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Femmes dans la tech : la situation est-elle meilleure aux US?

Femme devant un ordinateur Femme devant un ordinateur
Christina @ wocintechchat.com - Unsplash
Écrit par Aurélie Giard-Jacquet
Publié le 6 novembre 2022, mis à jour le 8 novembre 2022

Pour la journée des STEM, au cours de laquelle on met en avant l'enseignement des sciences, des technologies, de l'ingénierie et des maths, nous avons demandé à Aurélie Giard-Jaquet, qui anime le podcast TechLipstick de nous parler de la place de la femme dans la technologie, en comparant la situation de la France avec celle des États-Unis.

Alors, Aurélie : l'herbe est-elle plus verte ailleurs?

 

"Lorsque j’ai déménagé à New York en 2019, j’ai décidé de me tourner vers le secteur technologique pour poursuivre ma carrière, à la fois par goût pour les outils digitaux et pour les opportunités offertes. J'ai commencé à m'intéresser à la représentativité des femmes dans la tech et je me suis naturellement posé la question des différences entre l’Europe et les États-Unis. Au vu des besoins énormes des entreprises techs américaines, je pensais y trouver une situation plus favorable aux femmes qu’en Europe.

Un manque de femmes dans la Tech équivalent aux Etats Unis et en Europe

Des deux côtés de l’Atlantique, le constat est le même : la représentativité des femmes est forte dans les métiers de santé et de sciences de la vie, mais plafonne ou progresse légèrement pour les métiers digitaux.

Pour les Etats-Unis, le Pew Research Center apporte des éléments chiffrés dans cet article sur l’évolution de la part des femmes dans les métiers STEM, illustrée par ce graphique :

Grahique

La diminution de la part des femmes dans les métiers informatiques et le déficit flagrant dans les métiers d’ingénierie est également similaire en Europe. D’après une étude de la commission européenne de 2018, les femmes représentent 21.5% de tous les postes numériques en Europe. Dans certains métiers, les femmes constituent la portion congrue des effectifs : 11% dans la Cybersécurité (source : Karsperky Lab, cité par Telecom Paris), 9% dans les métiers infrastructures et réseaux ou 17% dans la programmation et le développement (source : INSEE 2017, cité par Femmes Numériques)

Si les grandes firmes technologiques (IBM, Salesforce, Google…) améliorent de 2.6 points la proportion de femmes dans les métiers techniques depuis 2019, Deloitte est plus réservé sur les sociétés plus petites qui ne fixent pas systématiquement d’objectifs en matière de diversité. Surtout, une autre étude de Deloitte relève la perte de motivation importante des femmes des secteurs technologique, média et télécoms (TMT) depuis la pandémie, ce qui laisse présager des départs importants dans les mois à venir.

Bien entendu les entreprises technologiques offrent d’autres possibilités que les métiers techniques. Mais le déficit de femmes est également criant du côté des entrepreneur.e.s : selon le deuxième European Start-up Monitor, seulement 14,8% des fondateurs de start-up sont des femmes et peinent à trouver des investisseurs.

La formation n'est pas la seule en cause

Quand on aborde les raisons pour lesquelles il n’y a pas assez de femmes dans les métiers technologiques, la formation revient évidemment au premier plan. Le National Center for Women & Information Technology (NCWIT) fournit des données chiffrées sur la formation des Américaines en CIS (Computing and Information Sciences). Elles ne représentent que 21% des bachelors et 15% des doctorants. En France, elles sont 27,2% pour la promotion d’ingénieurs de 2017-2018 (source CNDJ). Même parmi les diplômées d’une école d’ingénieur, elles sont moins nombreuses que les hommes à choisir la tech pour démarrer leur carrière (voir les chiffres fournis par PwC ici).

D’autres facteurs sont cités par les études

Notamment pour expliquer que les femmes ne restent pas dans les métiers technologiques : biais culturels, auto-censures des femmes qui ne se considèrent pas assez scientifiques, manque d’équilibre avec la vie privée, sexisme sur le lieu de travail, etc. Je suis en train de lire “Brotopia” qui retrace l’histoire de la culture tech dans la Silicon Valley et montre comment les femmes se sont trouvées de plus en plus exclues des métiers techs alors qu’elles représentaient 40% des programmeuses en 1984, notamment à cause de processus de sélection biaisés.

