Édition internationale

CHRONIQUE - Mais où est passé Roberto Sedinho ? (2/3)

Écrit par Lepetitjournal Sao Paulo
Publié le 15 avril 2024

Arrivé au Brésil, un fan pensait retrouver les traces de l'idole de son enfance, le footballeur Roberto Sedinho, mais dans son pays natal, personne ne semble se souvenir du célèbre n° 10 brésilien. Mais où est passé Roberto Sedinho? Enquête menée dans l'univers du football brésilien. Mythique

Museu do Futebol - A l'étage, je suis accueilli par un Pelé sous cristaux liquides ? souriant, polyglotte mais un jeu rasoir : il répète la même phrase en boucle en trois langues différentes.

Puis je traverse une salle où des hologrammes me font une démonstration de leur talent, balle au pied : passement de jambes, roulettes et autres coups du sombrero. Vingt cinq joyaux de la seleção, de Zico à Ronaldinho en passant par Garrincha et Roberto Carlos. Vingt cinq spectres qui me traversent à la manière d'un Patrick Swayze dans Ghost. Spectacle fascinant mais toujours aucune trace de Roberto Sedinho ; pas même sur le mur aux étoiles qui détaille les biographies de chacun d'entre eux.

Je ne suis pas le seul que cette liste intrigue. Un jeune homme en polo gris scrute la liste d'un air perplexe. Je lui demande quel est son joueur préféré. Il me répond « Romario » pour son sens de l'« espace ». C'est du moins ce que je crois comprendre car sa réponse s'est bornée à ces deux mots : Romario et Espaço, avec un léger mouvement de la main mimant un dribble. Le croyant timide, je ne cherche pas en savoir davantage, je lui dis simplement que c'est un joueur qui m'a aussi beaucoup marqué et qu'avec Bebeto, ils constituaient probablement la meilleure paire d'attaque de l'histoire du football.

Il sourit sans rien ajouter. Puis, après quelques secondes et au prix d'un grand effort, il articule : « de-qua-u-ci-da-de-da-Fran-ça-vo-cê-é? ».
De Paris, lui réponds-je. Un bref éclair dans l'?il : j'ai cru y voir la Tour Eiffel.
Une réponse qui attire l'oreille d'une jeune femme derrière nous : « Francêêêês ? Paris, de verdaaaade ? », s'écrit-elle.

Paris ? Elle adôoooore Paris, et particulièrement ses écrivains : Sartre, Camus, Proust... Une référence si fréquemment entendue à l'étranger que cela en devient inquiétant pour le rayonnement de la culture française. « Quelqu'un a-t-il écrit quelque chose depuis quarante ans en France ? » serait-on tenté de demander.
La jeune femme, look urbain casual, vaguement bohème des jeunes femmes trendy des grandes métropoles, dit travailler pour un grand média brésilien ? dont le nom ne m'évoque rien mais c'est normal. Venue au Museu do futebol pour en faire la chronique, elle est très intéressée par notre avis.
Le jeune homme en polo gris n'a pas besoin de ce temps de réaction : d'un débit rapide, il évoque la carrière de ses idoles d'enfance si magnifiquement exposées ici, exprime sa foi en son équipe et finit en donnant son pronostic sur les performances de la seleçao lors la prochaine coupe du monde.


Et moi, qui l'avais cru bègue? il faisait seulement un effort pour être compris par le gringo !
J'en suis sonné? et je trouve du coup, difficilement mes mots pour dire mes impressions à la chroniqueuse. Je tends un bout de papier où sont griffonnées les dates de coupe du monde où la France a éliminé le Brésil ces trente dernières années : 1986, 1998, 2006.
La chroniqueuse fait une tête interdite. Elle croit à une liste défensive ou pire, chauvine - ah, les Français et leur manie de se croire constamment les meilleurs? C'est pourtant tout sauf l'idée ? question palmarès, l'équipe de France est encore très loin du compte : les uns ont leur étoile, les autres une constellation. Je tente seulement d'expliquer que les Bleus sont un peu leur chat noir - sur quatre défaites subis par le Brésil en phase finale de coupe du monde, trois sont le fait de l'équipe de France ? et comme la France fonce alors tout droit vers les barrages, c'était peut-être une bonne nouvelle pour eux?


