Le 29 avril 2024 s’est ouvert devant les tribunaux l’un des plus importants procès de l’histoire de la République Fédérale : le jugement du “Groupe Reuss”, accusé d’avoir organisé un coup d’Etat visant à renverser les institutions actuelles pour réinstaurer ce qu’ils considèrent comme le pouvoir légitime, c’est-à-dire le Reich. Cette organisation terroriste fait partie d’une catégorie de personnes plus large qu’on désigne sous le nom de “Reichsbürger”, citoyens du Reich.
Le 7 décembre 2022, une opération antiterroriste de grande ampleur impliquant près de 3000 policiers en Allemagne, en Autriche et en Italie, visait plusieurs personnes suspectées de prendre part à la mise en place d’une attaque sur le Parlement allemand. Elle a conduit à l'arrestation de près de 25 personnes, parmi lesquelles d’anciens membres de la Bundeswehr, un policier mis à pied, un médecin et une ancienne élue de l’AfD qui siégeait au Bundestag jusqu’en 2021. Quelques jours plus tard, c’est le Prince Reuss qui a été arrêté : aussi appelé Heinrich XIII, cet homme descendant de lignée royale en Thuringe aurait été au cœur du projet de renversement de l’Etat et le potentiel leader des putschistes.
Un groupuscule suspecté d'avoir organisé un coup d'Etat arrêté en 2022
Les personnes actuellement sur le banc des accusés auraient fomenté un coup d’Etat de grande ampleur en utilisant divers moyens allant jusqu’aux assassinats. Durant les nombreuses perquisitions, c’est un arsenal d’environ 1200 armes qui a été découvert par les policiers, au moins 148 000 munitions et toutes sortes d’équipements militaires. On savait déjà que ce groupe était prêt à utiliser la violence pour mettre en oeuvre ses idées depuis le meurtre en 2016 d’un policier à Georgensmünd en Bavière, ainsi que la tentative de meurtre en mars 2023 contre deux policiers venus perquisitionner le domicile d’un suspect, dont l’un a été grièvement blessé.
Le groupe formé autour du “Prince Reuss” comptait apparemment plusieurs anciens militaires parfois hauts gradés. Ainsi, Rüdiger von Pescatore, le supposé n°2 de l’opération, faisait partie de l’armée avant d’être exclu de son unité pour avoir dérobé des armes à la Nationale Volksarmee (armée de l’ex-RDA). La faculté des citoyens du Reich à se procurer des armes est l’un des motifs majeurs d’inquiétude de la part du Bundesamt für Verfassungsschutz (office fédéral de protection de la constitution ou BfV) qui craint un danger réel pour la population générale. Car si le projet de coup d’Etat semblait avoir peu de chances d’aboutir et ne devait pas voir le jour à court terme, les citoyens du Reich avaient déjà fait parler d’eux pour leurs actions de provocations et d’agressions récurrentes ces dernières années. Le BfV a décompté en 2022 286 actes de violence attribués à cette sphère, qui n’est pas un groupe organisé dans son ensemble. Afin de limiter les risques, des opérations de désarmement de personnes susceptibles d’appartenir à ces groupes extrémistes ont été conduites. 1 100 autorisations de port d’armes ont été retirées à des "citoyens du Reich" entre le début de la surveillance et fin 2022 - mais à la connaissance de la BfV, 400 d’entre eux conservent leur permis.
Les membres du "groupe Reuss" arrêtés devaient faire part du nouveau gouvernement une fois la République actuelle renversée. Selon certaines informations, les putschistes auraient tenté de se rapprocher de la Russie, pour être reconnu par celui-ci. La femme du Prince Reuss, d'origine russe, aurait essayé d'établir des contacts, mais l'ambassade de Russie a nié tout lien avec l'organisation après l'arrestation de ses membres.
⚖️ Le premier #procès des #Reichsbürger, ("citoyens du #Reich") débute ce lundi en #Allemagne 🇩🇪.
— FRANCE 24 Français (@France24_fr) April 29, 2024
Ce groupe extrémiste, nourri aux idéologies complotistes et d'extrême droite, prévoyait de renverser le gouvernement. Un projet de coup d'État déjoué fin 2022 pic.twitter.com/WHUceZuPGe
Entre conspirations, antisémitisme et mouvances d’extrême droite
Les citoyens du Reich ne constituent pas à l’heure actuelle un groupe structuré et homogène. Ils comprennent en réalité plusieurs types de sympathisants qui s’apparentent à diverses idéologies et s’identifient à des représentations du monde relativement confuses. La base de leur argumentation repose sur l’idée que l’Allemagne serait gouvernée par des institutions illégitimes et que le Reich historique devrait être remis en place dans le pays. Ils récusent donc logiquement le gouvernement, tous les organes politiques, les lois et l’ordre juridique dans son ensemble. Certains s'octroient le droit de ne pas payer d’impôts ou de cotisations sociales au nom de leur appartenance au Reich, Etat inventé, et renient les documents d’identité officiels allemands. Cette sous-catégorie, parfois plus ou moins indépendante du phénomène des Reichsbürger, est désignée par les autorités sous le nom de “Selbstverwalter” (auto-administrés).
Le groupe terroriste qui préparait un putsch était adepte de la théorie de l’Etat profond, selon laquelle les institutions que l’on connaît sont en réalité une façade et qu’une entité malfaisante, secrète, est en réalité au pouvoir. Des mythes conspirationnistes récurrents sont repris comme celui qui affirme que l’Allemagne ne serait pas souveraine mais encore contrôlée par les Alliées. C’est par ce type d’argumentaires qu’ils justifient leur rejet massif de tout ce qui émane officiellement de la République Fédérale au profit d’autorités autoproclamées.
Si la majorité des citoyens du Reich ne sont pas considérés par l'Office fédéral de protection de la constitution comme des activistes d’extrême droite, certaines de leurs attitudes et des théories auxquelles ils croient sont explicitement antisémites. Ils font souvent référence à l’idée selon laquelle les Juifs seraient responsables de leur chômage, et certains avancent des théories négationnistes. Étant grands adeptes de nombreuses théories du complot, beaucoup se rattachent au mouvement QAnon, venu des Etats-Unis, qui croit entre autres en l’existence d’un réseau secret enlevant des enfants pour boire leur sang. Durant la pandémie de Covid-19, les Reichsbürger protestaient également contre les mesures gouvernementales qu’ils considéraient comme illégales. Leurs membres se définissent aussi comme des Querdenker : des personnes qui remettent en question l’existence de la pandémie ou les explications officielles à ce sujet.
En résumé, les Reichsbürger ne forment pas un mouvement à part entière puisqu'il s'agit plutôt d'un ensemble disparate, dont la menace principale réside dans sa propension à propager des idées haineuses, de la désinformation, une défiance envers l'Etat et les institutions démocratiques. Les autorités allemandes cherchent depuis plusieurs années à mettre un coup d'arrêt à la diffusion de cette nébuleuse conspirationniste, mais le nombre d'adeptes croît continuellement depuis 2020, et la révélation du projet de coup d'Etat en 2022 est de nature à inquiéter d'autant plus sur le danger qu'ils représentent. Le procès en cours devant les tribunaux de Stuttgart, Francfort et Munich devrait permettre d'en savoir plus sur le fonctionnement et les motivations du groupe terroriste.
Pour en savoir plus : un documentaire ARTE est consacré à ce sujet + voir les rapports de la BvF.
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