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PHILIPPE JADIN ET CHARLES LANGHENDRIES - "Toute sa vie, Jean Sablon est venu chanter au Brésil"

Écrit par Lepetitjournal Rio de Janeiro
Publié le 6 mars 2016, mis à jour le 26 décembre 2023

Icône internationale de la chanson française des années 1930 aux années 1980, Jean Sablon (1906-1994) a notamment vécu au Brésil où il a connu le succès. C'est ce que sont venus raconter jeudi dernier à La Maison, le nouvel espace culturel du consulat général de France à Rio les Belges Philippe Jadin et Charles Langhendries, auteurs de Jean Sablon : le gentleman de la chanson (Christian Pirot, 2002) et Jean Sablon (Gourcuff Gradenigo, 2014). Ils reviennent pour le Petitjournal.com sur l'aventure brésilienne de Jean Sablon.

Lepetitjournal.com : Tout d'abord, pouvez-vous nous rappeler qui est Jean Sablon ?
Charles Langhendries :
C'est un grand chanteur moderne pour la chanson française car il a été l'un des premiers à y introduire le jazz. C'est lui notamment qui a fait connaître Django Reinhardt alors que les studios de disques de l'époque n'en voulaient pas et le premier à enregistrer avec lui comme chanteur. Jean Sablon a aussi participé au renouveau de la chanson française avec Mireille et son petit conservatoire. Puis il a été très tôt aux Etats-Unis. Il était d'abord une vedette de la radio en France, puis là-bas avec jusqu'à 50 millions d'auditeurs. Comprenant l'importance du micro par la radio, il l'a imposé sur scène à son retour en France, ce que personne n'avait jamais fait avant. C'est donc le père des chanteurs d'aujourd'hui parce que plus aucun ne chante sans micro et grâce à cela, Jean Sablon a pu devenir le premier crooner français, le micro créant une intimité avec le public qui pouvait retrouver ce qu'il entendait sur disque et à la radio. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, Jean Sablon était au Brésil et ensuite, sa carrière a touché les cinq continents. On peut ainsi dire qu'au 20e siècle, Jean Sablon était le chanteur français le plus international. Seul Maurice Chevalier, une génération avant, peut rivaliser, le devant autant au cinéma qu'à la chanson.

Comment Jean Sablon est-il arrivé au Brésil ?
Philippe Jadin
 : Les liens entre Jean Sablon et le Brésil sont très importants. Il est arrivé la première fois en 1928, à 22 ans, venu avec la troupe des Bouffes Parisiens à la grande époque des opérettes pour inaugurer le théâtre du Copacabana Palace de Rio. Il a été sous le charme du Brésil où il est revenu en 1939 alors que la Seconde Guerre Mondiale débutait. Son directeur artistique au Teatro municipal de Rio était Duque, qui avait introduit la maxixe (tango brésilien) en France dans les années 1910. Il s'est retrouvé bloqué entre les deux Amériques, faisant venir sa mère et ses neveux, ces derniers ont fait leur vie au Brésil ensuite. Jean Sablon leur avait acheté une fazenda près de São Paulo. Ainsi, toute sa vie, il est venu chanter dans tout le Brésil, inaugurant notamment le casino de Pampulha (Belo Horizonte) d'Oscar Niemeyer en 1942 et clôturant sa carrière internationale en 1984 là où il l'avait commencée : au Copacabana Palace.
Charles Langhendries : En 1939, il chantait dans un show à Broadway qui s'appelait The Streets of Paris en compagnie de Carmen Miranda qui chantait pour la première fois aux Etats-Unis. Il l'a donc bien connu et ils étaient très amis. Ensuite, durant la Guerre, il vivait au Brésil, mais tournait dans tous les pays d'Amérique du Sud avant de retourner aux Etats-Unis ensuite.

Quel héritage Jean Sablon a-t-il laissé au Brésil ?
Philippe Jadin
 : Deux chanteurs brésiliens lui ont rendu hommage : Ivon Curi et Dick Farney. Jean Sablon a vraiment ouvert une voie au Brésil dans le style crooner et je crois qu'il les a beaucoup influencés. Il a également beaucoup travaillé avec des chanteurs comme Ary Barroso. Au Brésil, sa chanson la plus populaire est "J'attendrai".

Charles Langhendries : Il faut aussi rappeler le contexte dans lequel le français était la langue la plus internationale au Brésil à l'époque avec la France comme phare culturel. Et Jean Sablon avait une situation privilégiée puisqu'il y avait vécu. D'ailleurs, j'ai encore vu récemment sur Mercado Livre une veste à vendre dont le modèle s'appelle "Jean Sablon". Les gens de cette génération connaissent encore les chemises "Jean Sablon" et un style qui lui était associé au Brésil.

