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ALPHONSE ISHICE KOCE – Partir pour mieux construire ensuite au Pays

Alphonse Ishice KoceAlphonse Ishice Koce
Écrit par Claudia Rizet-Blancher
Publié le 11 octobre 2017, mis à jour le 6 novembre 2017

Il a débuté au Méridien de Nouméa, a travaillé pour Joël Robuchon, et aujourd’hui Junior Sous Chef dans le restaurant du chef français triplement étoilé, Yannick Alleno à Dubaï, promotion obtenue en début d’année. Cela fait maintenant plus de dix ans qu’il travaille loin de son île, où il revient une fois par an pour se ressourcer et cuisiner pour la famille. A peine arrivé la veille, il a accepté de répondre aux questions du Lepetitjournal.com Nouvelle-Calédonie.

C’est au cours d’une interview joyeuse en famille, autour d’un bon café avec croissants et pain au chocolat, au marché de Nouméa, entrecoupée des saluts de la famille et des amis, tous heureux de le retrouver, qu’Alphonse s’est livré. Des messages forts et simples, profonds qui démontrent une belle personnalité.



Lepetitjournal.com Nouvelle-Calédonie : Quelle est la première personne qui vous a donné le goût de cuisiner ?
 

Alphonse Ishice Koce : Ma mère, la famille. Chez nous, dans le monde kanak, c’est inné de cuisiner. C’est un beau geste, un geste de partage. C’est le destin commun autour de la nourriture avant « le destin commun » dont on parle aujourd’hui. On partage, on cuisine ensemble.


LPJNC : Est-ce pendant vos études que vous avez décidé de partir ?
 

AIK : Non, c’est venu au fur et à mesure. Ce n’était pas prévu. J’ai quitté Maré pour Lifou, puis Nouméa. Quand je suis parti en Métropole, je pensais y rester deux ans seulement, puis revenir au Pays. Ca fait maintenant 11 ans que je suis hors du Territoire. Cela s’est fait comme ça. Je crois que c’est la passion en fait qui me pousse.

 

LPJNC : La curiosité peut-être aussi ?
 

AIK : La curiosité oui, l’envie de découvrir comment les autres vivent, mangent, pour déterminer qui ils sont. C’est enrichissant de rencontrer les autres à travers les voyages, la cuisine.

 

LPJNC : Ici, le repas est important. On aime se retrouver en famille, entre amis autour de grands repas. As-tu rencontré cela aussi au cours de tes voyages ?
 

AIK : En France, je pense que c’était comme cela avant. Au fur et à mesure, cela semble disparaître. En revanche à Dubaï, c’est vraiment important. Une semaine avant le Ramadan (ndlr : qui a débuté le 26 mai), les gens font de grandes courses pour les repas. Des caddies sont mis à disposition pour les moins favorisés dans tous les magasins et personnes n’hésitent à participer. C’est le vivre ensemble, un peu comme ici pendant les mariages.


LPJNC : Comment cuisinez-vous ?
 

AIK : Au feeling. Il y a la recette c’est sûr mais il faut aussi profiter de tous nos sens. Essayer d’écouter. C’est souvent au son qu’on reconnaît une cuisson. Ce n’est pas comme en pâtisserie où on ne peut que suivre la recette, c’est important. Dans la cuisine, c’est la petite touche personnelle qui différencie les personnes. Il faut prendre plaisir à travailler les aliments, il ne faut pas se forcer. Moi j’aime travailler les poissons. J’aime les cuisiner de toutes les façons. Par exemple, j’aime faire cuire le poisson tout simplement dans du thé, avec un peu de citronnelle ou des feuilles de citron. Cette façon-là de le cuisiner, c’est moi, c’est ma touche personnelle. Il faut faire les choses avec amour, sinon on perd son temps. C’est valable pour tous les corps de métier.

 

LPJNC : Lorsque Michel Sarran est venu en début d’année, il a démontré que si on voulait faire travailler les jeunes d’ici, on pouvait le faire. Il a également dit que ce qu’il manquait à la Nouvelle-Calédonie c’était un restaurant gastronomique.
 

AIK : Je ne suis pas sûr que le Pays soit prêt à accueillir un restaurant gastronomique. Tout du moins pour qu’il marche bien. Ici les gens se nourrissent d’abord, ils mangent pour vivre. Ailleurs, où on trouve beaucoup de restaurants gastronomiques, les gens mangent pour le plaisir, leur plaisir avant de se nourrir. C’est envisageable pour plus tard, sûrement. La clientèle sera forcément étrangère, une clientèle qui aime manger. Certains locaux, des expatriés aiment manger aussi, sont curieux également. Mais est-ce que cela sera suffisant pour remplir un restaurant gastronomique ? C’est d’abord une gastronomie avec les produits locaux qu’il faut développer.
Partout où je suis allé, j’ai été embauché parce que j’étais Kanak et on me disait : « Je t’embauche, tu es Kanak. Les Kanak sont des travailleurs ». Ici, on ne le reconnaît pas, pas assez. Les jeunes d’ici ont envie de travailler, il faut leur donner la possibilité de le faire mais pour cela il faut avoir l’esprit manager car ils sont tout à fait capables de le faire. Il faut les guider. Je rejoins Michel Sarran.

 

LPJNC : Un des jeunes stagiaires de l’EFPA, après avoir travaillé avec Michel Sarran, me faisait part de sa découverte des goûts. Habitué à la cuisine traditionnelle locale, il avait découvert d’autres goûts après ce stage. Cela a été la même chose pour vous ?
 

AIK : Oui tout à fait, surtout quand je suis arrivé en France. Quand on arrive ailleurs, on goûte, on découvre des produits nouveaux ou des produits que l’on n’a jamais utilisé. C’est donc forcément une découverte.

 

LPJNC : Votre plat préféré ?
 

AIK : Je n’ai pas de plat préféré mais comme je le disais avant j’ai une préférence pour le poisson. J’aime le cuisiner le plus simplement, le plus diététiquement possible. Quand je reviens dans la famille, j’essaie d’apprendre cette façon de cuisiner. Les problèmes de santé, de poids sont de plus en plus nombreux ici. Les gens du Pays ne se rendent pas compte, on a tout à portée de main. On trouve des fruits partout dans les jardins. Il suffit juste de tendre la main. Ce sont ces aliments-là qu’il faut privilégier, qu’il faut cuisiner. C’est plus simple et moins cher que d’aller au magasin. Ils doivent savoir aussi que la production agricole calédonienne est bonne, très bonne. Sentez, ici on sent tous les légumes, les fruits, ... Ca sent bon, ça sent fort. Quand vous allez dans un marché à Paris, Londres ou Dubaï, vous devez vous pencher au-dessus des fruits, des légumes pour sentir leurs parfums. Même ceux qui sont désignés bio n’ont pas le parfum des fruits et des légumes d’ici. La Nouvelle-Calédonie est réputée pour ses produits : la crevette est tout autant considérée que le foie gras à l’étranger, notre vanille est une des meilleures au monde. On pourrait avoir un autre produit phare : la baie rouge. On en trouve partout ici et très peu ailleurs, ce qui en fait un produit très recherché donc cher. Et puis, on peut tout produire ici, tout.

 

LPJNC : Vous reviendrez au Pays ?
 

AIK : Oui. Partir c'est bien. On apprend beaucoup, on découvre beaucoup aussi. Mais il ne faut pas oublier de revenir, revenir pour construire ici.

 

Claudia Rizet-Blancher
Publié le 11 octobre 2017, mis à jour le 6 novembre 2017

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