

Et si le Brésil était devenu une colonie française ? Séduisante possibilité soulevée par le diplomate et écrivain Jean-Christophe Rufin au fil des 595 pages qui composent son roman Rouge Brésil. Prix Goncourt 2001, il vient d'être librement adapté en téléfilm par Sylvain Archambault.
France 2 adapte en deux épisodes de 90 minutes, diffusés ce soir et demain, le roman à succès de Jean Christophe Rufin, Rouge Brésil. A l'écran, Théo Frilet et Juliette Lamboley incarnent Just et Colombe, deux jeunes enfants embarqués contre leur gré dans une entreprise folle de conquête française au Brésil au 16e siècle. L'interprétation de Sylvain Archambault suit avec fidélité les premiers pas du chevalier de Villegagnon (Stellan Skarsgard), le principal instigateur de ce projet colonisateur auquel on donna le nom de "France Antarctique". Aventure au départ enthousiasmante, les problèmes ne surgissent que trop rapidement : les colons français s'entredéchirent, alors que gronde la menace portugaise. Quant à Just et Colombe, ils emprunteront peu à peu des chemins opposés.
Splendeurs et misères de la colonisation sous les Tropiques
Au départ de trois embarcations du Royaume de France, une petite fille s'agrippe au bras de son jeune frère, tandis que s'éloignent les rives de la cité nouvellement construite du Havre-de-Grâce. Just et Colombe, enrôlés de force comme truchements (jeunes mousses servant d'interprètes entre les Indiens et les armateurs), ne connaissent rien encore de leur destination. Pourtant le nom de "Brésil" résonne déjà à leurs jeunes oreilles comme la promesse d'un nouvel Eden. Rouge, la bannière sur le pont des vaisseaux français en partance.
Nombreux sont ceux qui se sont engagés dans cette traversée, aux côtés du chevalier de Villegagnon, à la conquête de territoires toujours plus lointains. Le projet délirant de la "France Antarctique" - entreprise colonisatrice en territoire ibérique qui s'échelonna de 1555 à 1560 sous les ordres du chevalier de Villegagnon grâce au soutien du prince Henri II - présage pour les marins la conquête douloureuse d'un territoire inconnu encore largement dominé par la flotte portugaise. Rouge, les morts sur l'étendard de la gloire impérialiste.
Chronique haute en couleur du Brésil des origines
Par le récit imagé d'un exil aux confins du Brésil, Jean-Christophe Rufin berce le lecteur des senteurs du Nouveau Monde. Il dépeint la jungle tropicale affolante, les nuées de perroquets bariolant le ciel brésilien. Du fond des cascades d'eau claire s'élève le murmure en langue Tupi de ces primitifs anthropophages dont Rufin décrit de manière très précise les rites. L'entrée dans la baie de Guanabara, qui des années plus tard abritera Rio de Janeiro, exerce une fascination sur les voyageurs, mais aussi sur les lecteurs. Peu à peu les colons succombent à la tentation de s'abandonner à la simplicité du mythe du bon sauvage. Rouge, les cannibales aux rites bigarrés.
Mais très vite l'auteur distille avec élégance les signes avant-coureurs d'un désastre annoncé. Car la "France Antarctique" - caprice de la cour progressiste du jeune Henri II livrée à l'obscurantisme de la Réforme - n'est rien de moins que le damier d'une tragédie qui se trame de l'autre côté de l'Atlantique. Avec doigté s'avancent les pions de cet échiquier sanglant que seront les guerres de Religion. Rouge, le sang des chrétiens coulant à flot.
"Surhumain, le rêve de cette France à venir l'était à tel point qu'on pouvait seulement le tenir pour fou ou admirable". C'est avec grandeur et courage que Villegagnon édifie, contre vents et marées, la colonie française, le Fort-Coligny. L'entreprise du chevalier, à la conquête du "pays des perroquets", en dit long sur le personnage. Mais qui est donc cet homme fougueux ? Rufin en propose un portrait flatteur et amer, qui dépeint les dérives d'un homme converti à l'humanisme pieux de ses maîtres et amis François Rabelais et Jean Calvin, formé aux armes de l'Ordre de Malte. Son acharnement à la conquête du Brésil traduit-il la mégalomanie d'une entreprise vouée à le dépasser ? Dans ce combat le Portugal sortira grandi et intensifiera son influence sur les terres brésiliennes. De ce combat perdu naîtra Rouge, la couleur du bois "pau brasil", qui donnera son nom au pays.
JP (www.lepetitjournal.com ? Brésil) mardi 22 janvier 2013
Pour aller plus loin :
- Nicolas de Villegagnon, ou l'Utopie Tropicale de Serge Elmalan
- Histoire d'un voyage fait en terre de Brésil de Jean de Léry