Et en France, Jean Sablon a donc été le premier à y introduire les rythmes brésiliens ?
Philippe Jadin
 : Oui, il a introduit la samba dans la chanson française avec la reprise d'une chanson de Dorival Caymmi, "Porque". Quant à la bossa nova, il a été le premier à recevoir Vinicius de Moraes dans son show en France en 1963 et le premier à interpréter "Garota de Ipanema" en français.   

Comment se fait-il que Jean Sablon n'ait pourtant pas la même notoriété, au moins en France, que Maurice Chevalier, Charles Trenet, Charles Aznavour ou encore Edith Piaf au sein du patrimoine de la chanson française ?
Charles Langhendries : Il y a différentes explications à cela. D'abord, Jean Sablon a eu deux ou trois expériences au cinéma, on lui a fait des offres mirobolantes, mais il n'a jamais voulu parce qu'il ne s'y trouvait pas excellent, il estimait qu'étant une vedette de la chanson, il n'avait rien à gagner dans une expérience incertaine et qui aurait pu lui jouer des tours si elle était mauvaise. En plus, étant un chanteur très international, il préférait se consacrer à sa grande passion, les voyages. Ce qui fait qu'il était à la fois partout et nulle part : le public français connaissait son importance, mais en même temps, il n'aura chanté que six mois dans toute sa longue carrière en France. Jean Cocteau disait à l'époque : "Les ondes, les bouches d'ombre, les disques, les refrains sifflés par les cyclistes dans la rue, firent à Jean Sablon un grand usage vague aimé de tous, mais sans forme précise, comme le souvenir". Jean Sablon était donc une présence connue et en même temps l'homme absent : on l'entendait sur les disques, à la radio, mais on ne le voyait pas, il était à l'étranger. Il avait pourtant tissé ce côté très intimiste en étant un crooner, ce qui est paradoxal. Enfin, Jean Sablon était quelqu'un d'une extrême modestie, ce qui reste un mystère avec une carrière aussi importante et quand on sait par exemple que Frank Sinatra a fait sa publicité pendant plusieurs années en se présentant comme le Sablon  américain. Mais Jean Sablon ne se vantait jamais de rien et quand vous n'êtes pas le premier à perpétuer ou un peu fabriquer votre réputation, celle-ci se maintient peut-être moins forte et moins longtemps. Avec tout le talent qu'il avait, on sait par exemple que Charles Trenet était un homme qui s'accordait une très grande importance ou encore qu'Edith Piaf a fait circuler des idées fausses qui arrangeaient sa légende, quand Jean Sablon voyageait tout le temps et s'en fichait totalement.
Philippe Jadin : Par rapport à cette époque-là, Jean Sablon est aussi un peu l'aîné, nous allons d'ailleurs fêter ses 110 ans cette année. Il a aussi voulu mettre un terme à sa carrière parce qu'il estimait qu'en tant que crooner, de près de 80 ans, il ne voulait pas faire "le match" de trop. Il avait été marqué par les fins de carrière de quelques artistes qui n'avaient pas été flamboyantes donc il n'a pas voulu tomber dans ce travers. Comme le disait Charles, Jean Sablon avait en effet une personnalité très discrète même si on trouve des disques de lui partout dans le monde, contrairement à d'autres qui ont peut-être plus de notoriété que lui. Nous avons aussi connu une autre artiste dans le même cas : Jacqueline François qui a été la première millionnaire française en nombre de disques vendus, avant Edith Piaf dont on parle pourtant beaucoup plus. Pourquoi ? Je pense qu'il s'agit de commerce post-mortem et il y a des intérêts en jeu, des maisons de disques plus actives que d'autres, etc. En replaçant les choses dans son contexte, Jean Sablon a ainsi été, en toute objectivité, le chanteur français le plus connu dans le monde à son époque. Mais, en France, c'est une notoriété diluée puisqu'il n'était pas assez présent.

Pour finir, comment est né votre intérêt pour Jean Sablon ?
Philippe Jadin
 : J'ai toujours été passionné par la chanson française et j'ai eu la chance d'assister aux adieux parisiens de Jean Sablon. Je lui avais écrit tout le bien de ce que j'avais pensé de cette soirée et il a voulu me rencontrer, puis de fil en aiguille nous sommes devenus amis. Et comme sa famille s'est éteinte, sans héritiers, il a souhaité que nous soyons ses ayant droits.    
Charles Langhendries : Il nous avait d'ailleurs demandé de ne jamais rien faire pour perpétuer sa mémoire, mais nous nous sommes sentis l'obligation, vu l'importance de ce qu'il a fait et par affection, de sortir deux livres. 

Propos recueillis par Corentin CHAUVEL (www.lepetitjournal.com - Brésil) lundi 7 mars 2016

*Légende photo : Philippe Jadin et Charles Langhendries

lepetitjournal.com Rio
Publié le 6 mars 2016, mis à jour le 26 décembre 2023

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