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ENQUÊTE - Mais qui est la Reine du Pacifique ?

Écrit par Lepetitjournal Mexico
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 20 février 2015

 

La narcotrafiquante Sandra Ávila Beltrán, dite "La Reine du Pacifique", a été libérée le 7 février dernier après plus de 7 ans derrière les barreaux étasuniens et mexicains. Tout le monde dans ce coin du globe connaît la légende de la "Señora Cocaína". Mais sur elle on a tout dit et parfois n'importe quoi. Une mise au point s'imposait.

Derrière l'image chic et choc de gangster glamour chantée dans les corridos (hymnes à l'honneur des narcotrafiquants, genre très populaire au Mexique), le parcours de Sandra Ávila Beltrán révèle une vie de luxe mais pas toujours rose. Son arrestation, ses procès et le témoignage qu'elle a livré à Julio Scherer García, grande figure du journalisme mexicain et fondateur de la revue Proceso, sont aussi représentatifs de la complexité de la situation du narcotrafic au Mexique.
Sandra Ávila Beltrán, la "Reine du Pacifique". (Photo Octavio Gómez / Proceso)

Le mythe de sa famille et le pouvoir des chansons

Sandra Ávila est née en 1960 en Basse-Californie, c'est vrai que le Pacifique n'est pas loin. Issue d'une famille historiquement liée au narcotrafic, son entourage se compose des Beltrán Félix et des Beltrán Leyva, des clans qui évoluent dans ce milieu depuis trois décennies. C'est dans cet environnement qu'elle a grandi, qu'elle s'est fait des amis : "Je ne suis pas une touriste dans le monde narco", déclarait-elle en 2007 à Julio Scherer. Mais contrairement à ce qu'on peut lire dans quasiment tous les articles qui lui sont consacrés, elle n'est pas la nièce du célébrissime Miguel Ángel Félix Gallardo, le parrain de la drogue au Mexique dans les années 1980 et emprisonné depuis 1989. C'est du moins ce qu'a nié El Padrino lui-même en 2009 dans une lettre manuscrite adressée au quotidien La Jornada : "La supposée Reine du Pacifique ne porte même pas le même nom de famille, j'invite ceux qui ont inventé cette parenté à le prouver". Mais cette légende a la vie dure, tout comme son surnom, apparu avec le temps et finalement immortalisé par le fameux groupe mexicain Los Tucanes de Tijuana dans un narcocorrido composé en 2004, Fiesta en la Sierra.



Une narco condamnée pour... complicité de fuite

Sa peine de prison, Sandra Ávila l'a purgée pour avoir favorisé la cavale de son compagnon, le narcotrafiquant colombien Juan Diego El Tigre Espinoza Ramírez. Après son arrestation, elle avait admis lui avoir fourni de l'argent "pour se déplacer d'un endroit à l'autre et lui maintenir un train de vie confortable", lui permettant de se cacher pendant 5 ans dans Mexico. C'est la seule accusation que les Etats-Unis ont retenu contre elle. Accusée en 2004 d'association illicite pour importer et distribuer de la cocaïne aux USA et en 2012 d'avoir voulu envoyer aux Etats-Unis 9 tonnes de cocaïne, elle a négocié l'annulation de ces charges ou plaidé non coupable et obtenu gain de cause à chaque fois. Aucune accusation ne se porte plus contre elle aujourd'hui, elle est donc libre.

Un conte de fées pas si rose

Sandra_Avila_Beltran

La Señora Cocaína a effectivement vécu ses années de liberté dans un luxe extrême. Après son arrestation, on a saisi 14 comptes bancaires, 178 bijoux... Mais elle a aussi pris des coups. Côtoyer les cartels comporte des risques. Celle qui s'est déclarée "trois fois veuve" a perdu ses deux premiers maris et son fiancé, mais aussi un frère, tous assassinés. Son enfant de 15 ans a été pris en otage, et rendu contre rançon. Enfin, son dernier compagnon, El Tigre du cartel Valle del Norte, a témoigné contre elle après son arrestation en 2009. On est loin d'un scénario à la Sailor et Lula.
Une vie qui a inspiré des chansons, des séries, des livres... (Photo DR)

Au mauvais endroit au mauvais moment ?

Incarcérée, Sandra Ávila décide de témoigner en se confiant à Julio Scherer, décédé le 7 janvier dernier.
Le livre La Reina del Pacífico
: es la hora de contar (Editions Grijalbo) offre le point de vue "privilégié" d'une femme qui a évolué 45 ans sur la corde raide. Pour elle, "les narcos imposent leur autorité à la lumière du jour, imposent les présidents, les chefs de sécurité, ceux qui comptent". La chanson des Tucanes de Tijuana évoque une fête réunissant le gratin des narcos à laquelle elle a effectivement participé et qui, selon elle, donne une idée de la collusion entre le crime organisé et l'Etat. Présent notamment, un peu à l'écart, El Chapo Guzmán, alors le narco le plus recherché du pays depuis son évasion, en train de s'entretenir avec un fils de commandant de sécurité. "Le Chapo est recherché dans le monde entier. Qui l'a libéré ? Le gouvernement. Je l'ai vu dans une fête. Combien d'autres l'ont vu dans d'autres endroits, d'autres fêtes ?".

Sandra_Avila_Beltran
L'arrestation de la belle correspond au début de mandat de Felipe Calderón, et de sa guerre contre le narcotrafic. "Le jour de ma capture, Calderón s'est lancé contre moi. Il a dit que je faisais le lien entre les cartels colombiens et mexicains, m'a décrite comme la femme la plus dangereuse d'Amérique Latine". Pour le journaliste Javier Valdez, "l'arrestation de Sandra Ávila a été un coup de pub, elle n'est pas ce qu'a dit le gouvernement. Elle n'est pas innocente, mais n'a pas joué le rôle qu'on lui a donné".
Sandra Ávila Beltrán lors de sa libération le 7 février 2015. (Photo DR)

Son enfance de "fille de", ses amours crapuleuses, son goût pour les bijoux, Sandra Ávila Beltrán, c'est tout ça. Une femme fatale un peu cynique dont la vie mouvementée aurait inspiré le romancier espagnol Arturo Pérez-Reverte pour son best-seller La Reina del Sur. Et puis en la voyant à sa sortie de prison, on réalise que la guapa Sandra a changé. En 2007, l'énergique président Calderón avait arrêté en plein centre de Mexico une fringante et richissime trafiquante, talons hauts et sourire narquois, qui se payait même le luxe de se maquiller avant d'être interrogée. Plus de 7 ans après, les photographes flashaient une femme vieillie de 52 ans, le cheveux blanc et bouffie par le Botox. La légende s'écorne un peu mais elle subsistera sans doute.

Luca Pueyo (Lepetitjournal.com/mexico) Vendredi 20 février 2015

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Publié le 20 février 2015, mis à jour le 20 février 2015
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