

Il y a quelques mois, l'Institut Tomie Ohtake ouvrait ses portes pour recevoir l'exposition ?Opa !? réunissant les créations de deux artistes nippons : la styliste Junko Koshino et le plasticien Go Yayanagi. Devant le succès remporté, la maison consacre maintenant un nouveau volet à Yayoi Kusama, artiste japonaise reconnue internationalement pour ses travaux obsessionnels, qui vont de l'imprimé petits pois aux organes génitaux masculins. L'exposition ?Obsessão Infinita? est à découvrir jusqu'au 27 juillet.
S'agissant de la première rétrospective de l'oeuvre de Yayoi Kusama, en Amérique Latine - si vous n'avez pas eu la chance de voir celle de New York (2011) ou de Paris (2012) -, courez-y vite ! Après être passée brièvement au MALBA de Buenos Aires, puis au CCBB de Rio et Brasília - en version nettement plus réduite pour faute d'espace -, l'exposition fait un récapitulatif de la carrière de celle qui est l'artiste japonaise vivante la plus célèbre au monde. Vous y trouverez rassemblées, quelques 100 oeuvres d'art, réalisées entre la fin de la Seconde Guerre Mondiale et de nos jours, et cela sous divers supports : peintures, sculptures, vidéos, installations, diapositives, espaces interactifs, performances, etc. Il faut aussi savoir que cette rétrospective a été organisée par les commissaires du Musée Tate Modern de Londres (Philip Laratt-Smith et Frances Morris) et qu'elle est donc en permanence accompagnée de légendes en anglais et en portugais.
Avec ?Obsession Infinie?, l'Insitut Tomie Ohtake retrace la trajectoire de ce personage pour le moins rebelle - on la surnomme très vite de "Phallic girl", terrorisée qu'elle est par le corps masculin. Yayoi est née au Japon, en 1929, dans la ville de Matsumoto. Elle a débuté dans les années 40, par des oeuvres semi-abstraites et assez poétiques, avant de se lancer dans sa première série connue sous le nom de ?Infinity Nets? (1950-60). On y relève une obsession incroyable pour les points, les ronds et arcs de cercles, répétés à l'infini et provoquant une illusion d'optique psychédélique. A l'époque, elle déclare : "J'avais en moi le désir de mesurer de façon prophétique l'infini de l'univers incommensurable à partir de ma position, en montrant l'accumulation de particules dans mes mailles d'un filet où les pois seraient traités comme autant de négatifs. [?] C'est en pressentant cela que je puis me rendre compte de ce qu'est ma vie, qui est un pois. Ma vie, c'est-à-dire un point au milieu de ces millions de particules que sont les pois."
Une façon d'exorciser ses peurs

En émigrant aux Etats-Unis en 1957, elle pose ses valises à New York et entre inévitablement en contact avec les artistes importants de l'époque : Andy Warhol et Donald Judd, mais également Claes Oldenberg et Joseph Cornell. Changement de cap radical ! Elle abandonne le dessin pour se consacrer aux sculptures flexibles, connues sous le nom de ?Accumulations?, formées à partir d'objets banals du quotidien (chaises, sacs à main, escabeaux, etc.). Ses deux séries les plus connues sont celle des rotelles (pâtes sèches italiennes en forme de roues) : ?Obsession pour la Nourriture?, ainsi que celle des escarpins contenant des phallus : ?Obsession Sexuelle?. Si l'on est justement à l'époque du Minimalisme et du Pop Art - qui se caractérise par la répétition incessante d'objets -, ces installations sont aussi et surtout le reflet du caractère obsessionnel de l'artiste, enclin à toutes sortes de compulsions et de fixations psychologiques. Yayoi explique : "Après avoir enlevé les draps dans lesquels je dors, je fais pleins de sexes masculins avec le tissu des draps que je couds à la machine, ensuite, je les remplis de coton, j'en fais des tonnes du matin au soir et je les entasse dans ma chambre comme une montagne ; enfin, je les colle sur ma table, sur les chaises, la glacière, le lit, partout, sans m'arrêter."
En 1963, l'ensemble intitulé ?Agrégation: une exposition de 1000 barques? en étonne plus d'un. Il s'agit d'une salle carrée, peinte en noir et dont les murs sont recouverts de 999 photos sérigraphiées, identiques à la petite barque en bois qui se situe au centre de l'espace - hérissée de phallus en papier maché, rabougris et tordus comme autant de champignons grouillant comme des vers de terre. Très innovateur pour son temps.
Deux ans plus tard, Yayoi Kusama crée sa seconde installation : ?Infinity Rooms?, dont vous pourrez également voir un exemple (20 secondes, 4 personnes maximum, juste le temps de tirer un Instagram?). C'est une salle entièrement recouverte de miroirs et jonchée de phallus en tissu blanc à pois rouges.
La radicalisation progressive de l'oeuvre de Yayoi Kusama se poursuit par une multitude de performances live, de happenings, d'actions et interventions - bases de la sub-culture des centres urbains et qui font rapidement la notoriété de l'artiste. En 1968, surgit ?Auto-oblitération?, un film expérimental qui documente ses activités au jour le jour - tout à fait sur la même longueur d'onde que le mouvement Zeitgeist de l'époque.

S'il est une jeune femme pour qui le concept de sublimation freudienne s'impose de façon aussi évidente, c'est bien Yayoi qui a su canaliser l'énergie des obsessions et des terreurs qui la travaillaient depuis l'enfance, en une création artistique débordante. La folie constitue d'ailleurs une partie permanente de sa vie puisque c'est elle-même qui décide de retourner dans son pays natal (1973) pour y être internée ensuite de son plein gré (1977), dans une institution psychiatrique, où elle demeure encore aujourd'hui. Toutefois, même à l'âge de 85 ans, elle s'osbtine à réaliser une création par jour. Obsession oblige !
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Marie-Gabrielle BARDET (www.lepetitjournal.com/sao-paulo) mardi 27 mai 2014
Informations pratiques :
Instituto Tomie Ohtake - Av. Faria Lima, 201 (entrée R. Coropés, 88 - Pinheiros)
du 21 mai au 27 juillet (sauf lundis) de 11h à 20h ? entrée libre
www.institutotomieohtake.org.br
Tel : 2245-1900





