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BENOIT TRIVULCE 2/2 – “Au Brésil, il faut tropicaliser le produit“

Écrit par Lepetitjournal Rio de Janeiro
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 8 février 2018

 

Ubifrance fusionne avec l'Agence Française pour les Investissements Internationaux - AFII - et devient Business France. Lepetitjournal.com a interrogé Benoît Trivulce, le directeur de l'agence au Brésil depuis 2012. Il nous présente son parcours, fait le bilan de l'action d'Ubifrance et nous révèle les difficultés du business au Brésil. Deuxième partie de notre entretien. Retrouvez la première partie de l'interview "Le Brésil reste un marché incontournable"

Benoit Trivulce
Lepetitjournal.com : Quelles sont les clés de la réussite dans un business au Brésil ?

Benoît Trivulce : Il faut avoir une idée très claire de ce que l’on va faire. Faire au Brésil, c’est faire quelque chose de brésilien. Pas forcément le fabriquer au Brésil, mais il faut le ‘’brésilianiser’’, le tropicaliser. S’inspirer du manifeste anthropophage de 1920 : manger la culture européenne, la ré-ingurgiter, la digérer et en faire une culture brésilienne. Il faut appliquer cette image du cannibalisme au business. Il faut avoir une idée claire de la manière dont on va tropicaliser le produit, parfois le tropicaliser peut être fait dans l’hyper francisation, considérer l’idée que le Brésilien va adorer un produit parce qu’il est fondamentalement français et qu’il va falloir même le franciser à l’extrême pour qu’il devienne encore plus brésilien. C’est le paradoxe. A l’inverse, certains produits ont besoin d’être nationalisés. Leroy Merlin ou Michelin sont prononcés ici à la brésilienne. Le Brésil n’est ainsi pas un pays d’opportunité, c’est un pays de stratégie, il faut réfléchir à ce que l’on vient y faire, pourquoi, comment et de quoi ai-je besoin pour y arriver ? C’est un pays où il faut être structuré dans son approche sinon on se plante. Tom Jobim disait ‘’O Brasil não para os principiantes’’ (‘’Le Brésil n’est pas fait pour les débutants‘’), c’est un pays complexe, compliqué, avec beaucoup de carences, mais il n’y  a pas beaucoup de pays dans le monde avec 200 millions de consommateurs, avec la vocation de devenir l’un des cinq premiers producteurs de pétrole mondial. C’est aussi le grenier du monde, au Brésil, quand vous creusez un trou, vous trouvez du fer, du pétrole ou du gaz, et si vous ne trouvez rien vous plantez une graine et ça pousse.

Comment gère-t-on l’interculturalité au Brésil ?

Il faut avoir une équipe brésilienne. Quand vous arrivez, les gens sont de culture occidentale, proches de nous et souvent on se trompe. J’appelle cela ‘’l’effet Caípirinha’’ : au début, c’est frais, c’est citronné, c’est agréable et puis le lendemain vous avez la gueule de bois. C’est un peu la même chose dans les affaires au Brésil, il faut faire des équipes avec des gens qui parlent portugais, qui savent qu’ici, on ne dit jamais non, on dit ‘’oui oui oui’’, or, la répétition du oui est peut-être un non. Les Brésiliens ont une façon de travailler qui fait qu’en permanence, il faut aller les rechercher, les recontacter, que l’on personnalise la relation. C’est un pays très procédurier, la présence est fondamentale, ce sont des gens méfiants. Je dis souvent que le Brésil est une île, les gens y sont insulaires. On vous regarde toujours avec un peu d’enthousiasme, mais on ne vous intègre pas dans une île. Il faut avoir des équipes qui soient capables d’intégrer ça.

Le personnel brésilien arrive-t-il à s’adapter aux exigences des Français ?

Au Brésil, on ne marche pas à l’injonction-sanction, on est dans le comportement. Il faut s’assoir avec la personne, parler… Pour gagner du temps, il faut en perdre. Une fois que l’on a compris cela, on avance. Les  clients français étonnent un peu mes équipes brésiliennes, avec les réactions d’énervement, de stress, d’angoisse. Le Français est souvent perçu comme un passif-agressif, il peut avoir des explosions de colère, c’est un peu étonnant. Mais on a désormais une vraie génération d’entreprises françaises qui arrivent maintenant décomplexées à l’international. Je pense que c’est dû aux échanges universitaires, aux VIE. La nouvelle génération est mieux armée, mais aussi plus performante et plus exigeante.

