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LITTERATURE – "Correspondance" entre Albert Camus et André Malraux

Écrit par Lepetitjournal Lisbonne
Publié le 17 avril 2017, mis à jour le 18 avril 2017

Les éditions Gallimard ont publié en octobre 2016 la correspondance entre deux figures majeures de la littérature française du vingtième siècle: Albert Camus et André Malraux. Une occasion pour (re)découvrir une relation sinon d´amitié du moins de respect, d´estime ou d´admiration entre deux grands écrivains. 

Camus-Malraux : des lettres à l'honneur
On nous ressasse jour après jour qu'en France il n'y a plus de grands écrivains. Ce débat nous mènerait loin et ce n´est d´ailleurs pas le sujet de notre article. Ce qui nous manque aujourd´hui c´est peut-être, comme jadis, des figures dans lesquelles on pourrait reconnaître de grandes références intellectuelles et morales. Des écrivains qui prennent position et qui n´ont pas peur de le faire. Des écrivains de cette trempe n´ont pas à proprement parler disparu, mais leur magistère moral est moins visible en ces temps de société du spectacle. Il est donc toujours intéressant de voir paraître la correspondance -ne serait-ce qu´en tant que document- entre deux figures de référence de la littérature française du vingtième siècle : Albert Camus et André Malraux.

Albert Camus
Né en 1913, en Algérie française, auteur de L'Étranger et de La Peste, était issu d´une famille assez modeste, la mère étant analphabète et le  père ?qu´il n´a donc pas connu- mort au front en 1914 dans le cadre de la première guerre mondiale. Il fut arraché à la pauvreté de son enfance algérienne? et sans doute à une destinée de citoyen anonyme-grâce à Louis Germain, l´instituteur qui a persuadé sa mère de laisser son jeune Albert poursuivre ses études. Albert devenu le grand écrivain que l´on sait n´a jamais oublié ce qu´il devait à son professeur et lui a rendu hommage à Stockholm en 1957 dans le discours de réception du Prix Nobel de Littérature.

André Malraux
Né en 1901 et décédé en 1976, a survécu seize ans à Albert Camus, mort dans un accident de voiture en début 1960. Aventurier en Indochine et combattant aux côtés des Brigades Internationales dans la guerre civile d´Espagne (1936-1939), André Malraux est notamment l´auteur de La condition humaine (prix Goncourt 1933) et de L´Espoir, deux titres comptant sans doute parmi les plus grands romans français des années trente avec Voyage au bout de la nuit et Mort à Crédit de Céline, Le sang noir de Louis Guilloux, La peur de Gabriel Chevallier ou Les Javanais de Jean Malaquais. Après la guerre, il a suivi en quelque sorte une carrière politique en tant que Ministre d´Etat aux affaires culturelles dans les gouvernements du Général Charles de Gaulle, entre 1958 et 1969. Malgré la différence de leur formation et de leurs lectures, André Malraux et Albert Camus avaient en commun le fait d´avoir été tous les deux élevés par leurs mère et grand-mère respectives dans une ambiance familiale où le père était absent : celui de Camus parce qu´il était mort, celui de Malraux  parce qu´il a très peu fréquenté son fils après le divorce d´avec sa femme.

Correspondance entre deux écrivains de 1941 à 1959
Dix-huit ans s´écoulent entre la première lettre écrite en 1941 et la dernière en 1959. Du ton de la correspondance entre les deux écrivains, on peut aisément déduire qu´ils n´ont jamais été des amis intimes, mais le respect, l´attention réciproque, l´estime n´étaient nullement absentes de leur relation. Dans son excellent avant-propos, Sophie Doudet écrit : "Trente-six lettres, des rencontres et des échanges, pour passer de l´"admiration" à la "pensée amicale" : Albert Camus grandit sans renier le «maître de sa jeunesse" tout en trouvant sa propre voie, André Malraux poursuit son ?uvre  et réalise ses rêves de destin historique. Les deux hommes se sont estimés, ils ont été un temps proches mais peut-on dire qu´ils ont été amis ?".

Si la voie que chacun d´entre eux a suivie a pu les éloigner quant aux engagements qu´ils ont pris, ils ont quand même tenu une correspondance régulière et se sont rejoints sur bien des aspects.

La correspondance commence en octobre 1941 et le sujet en est l´essai de Camus Le mythe de Sisyphe dont Malraux a activement soutenu la publication. Il lui donne son avis, fait des remarques, et malgré des imperfections ici ou là ?qu´il avait déjà signalées chez L´Étranger et que Camus s´était fait fort de corriger-il voit déjà en Camus, non plus une promesse, mais un écrivain qui compte : "Je laisse de côté les détails : le début patouille un peu. Puisque vous vous servez de l´éclairage du suicide, inutile d´y revenir trop quand il a été posé. Peu importe. Ce qui importe est qu´avec les deux livres ensemble vous prenez place parmi les écrivains qui existent, qui ont une voix, bientôt une audience et une présence. Il n´y en a pas tant". Camus -qui n´avait jamais caché l´admiration pour l´?uvre de son aîné- lui a répondu deux semaines plus tard en se montrant reconnaissant : "Je vous remercie de votre lettre. Vous êtes parmi ceux dont j´ai souhaité l´approbation et la façon dont vous me la donnez ajoute à ma gratitude ; je vous devais déjà beaucoup".

L´amitié ou du moins le respect, l´estime et l´admiration qui les liaient ont duré jusqu´à la mort brutale de Camus le 4 janvier 1960. Cette attention réciproque se serait même raffermie un peu avant avec l´attribution par Malraux, alors ministre de la Culture, de la direction d´un théâtre parisien à Camus.

Ce volume de cent-cinquante pages environ est agrémenté d´annexes et appendices où l´on peut lire des textes des deux auteurs -notamment de Camus sur Le temps du mépris  et de Malraux sur Les Justes et L´Homme révolté ou encore l´intéressant "Staline et son ombre"- ainsi que d´un entretien entre Malraux et Jean Daniel, le journaliste et écrivain français, né en Algérie.

Ce livre, surtout en tant que document, ne peut que réjouir les admirateurs de l´?uvre de ces deux figures essentielles de la littérature française du vingtième siècle.  

Albert Camus/André Malraux, Correspondance (1941-1959) et autres textes, édition établie, présentée et annotée par Sophie Doudet, Gallimard, Paris, octobre 2016.

Fernando Couto e Santos Fernando Couto e Santos (www.lepetitjournal.com/lisbonne.html) mardi 18 avril 2017

http://laplumedissidente.blogspot.pt/

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Publié le 17 avril 2017, mis à jour le 18 avril 2017

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