Une théorie qui ne semble pas convaincre mes interlocuteurs. (Trop gagne-petit comme mentalité pour la patrie du football ?). 2014, la coupe du monde qu'ils organiseront leur est déjà promise. 2010 sera pour d'autres alors? Tel est pronostic que me distille l'ex-bègue avant de filer.
Zut ! J'ai oublié de lui demander s'il connaissait Roberto Sedinho.

La chroniqueuse ne compte pas me laisser filer à aussi bon compte. Elle veut les impressions d'un Français sur ce musée. Visite du Museu do futebol avec un Francês, super angle pour sa chronique, dit-elle.
Je me prête finalement au jeu. Et même avec un certain plaisir, je dois l'avouer.
Lorsque nous passons devant l'espace réservée à 1998, je ne peux m'empêcher de jubiler : je chantonne le petit air du I will survive victorieux. La chroniqueuse me demande si c'est celle-ci qui s'est terminée avec la cabezada de Zizou.
Et c'est moi qui tombe sur la tête. Elle ne se rappelle que vaguement la victoire française au dépend du Brésil au Stade France le confondant avec le dénouement malheureux (pour nous) de la coupe du monde 2006.
Un erratum plus tard, la demoiselle m'avoue qu'ayant des ascendances italiennes et étant au moment de l'évènement en Espagne, elle n'a pas ressenti un chagrin démesuré à l'aune de la victoire de la squadra azzura?

Au simulateur de tirs aux buts, près de la sortie, j'ai voulu la ramener au bon souvenir la Panenka de Zidane de cette fameuse finale?




? mais je n'ai finalement pas mieux fait que le pénalty aérien de Baggio de la finale '94.



Tant pis.

La chroniqueuse relit ses notes d'un air satisfait ; elle doit avoir la matière suffisante pour écrire. Avant de se quitter, elle me demande si je me souviens de quelque chose de drôle que j'aurais dit, de « francês » précise-t-elle. Etrange exercice.
Je comprends alors que pour rendre sa chronique réellement piquante, il faudrait que je dise ou fasse quelque chose conforme à l'idée que les Brésiliens se font des Français. Il lui manque un cliché.

J'y réfléchis une seconde. N'ayant ni baguette de pain, ni béret sous la main, n'étant ni spécialement arrogant, n'ayant pour la mode et la grande cuisine qu'un intérêt modéré, ne pouvant « filer à la française » comme on dit ici, je fais un « mauvais » Français.
Je me rappelle alors que j'ai justement un livre d'Albert Camus dans ma sacoche ? La Peste, instructif en temps de Grippe A. Je me laisse photographier avec ce bling bling culturel. Pour une fois, un cliché dont je ne suis pas peu fier.
Tchau, Mademoiselle et Obrigado.

Les réponses sont finalement venues de là où je ne les attendais plus : Internet.
Un homonyme, apparemment italien, de Roberto Sedinho auquel j'avais écris m'a répondu :
« Ma che dici ?! Roberto è un personagem de Holly e Benji (Captain Tsubasa), è uno spokon manga giapponese sul calcio ! ».





Non, je ne parle pas italien mais le lien qu'il m'a indiqué est suffisamment parlant :

Voilà la vérité nue : Roberto est un personnage de fiction.

Après avoir visionné cette vidéo, évidemment, tout m'est revenu de mes mercredis Club Dorothée et du générique de ma série préférée : Oli-ve-et-tooom-ils-sont-toujours-en-forme. J'ai aussi compris pourquoi ma mémoire en avait fait abstraction : quel enfant de six ans et demi pourrait se remettre d'un tel abandon ?

Walid Rachedi (www.lepetitjournal.com - Brésil) jeudi 24 juin 2010

Relire: CHRONIQUE - Mais où est passé Roberto Sedinho ? (1/3)

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Publié le 24 juin 2010, mis à jour le 15 avril 2024

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