Édition internationale

Nadine, une française immigré en Nouvelle-Zélande depuis 38 ans

Aujourd’hui nous mettons en lumière Nadine qui a décidé de nous partager son expérience d'immigrée française en Nouvelle-Zélande, un parcours qui s'étend sur plus de 35 ans. De la simple volonté de découvrir une culture, Nadine a pris une place importante au sein de la société française en NZ et au sein la société Néo-Zélandaise elle-même. Créatrice de FRENZ et des Petits Lascars, elle nous parle de son engagement pour l'éducation bilingue, un projet qui a marqué l'histoire de l'éducation franco-néo-zélandaise mais aussi, de sa relation avec la culture Maori.

PETIT JOURNAL (1)PETIT JOURNAL (1)
Nadine Plet
Écrit par Lara Saliège
Publié le 5 octobre 2025, mis à jour le 22 octobre 2025

 

Bonjour Nadine, tout d'abord pourquoi avoir choisi la NZ ?

J'avais ce désir profond de voyager, de découvrir de nouvelles cultures et d'ouvrir mes horizons.
A l'époque, je ne parlais pas du tout anglais, et j'avais vraiment envie d'apprendre la langue tout en étant immergée dans un environnement anglophone. Mon plan initial était d'aller en Australie, mais à l'époque, il y avait des quotas d'immigration, ce qui a rendu ce projet difficile. La Nouvelle-Zélande s'est alors imposée. 

Cette immigration en Nouvelle-Zélande a été une décision importante pour moi. En France, je sentais que j'étais arrivée à un point où je risquais de stagner dans ma carrière. Depuis mon arrivée, ma carrière a été variée. J'ai commencé comme infirmière de bloc opératoire, puis je me suis orientée vers le secteur associatif en tant que Funding Manager, organisant des collectes de fonds pour large organisations caritatives. Actuellement, je travaille dans la gestion des appels d’offres pour les hôpitaux en Nouvelle-Zélande. C’est un parcours éclectique mais j’ai toujours eu à cœur de contribuer à ma manière à la société néo-zélandaise.

 

 

Quel était l'accès à la culture française il y 38 ans ?

Les magazines français étaient non seulement très chers, mais en plus, ils mettaient des semaines à arriver. Il n'y avait pas de moyens simples d'obtenir des informations en temps réel comme aujourd'hui. De plus, il y avait très peu de Français ici, donc peu de lieux pour se rencontrer. Il n'y avait pas de groupes Facebook ou d'autres plateformes pour échanger, alors dès qu'on croisait quelqu'un qui parlait français, on n'hésitait pas à l'interpeller ! Une fois par mois, l'Alliance Française organisait une soirée où on regardait une vieille K7 vidéo envoyée par la France, avec les nouvelles d’Antenne 2. C'était un condensé des actualités du mois précédent, mais avec un décalage de trois mois !

En termes d'accès à la culture française, c'était vraiment limité. Il n'y avait pas beaucoup de livres en français dans les bibliothèques, et faire venir des livres de France était très coûteux. Il y avait peu de restaurants français, l'accès à la culture était donc restreint. Aujourd'hui, bien sûr, tout ça a changé et c'est beaucoup plus facile.

 

 

Est-ce pour cela que tu as créé FRENZ?

Quand je suis arrivée en Nouvelle-Zélande, il y avait déjà des écoles qui enseignaient en anglais et c’était les débuts balbutiants des Kohanga Reo. Il n'existait pas d’option pour que les enfants Franco-Néo Zélandais apprennent dans les deux langues. C'est ce qui m'a poussée avec un groupe de parents dans la même situation à créer l'association FRENZ School Inc en 1994 et le groupe des Petits Lascars, avec l'idée de mettre en place des classes bilingues dans les écoles publiques à travers la Nouvelle-Zélande. 

L’association Frenz voulaient pourvoir donner accès  aux familles bi-nationales la possibilité de donner à leurs enfants une éducation bilingue, dans laquelle ils pouvaient apprendre à la fois l'anglais et le français mais dans un contexte néo zélandais, tout en apprenant aussi la culture locale et d’être exposé très tôt à la pratique et le respect de Tikanga Maori. Cette option bilingue au sein d’une école primaire publique néo zélandaise nous permettait d’être complètement indépendant financièrement des autorités françaises car nous étions au milieu de la période où la France avait repris les essais nucléaires dans le Pacifique. 

