

Depuis quelques jours, le Mexique a perdu de sa voix. Celle qui dénonçait la corruption et révélait nombre de scandales. Celle qui faisait son travail de journaliste en toute indépendance. Carmen Aristegui et son équipe ont été renvoyées par leur employeur, la station de radio MVS. Retour sur une attaque contre la liberté de la presse.
Un rassemblement de protestation s'est tenu lundi 16 mars devant les locaux de la radio MVS. (Photo Desinformémonos)
Pourquoi MVS a-t-elle décidé de renvoyer sa journaliste vedette ? Carmen Aristegui battait des records d'audience tous les matins sur cette radio. Mais depuis lundi, cette voix qui dérangeait nombre des puissants au Mexique n'a plus droit d'antenne. Pour le reporter Juan Omar Fierro, spécialiste des questions de sécurité et de justice depuis 2009 à MVS, il s'agit de représailles vis-à-vis d'une journaliste et de son équipe qui sortaient régulièrement des affaires.
Le cas emblématique et qui aurait scellé le sort de Carmen Aristegui ainsi que de ses collaborateurs remonte à novembre 2014. Le site Aristegui Noticias et d'autres médias révèlent le scandale de la Casa Blanca, une propriété d'une valeur de 7 millions de dollars au c?ur d'un possible conflit d'intérêts entre le couple présidentiel et le groupe de construction Higa. "Cette affaire est sortie un dimanche dans de nombreux médias mais pas sur MVS. Pourquoi ?, s'interroge Juan Omar Fierro, qui s'exprime ici à titre personnel. Je pense que MVS a eu peur et n'a pas voulu que ce reportage soit diffusé. Carmen l'a donc partagé avec d'autres médias pour pouvoir le commenter ensuite dans son programme de radio." Une man?uvre habile pour contourner la censure. Et ce dans un contexte où le gouvernement mexicain est vivement critiqué tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays sur le drame d'Ayotzinapa. "Il y a sûrement une pression de la part de Los Pinos (la résidence du président du Mexique), estime Juan Omar Fierro. MVS préfère payer le coût de ces renvois devant la société que de payer le coût de maintenir Carmen face au gouvernement".
Lundi 16 mars, devant la station de radio MVS. (Photo Desinformémonos)
Le prétexte MexicoLeaks
Lorsque MexicoLeaks, plate-forme internet de lancement d'alertes par des citoyens (lire notre article), voit le jour le 10 mars dernier, avec le soutien de huit médias dont l'unité d'investigation de Carmen Aristegui, la radio réagit au quart de tour. Dans un communiqué, la chaîne explique qu'elle "prendra toutes les mesures pertinentes et nécessaires afin que ses ressources humaines, technologiques, financières et matérielles ne servent pas des intérêts particuliers qui n'ont rien à voir avec le journalisme que réalise l'entreprise". S'ensuit le renvoi des deux journalistes Daniel Lizárraga et Irving Huerta pour "perte de confiance". En demandant leur réintégration, Carmen Aristegui et le reste de son équipe sont eux aussi débarqués de l'antenne.

Pression grandissante suite aux révélations d'affaires d'Etat
Point troublant, l'ancien conseiller et avocat de Joaquín Vargas, Eduardo Sánchez, est le nouveau coordinateur général de la communication de la présidence mexicaine. MVS fait partie d'un grand groupe qui compte notamment des restaurants, l'opérateur de télévision par satellite Dish, ainsi que des chaînes de télévision comme Canal 52MX. L'une des pressions que peut émettre le pouvoir à l'encontre des médias, outre le recours à la publicité, est d'autoriser ou non à émettre sur les ondes. "Récemment MVS s'est vu refuser d'avoir sa propre chaîne de televisión abierta (chaînes numériques) et l'entreprise a pris cela comme une représaille de l'affaire de la Casa Blanca, même si le sujet n'est pas sorti sur MVS et que Carmen l'a juste repris ensuite", souligne Juan Omar Fierro.

Dans un pays notoirement connu pour les nombreux assassinats de journalistes et les pressions exercées à l'encontre de cette profession, le cas Aristegui ne redore pas l'image du Mexique. Bien au contraire. "Là où je me suis vraiment préoccupé, confie Juan Omar Fierro, c'est lorsque le président Enrique Peña Nieto a dit ouvertement que les informations comme celles sur la Casa Blanca avaient pour but de déstabiliser le pays. C'est menaçant. Le pouvoir considère le journaliste comme un opposant." Outre la Casa Blanca, l'équipe d'Aristegui travaillait également sur d'autres sujets sensibles tels que la maison de Luis Videgaray, le ministre des Finances, et le cas Tlatlaya, 22 personnes exécutées par l'armée mexicaine. La bataille que Carmen Aristegui et son équipe s'apprêtent à livrer ne fait que commencer.
Tristan Delamotte et Jean-Marie Legaud (Lepetitjournal.com/mexico) Mercredi 18 mars 2015







