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GERT-PETER BRUCH - "Valdelice Veron porte en elle tout le cri du peuple Guarani-Kaiowá"

Écrit par Lepetitjournal Sao Paulo
Publié le 20 juillet 2015, mis à jour le 21 juillet 2015

Lundi à l'Elysée et ce mardi au Conseil économique et social à Paris se déroule le Sommet des consciences, un événement organisé notamment par Nicolas Hulot, accompagné de nombreuses personnalités aussi diverses qu'Arnold Schwarzenneger, Pierre Rabhi, le Prince Albert II de Monaco ou encore Marina Silva, afin de lancer un "appel des consciences" destiné aux négociateurs de l'accord de Paris sur le climat, COP 21. Parmi ces participants, Valdelice Veron, porte-parole du peuple Guarani-Kaiowá, de l'Etat du Mato Grosso do Sul au Brésil, invitée grâce à l'aide de Gert-Peter Bruch, président de l'ONG Planète Amazone. Il explique son choix au Petitjournal.com.

Lepetitjournal.com : Valdelice Veron sera présente au Sommet des consciences, mais également mercredi à l'Assemblée nationale. En quoi consiste ce dernier événement ?
Gert-Peter Bruch :
C'est une rencontre-débat à l'Assemblée nationale, à Paris, à l'invitation d'un député, Jean-Louis Roumégas (Hérault, Verts), qu'on connaît depuis un certain temps maintenant et qui nous accompagne sur nos engagements contre la déforestation, les grands barrages en Amazonie et en soutien aux populations autochtones, notamment du Brésil. Ce qui démontre qu'une infime partie de la classe politique française se mobilise sur ces questions.

Parlez-nous de la lutte menée par Valdelice Veron, c'est la première fois qu'elle vient en France ?
Oui, c'est la toute première fois qu'elle vient en France et en Europe. Elle n'avait jamais quitté le continent sud-américain jusqu'à ce jour. C'est donc un événement dans cette vie de femme qui est assez terrible, ponctuée de massacres. Comme elle le dit : "Depuis que je suis petite, je ne vis qu'au milieu des violences, des attaques, de la terreur et des morts violentes qui touchent mon peuple". Valdelice Veron, c'est une jeune leader indigène de la nouvelle garde des grands militants de cette lutte qui, au Brésil, est assez historique, débutée à la fin des années 1970 avec des chefs comme le cacique Raoni. Elle raconte notamment que son père, Marcos Veron, qui a été assassiné, a lutté à plusieurs occasions avec des anciens tels que Raoni. On l'a vue beaucoup lors des dernières grandes mobilisations indigènes autour de la PEC 215 (sur la démarcation des terres indigènes, ndr) à Brasilia. Immédiatement, son discours a été fracassant et tellement poignant qu'il paraissait presque surréaliste. Il émane de cette femme une force, une rage, une volonté de survivre et une douleur qui font qu'elle est exceptionnelle. Elle porte en elle tout le cri d'un peuple. Je l'ai croisée à plusieurs reprises à Brasilia et, ayant recueilli son témoignage sur ma caméra, je me suis promis de le diffuser. On l'a montré notamment en 2013 devant l'ambassade du Brésil en France lors de la Journée internationale des droits de l'homme, et je prépare actuellement un documentaire de 90 minutes où il aura une place capitale. C'est aussi grâce à ce témoignage montré à Nicolas Hulot, qui l'a bouleversé, qu'il a décidé de la convier au Sommet des consciences.

Quelle est la situation actuelle des Guarani-Kaiowá ?
La situation est totalement critique actuellement. Ils ont encore été attaqués à la fin du mois dernier par des hommes armés : un enfant est mort, un village a été brûlé, tuant les animaux, deux autres enfants ont été kidnappés et relâchés deux jours plus tard au milieu de la forêt. C'est comme cela tout le temps, des menaces de mort et des assassinats qui s'en suivent. Ce peuple, ce sont des gens qui ont été arrachés à leurs terres au cours de processus qui ont duré plusieurs dizaines d'années, aggravé ces dernières années par la production d'éthanol dans le Mato Grosso do Sul. Cette fois, des indigènes ont décidé que quoi qu'il leur en coûte, ils retourneraient sur leurs terres traditionnelles parce qu'ils ne peuvent pas vivre autrement, sinon ils meurent. Ils préfèrent désormais mourir pour leur terre.

Quelle est la réponse des autorités brésiliennes face à ces exactions ?
Elles ne font rien et on peut tout à fait les accuser de non-assistance à personne en danger. A ce stade-là, Dilma Rousseff a du sang sur les mains parce qu'une grande partie des terres indigènes Guarani-Kaiowá a été démarquée, mais la toute dernière étape qui manque, c'est la signature de la présidente brésilienne. Tout le travail a déjà été fait depuis plusieurs années, mais elle ne veut pas signer parce qu'il y a derrière des intérêts économiques, avec des lobbys très puissants au parlement brésilien, qui peuvent faire et défaire des présidents actuellement. Ce n'est pas étonnant que Katia Abreu (à la tête d'un empire agricole, pro-OGM et surnommée "Miss Déforestation" par les écologistes brésiliens, ndr) ait été nommée ministre de l'Agriculture.

On voit régulièrement des personnalités indigènes, dont le cacique Raoni, être reçues par des hommes politiques français de tous bords, mais n'est-ce pas que purement symbolique et pour se donner bonne conscience sans aucune action derrière ?
C'est assez compliqué parce qu'il y a beaucoup d'accords économiques entre la France et le Brésil et on ne peut pas se fâcher avec ce dernier aujourd'hui. Cela pose un vrai problème et c'est pour cela que des cas comme les Guarani-Kaiowá ne sont pas dénoncés internationalement à la hauteur de ce qu'ils devraient être. C'est un cas indigne, innommable et inhumain, on est là dans le domaine du crime contre l'humanité. Et les intérêts économiques ne peuvent pas tout excuser jusqu'à ce stade-là. Mais il faut se dire que le fait que Valdelice Veron soit invitée par les plus hautes autorités de l'Etat français est signe d'un soutien important. Ils savent que c'est un cas critique, c'est un peu plus que de la communication, selon moi. Ils ne peuvent pas franchir certaines limites pour ne pas risquer l'incident diplomatique, mais c'est un pas important qui est fait, un engagement qui va plus loin que ce qui a été fait ces derniers temps.

Planète Amazone vient-elle en aide d'autres peuples du Brésil ?
Les Guarani-Kaiowá sont le cas le plus grave au Brésil et il y a une marge entre eux et d'autres. On n'a pas non plus les moyens comme Greenpeace ou Amnesty International pour venir en aide de dizaines de peuples, mais pour nous, les Guarani-Kaiowá étaient une évidence. On ne comprend d'ailleurs pas forcément bien pourquoi toutes les ONG ne sont pas unanimes sur ce cas-là, mais on espère que cela va bouger.     

Propos recueillis par Corentin CHAUVEL (www.lepetitjournal.com - Brésil) mardi 21 juillet 2015

*Légende photo : Valdelice Veron et Gert-Peter Bruch / Planète Amazone

- Voir le site de Planète Amazone

lepetitjournal.com sao paulo
Publié le 20 juillet 2015, mis à jour le 21 juillet 2015

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