Quant à FRENZ, l'association a très bien évolué et a eu un impact majeur. Notre objectif était de permettre aux enfants d’acquérir une langue maternelle tout en apprenant l'anglais. Au départ, nous étions un petit groupe de cinq personnes, mais avec le temps, l'association s’est élargie et de nombreuses écoles ont ouvert des sections bilingues. Ce qui était une idée novatrice est devenu un mouvement qui a trouvé son public. Je n'en fais plus partie aujourd’hui, car mes enfants ont grandi et ont suivi leur propre chemin. Mais je suis fière de ce que FRENZ a accompli et est en train de poursuivre  et de continuer à offrir aux familles un enseignement bilingue néo zélandais ce qui facilite leur intégration par la suite dans les écoles secondaires et l’université. 

 

 

La France vous manque-t-elle parfois ? Est-ce que vous ressentez encore un lien fort avec votre pays d’origine ?

J’y suis retournée en 2019, et à ce moment-là, j’ai ressenti que ce lien avec la France était différent. Aujourd’hui, la France ne me manque plus autant qu’avant, surtout parce que j'ai un accès plus facile à la culture française ici, grâce à Internet, aux médias et à la communauté française en Nouvelle-Zélande. Il y a eu un moment, cependant, où je me suis posée la question de savoir si je devais rentrer. Ce moment où l’on se demande si on appartient encore à son pays d’origine ou si on a pleinement intégré celui d’accueil fait partie de ce qu'on appelle l’acculturation lorsqu’on part vivre dans un autre pays. 

Il y a plusieurs stades dans ce processus. Au début, on compare tout à notre pays d'origine, puis, au fur et à mesure, on commence à voir les côtés positifs du pays d’accueil. À un moment donné, on se rend compte qu’on n'appartient plus totalement à l’une ou l’autre des cultures, et c’est là qu’on se trouve à un carrefour : soit on rentre, soit on reste. Pour moi, le fait d’avoir mes enfants ici a joué un rôle important, car cela m’a finalement incitée à rester.

Il faut dire que mon intégration s’est faite dans un milieu anglophone, et je n’avais plus vraiment de contacts avec le monde français. C’est seulement lorsque j'ai eu mes filles et que je leur ai parlé en français que j'ai élargi mon cercle social aux autres français. L'acculturation prend environ 6 ou 7 ans. C’est vraiment durant cette période qu’il faut peser le pour et le contre et se demander si on veut vraiment revenir ou continuer à s’investir dans la société d'accueil.

Lorsque je suis retournée en France en 2019, j'ai eu un choc culturel : je me suis sentie un peu étrangère. On n'a plus les mêmes codes. Par exemple, avant, en France, quand je payais par carte bancaire, on me demandait systématiquement une pièce d’identité, alors qu’en Nouvelle-Zélande, notre identité est inscrite au dos de la carte bleue. De plus, la Nouvelle-Zélande étant un pays relativement petit, de nombreuses entreprises y expérimentent des innovations en matière de services, comme "l’internet banking", qui existe ici depuis des années. En 2019, pendant que je faisais le chemin de Compostelle, j’ai vu des gens payer par chèque, un moyen de paiement que je n’avais pas vu depuis dix ans en Nouvelle-Zélande !

 

 

Qu'est-ce qui vous plaît le plus en Nouvelle-Zélande ?

Ce qui me plaît le plus ici, c’est la culture maorie. Bien que je ne sois pas bilingue, je peux me présenter en maori, et je connais des formules de bienvenue et de clôture traditionnelles. J'ai même appris le Te Reo pendant deux ans. Dans mon travail, le respect de Tikanga Maori est obligatoire et chaque réunion commence et se termine par un karakia — une prière ou bénédiction maorie. Le karakia timatanga sert à ouvrir la réunion, et le karakia whakamutunga permet de la clore.

J’ai également fait partie d’un groupe qui veillait à ce que la culture maorie soit respectée et intégrée dans le quotidien professionnel. Ce qui me plaît particulièrement, c'est l'attitude maorie qui privilégie la résolution collective des problèmes. Et on a bien vu cette approche durant la pandémie de Covid-19.