Après une vingtaine d’interviews en profondeur de femmes qui travaillent dans la tech pour mon podcast TechLipstick, mon constat est aussi celui d’un manque de rôles modèles féminins dans la tech. Comme le dit très bien Carole David au cours de notre entretien, ce sont soit des personnes mortes il y a longtemps (Ada Lovelace), soit des personnes dont la carrière semble inaccessible (Sheryl Sandberg). De fait, mes invitées n’ont pas toujours de rôle modèle ou mentionnent des hommes. Je ne suis pas sûre qu’une jeune fille se reconnaisse dans Elon Musk ou Steve Jobs pour se projeter dans une carrière future. Même celles qui l’ont déjà démarrée devraient pouvoir identifier des femmes à suivre dans leur métier.

Je pense qu’il y a également un manque de connaissances des métiers technologiques qui pourraient élargir les choix et favoriser d’autres compétences. Qui parlait du métier de Community Manager il y a encore deux-trois ans ? Comment un professeur de lycée ou un conseiller d’orientation peut-il s’approprier des débouchés tels qu’UX designer ou Product Manager ? De plus, on base encore l’orientation vers les études supérieures sur les mêmes paradigmes qu’il y a soixante ans, comme le niveau de mathématiques, alors qu’il y a bien d’autres compétences mises en oeuvre dans les métiers technologiques.

Le problème est complexe et difficile à corriger, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y pas de solutions à tenter.

Changer le regard sur les métiers de la tech

Au fil des portraits pour mon podcast TechLipstick, j’ai eu confirmation qu’il n’y a pas besoin d’avoir fait un bac scientifique ou d’être ingénieure pour exercer un métier dans la technologie. Dans cet extrait de son témoignage, Valérie Quiniou, qui a fait toute sa carrière dans l’informatique, raconte comment elle a démarré alors qu’elle faisait un doctorat en langue. 

 

 

Comme me l’a expliqué Isabelle Andrès, directrice technique, produit et opérations de Believe, la voie royale pour les métiers techs est bien de devenir ingénieure. Mais avec son diplôme d’école de commerce, sa curiosité et l’envie de comprendre l’ont conduite à orienter sa carrière vers le digital, puis vers la technique.

Quant à Gwenaëlle Gourevich, maintenant Chief Technology Officer et co-fondatrice d’un studio de jeu vidéo, elle est autodidacte et s’est formée sur le tas. (Voir son témoignage ici).

Je voudrais citer trois initiatives que je trouve remarquables pour encourager les femmes dans la tech :

  • Au niveau de la proportion de femmes dans les formations en sciences, certaines universités américaines ont déjà dépassé 50%. C’est le cas d’Harvey Mudd College, qui a eu 55% de diplômées en programmation en 2016 (contre 13% en 2009 !) et qui inspire d’autres universités comme celle de Boston. Pour cela, elle a fait trois changements : revoir le cours d’introduction pour montrer qu’il n’y a pas besoin de compétences préalables en programmation ; accroître les opportunités de recherche ; et aider les femmes à assister à Grace Hopper Conference, la plus grande conférence du monde pour les femmes dans la programmation. D’autres initiatives sont mentionnées dans cet article de Forbes consacré au sujet.
  • Social Builder est une association française qui agit pour l’inclusion des femmes dans le numérique et a accompagné plus de 75000 femmes. Elle organise par exemple des ‘digital bootcamps’ gratuits pour permettre à des femmes demandeuses d’emploi de s’initier aux métiers numériques, propose un accompagnent digital aux entrepreneuses ou encore des formations à des postes techniques avec des débouchés immédiats. C’est pragmatique et orienté résultat.
  • L’organisation 50inTech est souvent citée par mes invitées. Fondée par la Française Caroline Ramade, elle accompagne les femmes dans leur carrière tech avec des opportunités de jobs, du mentoring, du réseautage, des conseils carrière, et aide les entreprises à recruter les talents qui leur manque. Elle incite également les entreprises à publier un ‘gender score’ pour mettre en avant leurs actions en faveur de la diversité. La promesse pour les candidates : rejoindre des sociétés qui ont un réel désir d’inclusion. L’objectif affiché est ambitieux : 50% de femmes dans la tech en 2050 !

Pour moi ces organisations vont dans le bon sens, car elles encouragent par l’exemple et montrent les opportunités, en aidant les femmes à dépasser leurs appréhensions et leurs croyances limitantes. Une fois le premier pas fait, il est important de créer un environnement accueillant et encourageant. Je pense que les entreprises n’ont pas le choix : on estime à 1 million le déficit de talents dans les métiers numériques aux Etats-Unis, et le problème est mondial. Je suis donc résolument optimiste, et je vais continuer à faire témoigner des femmes heureuses de travailler dans la tech ! "

Aurélie Giard
Publié le 6 novembre 2022, mis à jour le 8 novembre 2022