azur.

 

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Nous étions évidemment loin d’être seuls  – le sommet est certes desservis par des milliards de marches, mais aussi par autant de bus, téléphériques et télécabines.

Mais même si un cochon n’y aurait pas retrouvé ses petits, moi j’y ai trouvé ce que je cherchais, sans savoir exactement quoi. Je ne me suis pas sentie perdue au milieu de ce joyeux bordel, mais à ma place. En phase avec les éléments, même les plus inattendus. Une forme de sérénité finalement.

J’étais prête à gambader dans cette nouvelle année avec un esprit (et mon caractère) de cochon.

 

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Crédit photos et vidéos : Caroline Boudehen
 
Caroline Boudehen Le Petit Journal Shanghai
Publié le 24 février 2019, mis à jour le 18 février 2021

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