 

 

Qu'est-ce qui vous plaît le moins en Nouvelle-Zélande ?

Ce qui m'irrite un peu ici, c’est cette tendance à éviter de confronter les problèmes directement, surtout dans le cadre professionnel. Je sais que nous, les Français, avons la réputation de râler et de ne pas hésiter à exprimer nos mécontentements, mais j'apprécie cette honnêteté, même si elle peut parfois être perçue comme un défaut. En Nouvelle-Zélande, après une réunion, il m'est souvent arrivé que les gens me remercient, car ils n'osent pas toujours mettre les choses sur la table de manière aussi directe. On ressent cela particulièrement dans le management.

Cela contraste beaucoup avec la culture maorie, où il n'y a pas cette hésitation à aborder les problèmes. En fait, dans la culture maorie, une réunion ne se termine pas tant que le problème n’est pas résolu. J'ai pu observer cela lors de réunions avec des membres de cette communauté : ils ne fuient pas le conflit, au contraire, ils cherchent à le régler sur-le-champ, ce qui est un aspect de leur culture que je trouve très positif.

 

 

Vous vous sentez plus française ou plus néo-zélandaise aujourd’hui ?

Je me sens un peu les deux, mais je dirais qu’aujourd’hui, je me sens beaucoup plus sereine ici. En Nouvelle-Zélande, j’ai trouvé un équilibre qui me convient. En Nouvelle-Zélande, je n’ai pas la même inquiétude face à la violence, que ce soit dans la rue ou dans le quotidien. Cette absence de violence et cette tranquillité me procurent une grande sérénité.

 

 

Avez-vous une anecdote marquante de votre expérience en Nouvelle-Zélande ?

Oui, il y en a plusieurs, mais une qui m'a particulièrement marquée, c'est quand je suis arrivée juste après l'incident du Rainbow Warrior. À l'époque, tout le monde pensait que c'était moi qui l'avais fait ! On me posait la question, et je devais leur expliquer que j'étais arrivée après l'attentat. Ça a créé quelques situations un peu étranges, et j'ai souvent entendu "Go back to your country". C'était un moment un peu tendu.

Une autre anecdote assez marquante s’est passé quand on a démarré la section bilingue français-néo-zélandaise dans une école publique. Pour lancer cette section, il fallait obtenir l'aval du conseil d'administration, ce qui a impliqué de longues négociations, notamment avec les Maoris, puisque c'était leur territoire. Ces négociations pouvaient durer jusqu'à 4h du matin, et il y en a eu énormément. Le jour où je devais lire la motion pour le vote, c’était aussi le jour où Jacques Chirac a décidé de reprendre les essais nucléaires dans le Pacifique, ce qui a provoqué une grande colère dans la région. J'y suis allée en pensant que j’allais recevoir des tomates.

Quand mon tour est arrivé, j'avais préparé mes arguments pour contrer l'éventuelle hostilité, mais une femme maorie s'est levée et a dit : "Cela fait des mois qu'on négocie avec les Français. Ils veulent une éducation bilingue pour leurs enfants, et nous, on ne veut pas mélanger politique et éducation. Je vote pour." J’étais complètement bouche-bée, et après elle, une autre personne a voté pour, puis une autre encore. Personne n’a osé contredire. Ce soutien des Maoris a été incroyable. Ils négocient énormément en amont, mais une fois qu’ils ont pris une décision, ils la respectent, contrairement à ce que l’on peut parfois observer dans le reste du système néo-zélandais, où les choses changent plus souvent à cause de cette peur du conflit.

 

À travers son récit, Nadine illustre les défis et les enrichissements d'une vie entre deux cultures. Son parcours, de l'intégration à la création d'une communauté francophone en Nouvelle-Zélande, montre la richesse d'une expérience d'immigration réussie, portée par un esprit d'adaptation et un profond respect pour la culture locale. Aujourd'hui, elle se sent pleinement à l'aise en Nouvelle-Zélande, tout en restant connectée à ses racines françaises, un équilibre qu'elle a su trouver au fil des années.
Lisez la deuxième partie de l’interview de Nadine, si vous souhaitez en savoir comment c’était la Nouvelle-Zélande dans les années 80.

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