Frappée, pas trop durement, par le Covid et par un blackout à Leederville, mon mois culturel a quelque peu était impacté. Voici néanmoins les évènements qui ont retenu mon attention.
La ménagerie de verre au His Majesty theatre
Une pièce de théâtre sur les souvenirs, ceux de Tenesse Williams: la maladie, l'amour, la famille, la nostalgie d'un passé dont on ne parvient pas à s'extraire car il comble les failles d'un morne présent.
Saint-Louis, au sud des États-Unis, l'époque du rêve américain, Tom (Joel Jackson), le narrateur, évoque les années passées entre sa mère et sa sœur Laura, unis autour de l'image du père qui les a abandonnés. Il gagne péniblement sa vie, avec un emploi subalterne dans un entrepôt, accroché à ses rêves de départ et d'aventures. La mère, Amanda (Mandy McElhinney), ancienne "Southern belle", qui vit des souvenirs de son ancienne gloire et de son succès auprès des hommes pour ne pas voir le fiasco qu'est devenue sa vie. Alors elle se met en scène, se réinvente une vie, mais pragmatique avant tout, elle se fait du soucis pour l’avenir de sa fille. Laura (Acacia Daken), elle aussi est piégée, elle souffre d'une infirmité et son isolement n'a fait que croître jusqu'à ce qu'elle devienne comme une pièce de sa collection d'animaux de verre, trop fragile pour quitter son cocon. Jusqu'à l'arrivée de Jim, un ami d'enfance de Tom...
Jim O'Connor (Jake Fryer-Hornsby), maintenant compagnon de travail de Tom, son arrivée est le catalyseur du désastre de la pièce. Encore un qui va s’échapper.
La scène est moderne, savamment concocté afin que l’on puisse y voir deux pièces plus l’entrée, plus en prime le joueur de piano qui n’est pas sans rappeler le temps du cinéma muet. La superposition des cadres rectangulaires rentre parfaitement dans la perspective de l’encadrement de la scène de His Majesty’s. Les jeux d’ombres et de lumière, les projections d’images et les sous-titres sont subtils et n’enlèvent rien à l’atmosphère d’un autre temps.
Elle est aussi fidèle à cette époque par son mobilier et les costumes.
Les quatre interprètes sont criants de vérité. Amanda coquette, instable au bord du désespoir, dans cette scène où elle flirte avec Jim, comme au temps de sa jeunesse oubliant qu’il est là pour sa fille, elle nous montre toutes les facettes de ce personnage complexe. Laura, la discrète est toute en douceur, elle nous faire vivre son monde intérieur, un désespoir résigné. Jim, lui aussi vit dans son imaginaire, bien diffèrent, il essaye de se persuader de son potentiel ou plutôt d’un potentiel qu’il n’a surement pas, son monologue sur comment atteindre le succès est digne des plus grands gourous du management.
Tom est lui dans la réalité dont il porte la culpabilité. Il rêve de partir mais le souvenir de son père l’en empêche, il est celui qui porte sa famille et la pièce, il oscille habilement entre son rôle et celui du narrateur
Cette superbe pièce parle de la fragilité des êtres comme aucune autre, avec une délicatesse qui interpelle.
Last train to Freo au Victoria Hall
Le retour d’une pièce de Reg Cribb, à l’époque intitulé "The return", qui a plus de 20 ans. Elle a aussi été adapté au cinéma par son auteur en 2006 sous le titre que nous connaissons aujourd’hui.
Deux voyous, Steve et Trev, prennent le dernier train à Midland pour Fremantle. Lorsqu'une jeune femme, Lisa, monte dans le train quelques arrêts plus tard, ignorant que les gardiens de train sont en grève. Elle attire inévitablement leur attention et ils commencent à engager la conversation, un peu limite du point de vue de la jeune femme. Après que deux autres personnes, une femme plus âgée, Maureen et un homme silencieux, Simon soient montées dans le train, l’intrigue se dénoue au rythme des arrêts, en même temps que la tension monte.
L'atmosphère est claustrophobique, un wagon de train a été recréé au milieu du Victoria Hall. La mise en scène de Reg Cribb en exploite chaque centimètre de cette scène transversale, un wagon dont les occupants semblent prisonniers, à moins que ce soit de leur histoire qu’ils ne puissent s’échapper.
Les acteurs négocient à merveille la tension montante avec quelque pointes d’humour et quelques références actuelles. Le personnage de Steve est un sociopathe convaincant et charismatique, il porte la pièce par son dynamisme. A ses côtés, Trev caracole, inconséquent et insaisissable. Chloe Hurst est plutôt discrète dans le rôle de Lisa. Quant à Maureen et Simon ils subissent et subliment les agressions des deux malfrats.
Les lumières et la musique jouée en direct contribuent aux réalismes de ce voyage.
Durant le trajet, la pièce génère certaines questions clés qui ont secoué le climat social de Perth à l'époque. Adapté aux problématiques d’aujourd'hui, cela reste quelque peu édulcoré mais soulève des questions sur les stéréotypes de notre société, la lâcheté, la famille et la vengeance.
Encore une pièce qui interpelle mais avec plus de légèreté que la précédente.
Torres Strait Masks au Fremantle maritime museum
Cette exposition est une exposition itinérante présentée par le National Museum of Australia qui offre aux visiteurs un aperçu de l'art et de la culture dynamiques de la région du détroit de Torres et de la péninsule du Nord.
