Tout le monde en parle depuis plusieurs semaines, la Gen Z se révolte en 2025. Elle se soulève au Népal, au Pérou, à Madagascar et aussi au Maroc. Connue sous le surnom de “génération réseaux sociaux”, “génération TikTok”, elle est souvent décrite comme une jeunesse façonnée par l’écran. Mais au-delà du cliché médiatique, une autre lecture s’impose. Le sociologue marocain Mehdi Alioua nous rappelle que, du moins au Maroc, la conscience sociale de cette génération vient d’abord de l’école, pas d’Internet.


Nés entre 1997 et 2012, les jeunes de la Gen Z ont grandi dans un monde hyperconnecté. C’est la première génération à avoir été totalement immergée dans la culture numérique. Mais pour Mehdi Alioua, les réseaux sociaux ne créent pas la révolte, ils la traduisent. « La Gen Z, c’est le mouvement de la massification de l’éducation nationale marocaine. Pour la première fois dans l’histoire du pays, une classe d’âge entière a été socialisée à l’échelle du royaume. Tout le monde est allé à l’école au moins jusqu’à 14-15 ans. Tout le monde, ou presque », explique-t-il. Ce basculement a profondément transformé le Maroc. Les jeunes partagent un socle commun, celui de savoir lire, écrire, débattre. Dès le plus jeune âge, ils ont appris que le travail et l’école pouvaient permettre de s’élever. L’école diffuse une promesse, celle de la méritocratie, mais dans les faits cette promesse s’est fissurée.
Au Maroc, le mouvement GenZ 212 a émergé le 27 septembre 2025, lançant un appel à la démission du gouvernement. Depuis, des manifestations spontanées éclatent dans plusieurs régions, notamment dans le centre et le nord du pays. Majoritairement composés de jeunes, les cortèges réclament plus de justice sociale, un meilleur accès à l’emploi, à la santé et à l’éducation.
La Gen Z naît de l’illusion du mérite
C’est peut-être là que se joue la vraie colère de la génération Z marocaine. Ces jeunes ont cru à l’école, aux notes, au travail. Ils ont intériorisé les règles du jeu de la méritocratie avant de découvrir qu’elle ne fonctionne pas.

« Même si les conditions sont différentes, même si les dés sont pipés, il y a un sentiment partagé que la méritocratie ne fonctionne pas », explique Mehdi Alioua.
Mehdi Alioua explique que derrière la massification de l’enseignement se cache une réalité sociale fragmentée, « les différences entre territoires sont profondes. Certains sont tellement en difficulté qu’en sortir devient presque impossible ». Les écarts entre rural et urbain, public et privé, sont criants. Les classes populaires, souvent laissées pour compte et voient dans la réussite scolaire un chemin bouché. Et c’est de là, selon le sociologue, que naît la Gen Z. « Même si les conditions sont différentes, même si les dés sont pipés, il y a un sentiment partagé que la méritocratie ne fonctionne pas », explique-t-il. Travailler dur, bien réussir à l’école, ne suffit plus. D’après le sociologue, « ce sentiment d’injustice traverse la société et explique, en partie, l’adhésion massive des Marocains au mouvement Gen Z ».
Au Maroc, les jeunes manifestent pour la justice sociale
Diplômés mais précaires, qualifiés mais sous-payés, beaucoup ne parviennent pas à s’émanciper de la cellule familiale. L’âge du départ du foyer recule, parfois indéfiniment.
Le rêve d’un couple indépendant et d’un foyer autonome devient inaccessible sans un soutien familial déjà solide. Ce décalage entre la promesse et la réalité alimente la frustration d’une génération persuadée d’avoir fait tout ce qu’il fallait sans jamais en voir les fruits.
Internet est l’écho numérique d’une colère sociale
« Si cette population n’était pas allée à l’école, si elle n’avait pas été biberonnée à la méritocratie, les réseaux n’auraient jamais eu le même rôle », insiste le sociologue.
Contrairement au cliché de la “génération Internet”, Mehdi Alioua nuance le rôle des réseaux sociaux. « Ils n’aident pas plus ou moins à la prise de conscience », affirme-t-il. « C’est juste que les modalités d’action et de discussion ont changé. Cette génération ne regarde pas la télé avec ses parents, elle regarde des vidéos YouTube dans sa chambre, joue en ligne ou discute sur son téléphone ». Même dans les milieux les plus modestes, le smartphone est devenu un outil d’expression. Mais cette socialisation numérique ne pourrait exister sans le passage par l’école. « Si cette population n’était pas allée à l’école, si elle n’avait pas été biberonnée à la méritocratie, les réseaux n’auraient jamais eu le même rôle », insiste Mehdi Alioua.

« L’école, ce n’est pas seulement l’accès à l’éducation nationale, c’est aussi l’accès à une valeur de base qui est l’égalité ». Cette génération grandit avec l’idée que les bonnes notes ouvrent des portes et quand elle découvre que les portes restent fermées, la colère devient politique. « Les réseaux sociaux ne sont que des espaces de connexion. Leur effet est réel, mais pas déterminant. Ce qui façonne cette génération, c’est avant tout l’éducation nationale », justifie le sociologue.
Penser global, agir local : la Gen Z se révolte au Maroc, au Népal et à Madagascar
« Ce n’est pas une révolte marocaine, ni péruvienne, ni malgache, c’est une révolte mondialisée. La jeunesse accuse ses aînés d’avoir failli », explique le sociologue marocain.
Pour lui, la génération Z vit une époque où la colère est devenue le langage commun. Du Maroc à Madagascar, du Pérou au Népal, le même sentiment d’injustice traverse les frontières. « Ce n’est pas une révolte marocaine, ni péruvienne, ni malgache, c’est une révolte mondialisée. La jeunesse accuse ses aînés d’avoir failli. Les misères diffèrent, les paysages changent, mais le sentiment est le même. Et ce sentiment crée de la révolte parce qu'il y a de la frustration, de la colère, d'autant plus qu'il y a de la peur avec ces injustices sociales qui grossissent. Les riches n'ont jamais été aussi riches, la classe moyenne est prise à la gorge, et d'un autre côté il y a la peur d’un futur écologiquement invivable », conclut Mehdi Alioua.
Sur le même sujet









