Invité par l'Université pontificale catholique de Rio de Janeiro du 21 au 25 mai 1973, Michel Foucault a donné une série de conférences sur le thème : La vérité et les formes juridiques [2], dans lesquels il a abordé quelques unes des interrogations centrales de sa pensée, notamment l'histoire du pouvoir judiciaire, la naissance de la prison et la société de contrôle
Du pouvoir judiciaire à la question de l'articulation du savoir-pouvoir ou pouvoir-savoir
Comment les domaines du savoir, en relation avec les pratiques sociales et notamment les pratiques judiciaires, se sont inscrits dans des jeux stratégiques et problématiques laissant émerger de nouvelles formes de subjectivité ? Telle est la pensée que retrace Michel Foucault. De l'épreuve à l'enquête, de l'enquête à l'examen c'est l'élaboration de la vérité qui est questionnée dans sa relation au domaine politique et judiciaire. Elaboration qu'impliquent également les liens existants entre le pouvoir et le savoir, le savoir et le pouvoir comme le confirme la naissance de la société disciplinaire.
De l'épreuve à l'enquête
C'est à partir d'une réflexion sur le pouvoir judiciaire que Michel Foucault détermine les moyens mis en ?uvre pour régler ou punir des actes considérés comme illicites. Que ce soit dans la Grèce archaïque ou dans le haut Moyen-âge, les torts sont gérés non pas au travers de la preuve de la vérité mais au travers de l'épreuve. Epreuve dont la valeur est celle d'une déclaration qui s'illustre d'une part en jurant devant les dieux que ce qui est énoncé est vrai et d'autre part en prenant le risque d'attirer leur colère en cas de mensonge. C'est ce que retrace au chant XXIII de l'Iliade le différend qui oppose Ménélas et Antiloque relativement à une course de chars. Ménélas conteste la victoire d'Antiloque, mais plutôt que de demander l'avis d'un témoin présent sur le lieu du litige, les deux hommes vont être confrontés à une épreuve. On comprend dans cet exemple pris par Michel Foucault, que la vérité n'est pas de l'ordre de l'analyse objective mais de l'ordre de l'honneur relatif aux paroles énoncées devant les dieux. Différemment, dans le Haut Moyen-âge, l'épreuve sert à déterminer des torts et à réunir alors les meilleurs appuis pour se disculper d'un crime dont on est accusé. Elle se décline alors en épreuve de force par les armes, ou épreuve physique comme dans l'ordalie. Si le pouvoir judiciaire dans les sociétés féodales peut être représenté par les personnes les plus puissantes, sa seule raison d'être au cours de l'épreuve n'est que de constater la régularité de la procédure. Le pouvoir judiciaire à cette époque n'est finalement qu'un arbitrage.
Michel Foucault ne cesse de nous inviter à nous interroger sur ce qu'est notre présent, notre actualité, sur ce que sont les événements qui aujourd'hui encore bien que nous précédant continuent de nous traverser. Ce philosophe est une des références importantes de la pensée française au Brésil comme en témoignent ses nombreuses ?uvres traduites en portugais. Le prochain article traitera de la confiscation du pouvoir judiciaire par l'Etat, suite des réflexions relatives aux conférences données à Rio de Janeiro en mai 1973.
Claudine SAGAERT (www.lepetitjournal.com - Brésil) vendredi 4 juin 2010
[1] Michel Foucault philosophe français du XXe siècle (1926-1984), a été Conseiller culturel en Suède, professeur à l'université de Tunis, professeur au collège de France, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Les mots et les choses, L'histoire de la folie à l'âge classique, Surveiller et punir, Histoire de la sexualité?
[2] Michel Foucault, La Vérité et les formes juridiques, Conférence à L'université pontificale catholique de Rio de Janeiro, du 21 au 25 Mai 1973, in Dits et écrits, I, 1954-1975, Paris, Quarto-Gallimard, 2001, pp. 1406-1514
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