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HISTOIRE - "La guerre des gâteaux"

Écrit par Lepetitjournal Mexico
Publié le 4 mars 2024

Si son nom peut faire sourire, le premier conflit entre la France et le Mexique fera tout de même plusieurs centaines de morts et modifiera la nature des relations franco-mexicaines. Retour sur la "guerre des gâteaux" qui opposa la France de Louis-Philippe 1er et le Mexique indépendant depuis peu.

Lorsque le Mexique devient indépendant en 1821 son territoire couvre une superficie d'environ 4 400 000 km2, il compte 7 millions d'habitants dont 90% vivent en milieu rural.  La distribution géographique de cette population est très irrégulière : 5 millions de personnes habitent sur le haut plateau central tandis que les régions situées au nord et le long des côtes sont quasiment désertes. Cette situation démographique est parfaitement illustrée par la carte de population réalisée par l'historien mexicain David Piñera Ramirez.  

Carte de population réalisée par l'historien mexicain David Piñera Ramirez. 

En outre, à cette époque, les moyens de communication sont extrêmement rudimentaires. Si on ajoute à cela la division de la classe politique et les ambitions personnelles de tous bords, on peut considérer que l'unité d'un ensemble aussi complexe ne pouvait se réaliser du jour au lendemain.

Malgré la promulgation de la première constitution en 1824 qui établit une république démocratique et fédéraliste sur le modèle de la révolution française et de l'indépendance des Etats-Unis,  la crise économique (les espagnols étaient partis avec leurs capitaux), la guerre civile entre les fédéralistes et les gouvernements intérieurs déstabilise profondément la jeune nation qui se forme dans les pires conditions. Dans son ouvrage publié en 1891, le « Barcelonnette » François Arnaud décrit ce Mexique naissant et bouillonnant à l'image d'un volcan en éruption « Jusque vers 1864, il y avait toujours quelque part un pronunciamiento, un général révolté, un parti qui le suivait, exerçant un vrai brigandage sous prétexte de faire la guerre au gouvernement arrivant quelquefois au pouvoir et le plus souvent au poteau d'exécution ».

Selon la Constitution le mandat du président avait une durée légale de quatre ans, en réalité entre l'Indépendance et l'élection de Benito Juárez, en 1860, plus de 32 chefs d'état se sont succédé à la tête du pays dont le fameux Santa Anna, qui fut président à 18 reprises. L'impéritie des gouvernements successifs ajoutés aux nombreuses convoitises des nations étrangères notamment les Etats-Unis et la France, attirées par la richesse des ressources naturelles du pays, allait provoquer des interventions armées tout au long du XIXe siècle.

Ces agressions furent, paradoxalement, bénéfiques pour le pays car elles contribuèrent à former l'unité mexicaine grâce à la naissance d'un « nationalisme pessimiste » comme l'écrit l'historienne mexicaine Lorenza Villa Lever.

Ainsi eut lieu une première intervention en 1838 lorsque la France réclama le paiement des dommages occasionnés aux citoyens français durant les différentes révoltes et émeutes survenues au Mexique. Dans un premier temps, les Mexicains refusèrent de payer la somme exigée par le gouvernement français (environ 600 000 pesos). Les troupes françaises établirent alors un blocus économique en paralysant le port de Veracruz. Le 27 novembre 1838, les Français bombardèrent le fort de San Juan de Ulúa. C'est à ce moment que Santa Anna, qui voulait redorer son blason après le désastre du Texas (malgré sa victoire à Alamo), prit le commandement des défenseurs de Veracruz. Lors d'un bombardement, il fut blessé à une jambe et dû être amputé. Quand il retourna à Mexico, il fut accueilli comme un héros et en profita pour offrir des funérailles pompeuses à sa jambe perdue !

Dessin figurant dans un manuel d'histoire mexicain publié en 2010 illustrant la « Guerre des gâteaux ». Son titre : « L'invasion française du port de Veracruz ».

Article écrit par Yves Robin, Université de Nantes, auteur de l'ouvrage intitulé « L'image de la France au Mexique. Représentations scolaires et mémoire collective », publié en 2011 aux éditions de l'Harmattan, Paris.

 

L'intervention s'arrêta lorsque le Mexique décida de régler sa dette suite à un traité de paix signé le 9 mars 1839. Ce conflit fut appelé «  Guerre des gâteaux » car, à cette occasion, un  pâtissier  français, Monsieur Remontel, installé à Tacubaya,  avait réclamé des indemnités  suite à la destruction de son commerce lors d'une émeute. Malgré le caractère plutôt anecdotique de cette intervention qui ne donna lieu qu'à quelques canonnades dans le port de Veracruz (le conflit fit environ 95 morts du côté mexicain et 12 morts du côté français), cet épisode est resté dans la mémoire collective du peuple mexicain ; peut-être à cause du caractère antinomique des deux termes « guerre » et « gâteaux » et probablement parce que le mot « gâteaux » renvoie implicitement, dans l'esprit de la plupart des Mexicains, aux délices de la cuisine française.

Dans une perspective plus historique, on peut y voir l'intention du gouvernement français de limiter l'expansionnisme des Etats-Unis : quelques années plus tard, cette vision stratégique géopolitique prendra tout son sens avec l'invasion du Mexique par les troupes étasuniennes (1846-1847) suivie en 1862 de la fameuse « Intervention française ».

 

 

 

 

Yves Robin (www.lepetitjournal.com/mexico), Mercredi 22 octobre 2014

 

lepetitjournal.com Mexico
Publié le 22 octobre 2014, mis à jour le 4 mars 2024
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