L'exposition vise à souligner l'importance continue des masques du détroit de Torres, leur évolution dans le passé et leur influence sur les formes d'art contemporain actuelles.
Pour les Premières Nations de Zenadh Kes (les îles du détroit de Torres), les masques ne sont pas seulement une représentation d'êtres ancestraux, surnaturels et totémiques, mais un moyen de canaliser et de se connecter avec ces esprits.
Même si toutes ces œuvres ont été réalisés pour l’exposition par Alick Tipoti et six autres artistes insulaires du détroit de Torres, c’est une occasion unique de voir un grand échantillonnage de masques de ces régions.
Magnifique exposition, attardez-vous et observer les détails, ils sont vraiment impressionnant. Au-delà de l’aspect esthétique, leur histoire et signification reste un peu obscure et je dois reconnaitre être un peu restée sur ma faim.
Trust me, it’s the end of our world after all au Blue room theatre
Le virus X dévaste la planète et le seul salut des survivants est de se réfugier dans un bunker isolé de l’extérieur, porter un masque à gaz pour aller chercher des rations, conserves peu appétissantes ou fouiller dans des poubelles de recyclage abandonnées. L’isolation dure depuis des années.
Nous sommes tous passés par la trappe du bunker et sommes tous dedans, ensemble…avec les trois survivants d’une famille. Le père disparu fut le premier touché par le virus, Holly (Bubble Maynard), l’ainé gère la fratrie, la sœur Carrie (Bianca Roose) et le frère Marcus (Liam Longley). Ils ne savent pas ce qui est arrivé à leur mère Rachel, une scientifique qui s'est éclipsée un matin pour rejoindre la Cure Z et ils n'en ont plus entendu parler depuis.
Leur terrible routine est bouleversée lorsque Holly ramène un homme inconscient, Rich (Joe Haworth) qu’elle a assomé devant l'entrée camouflée de leur bunker.
Chose troublante, Rich portait un masque à gaz avec le nom de leur mère sur l'étiquette, ce qui pose bien des questions. Ce sera le fil conducteur de la pièce.
Sous des airs de science-fiction, vivant dans un tissu de mensonges qu'ils ont eux-mêmes créé, les limites de la vérité s'estompent et c’est un drame familial qui se dénoue.
Cela démarre assez fort, la barre est du coup un peu trop haute, les rebondissements ont un petit gout de pas assez. Et dans ce sinistre contexte on aurait bien aimé un peu plus d’humour, même noir, et de dérisions.
Blue orange au Burt Hall
Dans un hôpital psychiatrique de Londres, un patient énigmatique, voire insaisissable, Christopher et une divergence de diagnostique entre le psychiatre stagiaire Bruce et le consultant Robert, nous assistons à un débat d’opinion au sein de la profession médicale. Après 28 jours passés dans un établissement psychiatrique, Christopher est sur le point d’être libéré mais Bruce pense que le patient a été mal diagnostiqué et insiste pour qu'il reste plus longtemps afin de lui fournir un traitement approprié, tandis que Robert, prône la libération pour qu'il se prenne en charge et se réhabilite dans "sa communauté".
Sur une scène qui pourrait s’apparenter à un ring de boxe, nous sommes les voyeurs impuissants d’une histoire où la vérité vacille d’un bord à l’autre au gré des joutes verbales d’une densité incroyable, sans jamais établir la victoire.
Ce débat autour du diagnostic qui va mettre en jeu l’avenir de Christopher nous plonge dans les dilemmes et l’éthique de la profession médicale, les idées reçues et leur racisme sous-jacent et un système de santé qui ne peut faire face à la demande.
Les personnages sont plutôt stéréotypés, le stagiaire est naïf, ambitieux et un brin romantique alors que le consultant est autoritaire, imbu de sa personnage et pas très ouvert aux idées autres que les siennes. Christopher est aussi filant qu’une anguille, impossible de savoir quand il joue un rôle ou quand il est sincère, il se joue de ces deux experts en les rendant aussi pathétique et detestable l’un que l’autre.
Si cette pièce est basée sur des dialogues d’une extrême puissance, elle est aussi très physique, les personnages se déplacent sur scène comme pour mieux éviter les coups, la colère explose par moment sous une lumière intense, très clinique.
La deuxième parti de la pièce sans pour autant offrir de répit est un peu décevante car le débat s’enlise en une dispute mesquine qui perd un peu de son intérêt et s’éloigne des complexités intellectuelles du départ.
On ressort épuisé, le rythme et les dialogues sont denses et notre cerveau, en permanence, se demande de quel côté il faut se ranger, sans véritablement trouver la réponse. Il n’en reste pas moins un vaste sujet de réflexion où tout un chacun est en droit de se sentir vulnérable.
LightWaves au Drill hall de Notre Dame university.
Présentée dans le cadre de "10 Nights in Port", les participants sont accueillis par un écran géant, et le bruit de la mer. Sous nos yeux les vagues se forment, l’eau s’éloigne et se creuse pour mieux se dresser, s’enrouler et finalement retomber en roulant dans une explosion d’écume et bruit assourdissant. Et le spectacle recommence…
Curieusement chaque vague est différente, une œuvre d’art éphémère où la lumière sculpte des formes inattendues et où le son effraie avant que la vision du mastodonte ne prenne sa véritable dimension.
Étourdi mais apaisé, la répétition de ces vagues est hypnotique et procure une sensation de bien-être, nous sommes, bien sûr, au sec.