En fait, il ne s'agit pas de jardin, mais bien d'une immense terrasse au sommet du plus ancien gratte-ciel de la ville de São Paulo. Récemment restauré, le dernier étage de l'immeuble est accessible à tous, pour y contempler la ville à 360 degrés. Une vue imprenable à ne pas manquer...
Avec ses 30 étages, l'Edificio Martinelli fut le premier gratte-ciel à être érigé en Amérique latine. Situé en plein centre-ville, à un triangle on ne peut plus stratégique (croisement des rues São Bento et Líbero Badaró avec l'avenue São João), sa construction a mis une décennie à être achevée.
En 1924, les travaux commencent et 12 étages sont élevés en l'espace de cinq ans. Vient ensuite la seconde moitié qui se termine en 1934, avec au sommet, une immense terrasse qui offre une vue panoramique de São Paulo. De nos jours, par ciel bleu (et si la pollution le permet), on y aperçoit la Serra da Cantareira et le Pic du Jaguará, mais aussi les antennes de télévision de la Paulistaet l'immense selva de pedra (jungle de pierre) qui s'allonge à perte de vue.
Un architecte hongrois
Bien que ce soit un architecte hongrois (William Fillinger) qui en ait conçu le projet, le bâtiment est connu sous le nom de son propriétaire, un homme d'affaires italien : Giuseppe Martinelli. A l'image de Gustave Eiffel, celui-ci rajouta au dernier instant la "Casa do Comendador" - réplique d'une authentique villa italienne et l'équivalent de cinq autres étages, où les riches et puissants de l'époque se réunissaient pour des fêtes somptueuses. Ce fut d'ailleurs la résidence particulière de Martinelli, qui entendait ainsi prouver au peuple que son gratte-ciel ne risquait pas de s'effondrer. En effet, dans les années 1930, l'idée de construire un édifice aussi haut, en contraste évident avec le quartier de la ville basse, paraissait farfelue et utopique !
L'immeuble comporte tout ce qu'il y avait de plus luxueux dans les Années Folles : portes en pin de Riga, escaliers en marbre de Carrare, miroirs et papiers peints de Belgique, sanitaires d'Angleterre, ascenseurs de Suisse, fresques murales d'artistes italiens et pas moins de 40 km de corniches en plâtre. En ce qui concerne la façade externe, la partie basse est en granit rouge ; les étages supérieurs, eux, sont recouverts d'un mélange (trois tons de rose) fait de sable extra-fin de Provence, de verre pilé, de cristal de roche et de particules de mica (qui font scintiller les murs à la tombée de la nuit). La toiture est en ardoise.
Une fortune sacrifiée
Inutile de préciser que Martinelli sacrifia toute sa fortune dans la construction de l'édifice. Vers la fin des travaux, incapable d'obtenir un soutien financier, l'homme d'affaires dût se résoudre à vendre une partie du bâtiment à l'Istituto Nazionale di Credito per il Lavoro Italiano all'Estero. En 1943, en pleine Seconde Guerre Mondiale et sous le prétexte que l'Italie était l'alliée de l'Allemagne, l'Edificio Martinelli fut confisqué par le gouvernement brésilien.
Le gratte-ciel est d'ailleurs passé par toutes sortes d'épopées ! Sa terrasse au sommet abrita en 1932 une batterie de canons anti-aériens pour défendre la ville des vermelhinhospendant la Revolução Constitutionalista, mais aussi et surtout pour empêcher l'immeuble d'être bombardé. Quant le Zeppelin survola la ville en 1933, l'engin fit une pause au-dessus de la terrasse et on fit descendre l'escalier ! La maison fut aussi le siège de plusieurs partis politiques : l'ancien PRP, le PC, le PI et l'UDN. Certains clubs de football occupèrent également les locaux, dont le Palestra Itália (aujourd'hui Palmeiras), la Sociedade Portuguesa de Desportos et l'IT Clube. Mais également l'ancienne salle de cinema Rosário et l'école de danse classique du Pr. Patriz.
Pratiquement un cortiço* !
Dans les années 1960, sous la dictature, les lieux sont pris d'assaut par toutes sortes de malvenus : criminels, mendiants, proxénètes et prostituées, drogués, etc. En 1975, à l'aide de soldats armés jusqu'aux dents, la mairie de São Paulo procède à l'expulsion pure et simple. Le constat est dantesque. Il faut savoir que l'immeuble (de forme carrée) possède en son sein un puits de ventilation, où les "squatters" déversaient tout simplement ordures et... cadavres. Quand la ville récupéra l'édifice, la taille des immondices atteignait le neuvième étage et il fallut six mois pour les retirer !
Quatre ans plus tard (1979), le maire de l'époque, Otávio Setúbal, inaugure les locaux tout neufs. Ce sont toujours ceux d'aujourd'hui. Actuellement, l'immeuble abrite les Secretarias Municipais de Habitação e Planejamento, les entreprises Emurb et Cohab-SP, mais aussi le siège du Sindicato dos Bancários de SP, ainsi que divers établissements commerciaux au rez-de-chaussée.
Avenida São João, 35
Visites gratuites du lundi au vendredi de 9h30 à 11h30, puis de 14h à 16h
http://www.prediomartinelli.com.br/visitas.php
*Il n'y a pas de terme exact en français pour traduire cortiço. Le mot dérive en portugais de cortiça (liège), matériau avec lequel on confectionnait autrefois les ruches d'abeilles. C'est donc le concept d'essaim, de bourdonnement et de surpopulation qu'il faut en retirer. En effet, après la Révolution Industrielle du 19e siècle et les journées de labeur exténuantes, les ouvriers se mirent à construire leur maison près des usines. Ces "baraques" improvisées, faites de bric et de broc, étaient occupées par plusieurs familles pauvres, agglutinées les unes aux autres, d'où l'idée de ruche.