Qu’est-ce qui est le plus contraignant au Brésil pour un Français ?

La relation au temps, qui n’est pas du tout la même, les rationalités sont différentes. Pour le Brésilien, c’est la confiance qu’il va accorder ou pas à la personne. Il y a tout un processus de confiance personnelle. On fait moins confiance aux structures qu’aux hommes. Aux Etats-Unis et au Brésil, c’est la même chose : vous avez cinq minutes pour convaincre, mais la différence c’est qu’au Brésil, ces cinq minutes se trouvent au milieu de deux heures de conversation et vous ne savez pas quand est-ce qu’elles se situent. Il y a trois domaines : le public, le privé et l’intime. En France, l’intime et le privé sont proches. Au Brésil, le public et le privé sont très proches, l’intime, qui est la famille et la maison où on habite, est beaucoup plus éloigné, cela prend du temps. Parfois les Français ont du mal avec ça. De même, les Anglo-Saxons sont très orientés sur le produit, ce qu’il va amener, les Français racontent toute une histoire autour d’une entreprise (‘’mon grand-père l’a fondée en 1940…’’). Les Brésiliens, eux, ne s’intéressent pas aux produits, mais à ce qu’il va générer en cash. Au Brésil, on se finance essentiellement avec du cash, il faut donc avoir une politique de marge importante : tous les projets sont constitués sur des projets de marge. En affaire, le Brésilien n’est pas toujours très fidèle,  il recherche toujours le partenaire qui apportera la rentabilité la plus importante. Tout cela déstabilise un petit peu. Il y a aussi trois défauts au Brésil : les gens sont sympas, le pays est attirant et les besoins sont évidents, mais cela crée une fausse approche, car ici c’est parfois le western, mais un western très professionnel. Ce qui représente bien le Brésil, c’est la capoeira : c’est une danse, c’est rythmé c’est beau, mais c’est un sport de combat extrêmement violent. Pour faire des affaires au Brésil, il faut être bon, être bien organisé, avoir une expertise sur son sujet.

Quel est le taux de réussite des entreprises qui font appelle à vos services ?

Pour les clients Business France au Brésil, on est sur une base d’un client sur trois qui avance dans son projet, et on recense plus d’une centaine de “success stories“. Le Brésil est un pays un peu plus lent, les résultats ne sont parfois pas immédiats, à la différence d’autres marchés comme le Chili ou la Colombie. De 2008 à 2013, le taux de croissance des exportations françaises vers le Brésil est de l’ordre de 8% par an alors que le taux de croissance des exportations à l’international n’est que de 3%. Le nombre de filiales françaises implantées au Brésil est de 700 contre 350 il y a dix ans. Nous avons des chiffres qui montrent que les performances françaises sont réelles sur ce pays. On est le 5e investisseur en stock et en flux, il y a plus d’investissements directs étrangers français au Brésil que d’investissements cumulés en Chine, en Inde et en Russie. On parle souvent de la problématique des jeunes qui émigrent à l’étranger, nous pouvons ainsi penser que pour le futur, c’est également très positif de pouvoir compter sur une communauté de cadres binationaux qui connaissent très bien les deux cultures. Souvent, les premières personnes à parler mal de la France à l’étranger, ce sont les Français. Une de nos premières missions est donc de convaincre les Français de l’étranger que l’attractivité française est intéressante. Souvent, si les Français réussissent à l’étranger, c’est aussi le fait de l’éducation à la française : ils ont acquis des connaissances, des savoir-faire, des valeurs, des principes, qui font qu’aujourd’hui ils sont capables de les vendre à l’étranger et d’être bons.

Retrouvez la première partie de l'entretien "Le Brésil reste un marché incontournable"

Propos recueillis par Damien LARDERET (www.lepetitjournal.com - Brésil) lundi 22 juin 2015

lepetitjournal.com Rio
Publié le 21 juin 2015, mis à jour le 8 février 2018

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