

Deux Français d'origine africaine, l'un cinéaste afro-antillais, Karim Akadiri Soumaïla, et l'autre écrivain d'origine béninoise, Roger Sidokpohou, installés au Brésil, s'interrogent sur la question noire dans un pays où la communauté afro-brésilienne représente 54% de la population. Lepetitjournal.com consacre un dossier en trois parties qui commence cette semaine par un entretien sur l'histoire de l'esclavage au Brésil.
Karim Akadiri Soumaïla : Peut-on imaginer un groupe ethnique africain homogène qui composerait les origines de la communauté afro-brésilienne ?
Roger Sidokpohou : Homogène au début, assurément non ! Partageant, plus tard, les mêmes valeurs spirituelles et revendications sociales face aux difficultés communes, oui ! Les razzias qui ont pillé l'Afrique, avec, il faut bien le dire, la complicité des chefs de tribus africains, ont touché à des civilisations, des cultures et des croyances spirituelles différentes. Elles ont ainsi regroupé, du jour au lendemain, des populations qui ne parlaient pas la même langue et qui n´avaient, au bout du compte, comme trait d´union, que la langue du maître, le portugais, et une religion imposée, la religion catholique. Néanmoins, on peut dire aujourd´hui que les premières déportations ont d´abord touché ceux qu´on regroupait alors sous l´appellation de Bantous ou de Kongos, c´est-à-dire les esclaves qui provenaient de l´Afrique centrale actuelle, où le Portugal avait déjà réussi, vers la fin du 15e siècle, à planter son drapeau pour des fins d´exploitation d´abord, de trafic négrier ensuite : Angola, Congo, et plus tard, le Mozambique, en Afrique australe. S'en sont suivies des

N´est-ce pas là, au fond, l´explication du syncrétisme religieux très présent au Brésil ?
Le syncrétisme religieux, c´est l´interpénétration voire l´accouplement de croyances ou de religions d´essence et d´origine différentes. Dans le cas du Brésil, ce syncrétisme était un passage obligé, pour rassurer le maître. N´oublions pas, en effet, que la religion catholique était imposée. Il a donc fallu, pour "survivre spirituellement", que les esclaves l´adaptent et l'incorporent à leurs croyances d'origine. Cette nécessité de survie spirituelle a engendré le Candomblé, version brésilienne de la religion vaudou. Voilà pourquoi l'on retrouve au Brésil tous les Orishas des pays du Golfe du Bénin, habillés de noms de saints catholiques. L'exemple le plus illustratif est sans doute Shango, dieu du tonnerre et de la justice dans la religion vaudou. Il est associé à Saint Jean-Baptiste, celui-là même qui a annoncé la venue du Christ et qui l´a baptisé sur les bords du Jourdain.
Dans les colonies voisines des Amériques et des Caraïbes se sont constitués ce que l'on appelait alors les marronnages. Comment se sont manifestés les mouvements de révoltes des esclaves au Brésil ?

Comment l'abolition de l'esclavage a pu se faire au Brésil de manière aussi tardive, en 1888, alors qu'elle était décrétée en Europe depuis 1848 ?
Pour des raisons économiques. La colonie était certes devenue une monarchie impériale depuis 1822, elle n'en demeurait pas moins une terre qui continuait à être cultivée par de la main d´oeuvre esclave, au profit des riches fazendeiros (propriétaires de grandes fermes) qui considéraient l´abolition comme un manque à gagner non compensable. Mais les actions conjuguées d´hommes politiques, d'intellectuels, d'écrivains, d'avocats, d'étudiants, d'affranchis, appuyées cette fois-ci par les pressions internationales de l´occident européen et de l´église catholique, ont fini par créer un mouvement abolitionniste national et irréversible. ?Je voudrais souligner à cet égard l'apport significatif de Luiz Gama, descendant d´une mère d´origine Nago, esclave devenu écrivain et avocat, défenseur des pauvres et des esclaves (lire le livre de Ligia Ferreira Com a palavra-Luiz Gama). Par ailleurs, un

Propos recueillis par Karim AKADIRI SOUMAILA (www.lepetitjournal.com - Brésil) jeudi 14 août 2014
*Légendes photo : Praça dos escravos à Rio (photo 1 - Solange Bailliart / Museu AfroBrasil de São Paulo), Dessins représentant différentes ethnies : Angola, Cabinda, Minas et Congo (photo 2 - Solange Bailliart / Museu AfroBrasil), Zumbi dos Palmares (photo 3 - Solange Bailliart / Museu AfroBrasil), Luiz Gama (photo 4 - reproduction)
Originaire du Bénin, Roger Sidokpohou a passé 23 ans en Afrique, puis 23 ans en France. Installé au Brésil depuis 18 ans, il a écrit trois ouvrages sur l'Afrique, Les Années Lumière en 2003, Le Griot en 2007 et Nuit de Mémoire en 2009. ?En 2000, à l'occasion de la commémoration des 500 ans du Brésil, il a reçu le titre de Commandeur dans l'Ordre du mérite civique afro-brésilien (Commendador a Ordem "Cruz do Mérito Memória e Alma de Zumbi"). De père nigérian, ancien diplomate à l'ONU, et de mère martiniquaise, Karim Akadiri Soumaïla est né en France et a grandi à Paris. Diplômé de l'Ecole supérieure d'études cinématographiques (Esec), il a écrit et réalisé plus d'une vingtaine de fictions, documentaires et films institutionnels pour les télévisions européennes : Villa Belle France, Négro, Latin Jazz à New York, Brian de Palma, l'incorruptible, etc. Au Brésil, il a réalisé des reportages pour Arte sur Les résidences privées d'Oscar Niemeyer, Le design des frères Campana, A Retomada. |
