Au milieu de la baie de San Francisco, à seulement 2 kilomètres de Fisherman's Wharf, se dresse une île rocheuse qui a hanté l'imaginaire américain pendant des décennies. Alcatraz – "The Rock" comme l'appellent les Américains – n'est pas simplement un ancien pénitencier. C'est un lieu chargé d'histoires fascinantes qui mérite amplement une visite.


Une prison "inévadable"
De 1934 à 1963, Alcatraz était la prison fédérale la plus redoutée des États-Unis. On y envoyait les prisonniers les plus dangereux et les plus récalcitrants du pays. Al Capone, le célèbre gangster de Chicago, y a purgé une partie de sa peine. Machine Gun Kelly, Robert Stroud (le fameux "Birdman of Alcatraz"), tous ces noms résonnent encore dans les couloirs vides.
Pourquoi cette île ? Les autorités pensaient avoir trouvé la prison parfaite : entourée d'eaux glaciales aux courants violents, Alcatraz semblait rendre toute évasion impossible. La température de l'eau oscille entre 10 et 15 degrés, et les courants peuvent atteindre jusqu'à 9 km/h. Même les meilleurs nageurs auraient du mal à survivre.
Le mystère de la grande évasion
Pourtant, en juin 1962, trois prisonniers – Frank Morris et les frères John et Clarence Anglin – ont réussi l'impossible. Pendant des mois, ils ont creusé les murs de leurs cellules avec des cuillères volées à la cantine, dissimulant les trous avec des cartons peints. Ils ont fabriqué des fausses têtes avec du papier mâché et de vrais cheveux récupérés au salon de coiffure de la prison pour tromper les gardiens lors des rondes nocturnes.
La nuit de l'évasion, ils ont rampé dans les conduits d'aération, ont atteint le toit, puis la rive. Là, ils ont gonflé un radeau de fortune fabriqué avec des imperméables volés. Puis... plus rien. Ont-ils survécu ? Se sont-ils noyés dans les eaux glacées de la baie ? Le FBI a officiellement clos l'enquête en 1979, les déclarant morts par noyade. Mais aucun corps n'a jamais été retrouvé, et des indices suggèrent qu'ils auraient pu survivre.
Alcatraz à Hollywood

Cette évasion légendaire a inspiré Hollywood. En 1979, Clint Eastwood incarne Frank Morris dans "L'Évadé d'Alcatraz" (Escape from Alcatraz), un film qui reconstitue minutieusement la préparation et l'exécution de cette évasion spectaculaire. Le réalisateur Don Siegel a tourné certaines scènes dans la vraie prison, donnant au film une authenticité saisissante. Si vous visitez Alcatraz après avoir vu le film, vous reconnaîtrez les cellules, les conduits, et vous vivrez cette histoire légendaire avec une intensité particulière.
D'autres films ont également utilisé Alcatraz comme décor : "Le Rocher" (The Rock, 1996) avec Sean Connery et Nicolas Cage transforme l'île en terrain d'action explosive, tandis que "Meurtre à Alcatraz" (Murder in the First, 1995) avec Kevin Bacon explore les conditions de détention brutales. Même si ces films prennent des libertés avec la réalité, ils témoignent indéniablement de la fascination durable qu'exerce ce lieu.
Avant la prison : un passé militaire
Mais l'histoire d'Alcatraz commence bien avant 1934. Dès les années 1850, l'armée américaine y construit un fort et le premier phare de la côte Pacifique. L'île devient une prison militaire dès la guerre de Sécession. C'est d'ailleurs cette infrastructure militaire qui sera réaménagée pour créer le pénitencier fédéral.

L'occupation amérindienne : un chapitre méconnu
Après la fermeture de la prison en 1963 (jugée trop coûteuse à entretenir), Alcatraz connaît un tournant inattendu. En novembre 1969, un groupe d'activistes amérindiens occupe l'île pendant 19 mois, réclamant la restitution des terres tribales. Cette occupation pacifique attire l'attention des médias du monde entier et devient un symbole du mouvement pour les droits des Amérindiens. Vous verrez encore aujourd'hui les graffitis de cette époque sur certains bâtiments.

Des expositions qui enrichissent la visite
Au-delà des cellules et de l'audioguide, Alcatraz propose régulièrement des expositions qui explorent les multiples facettes de son histoire.

L'exposition Ai Weiwei (2014-2015) : L'une des expositions les plus marquantes reste "Ai Weiwei on Alcatraz", présentée de septembre 2014 à avril 2015. L'artiste et dissident chinois Ai Weiwei a créé sept installations spécifiquement pour Alcatraz, explorant les thèmes de la liberté d'expression et des droits humains. Ironiquement, Ai Weiwei n'a jamais pu visiter l'île – retenu en Chine par les autorités qui avaient confisqué son passeport, il a conçu toute l'exposition depuis son atelier à Pékin. Parmi les installations : 175 portraits en Lego de prisonniers politiques du monde entier dans le bâtiment New Industries, des cerfs-volants dragons dans les cellules, et des milliers de cartes postales que les visiteurs pouvaient écrire aux prisonniers de conscience.
"Welcome to Indian Land" (2025) : L'exposition actuelle, "Welcome to Indian Land: Resistance, Resilience, and Activism on Alcatraz", raconte l'histoire de l'occupation de 1969 qui a lancé le mouvement amérindien pour la souveraineté et l'autodétermination. Cette exposition succède à "Red Power on Alcatraz: Perspectives 50 Years Later" (2019-2021), qui présentait des photographies de Brooks Townes, Ilka Hartmann et Stephen Shames, ainsi que des objets originaux collectés par l'historien Kent Blansett. Les photos grand format, parfois si grandes qu'elles ont dû être transportées sur l'île par barge, capturent les familles, les enfants et les militants qui ont transformé Alcatraz en symbole de résistance.
Le National Park Service organise aussi des expositions sur l'écosystème unique qui s'est développé autour du Rocher – saviez-vous qu'Alcatraz est aujourd'hui un sanctuaire pour des milliers d'oiseaux marins et que le nom même de l'île vient de l'espagnol "Isla de los Alcatraces" (l'île aux pélicans) ?
Avant votre visite, consultez le site du National Park Service pour connaître les expositions en cours – elles ajoutent une dimension supplémentaire à l'expérience et permettent de voir Alcatraz sous un angle nouveau, bien au-delà de son image de prison légendaire.
Visiter Alcatraz aujourd'hui
Aujourd'hui, Alcatraz est géré par le National Park Service et attire plus d'un million de visiteurs par an. La traversée en ferry depuis Pier 33 prend environ 15 minutes et offre des vues spectaculaires sur le Golden Gate Bridge et la skyline de San Francisco.

Conseil pratique : Les billets se vendent plusieurs semaines à l'avance, surtout en été. Réservez dès que vous connaissez vos dates. Les audioguides sont disponibles en français et rendent la visite vraiment immersive – vous entendrez même les témoignages d'anciens gardiens et prisonniers.
La visite nocturne, plus intimiste et atmosphérique, vaut particulièrement le détour si vous n'êtes pas trop sensible aux ambiances un peu... oppressantes. Quand la nuit tombe sur la baie et que le brouillard s'installe, on comprend pourquoi les prisonniers appelaient Alcatraz "l'île du désespoir".
Une chose est sûre : après avoir marché dans ces cellules exiguës de 1,5 mètre sur 2,7 mètres, et contemplé San Francisco scintiller au loin – si proche et pourtant inaccessible – vous comprendrez pourquoi Alcatraz reste gravée dans toutes les mémoires.
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