TrekkInca, une agence de tourisme solidaire francophone. Entretien avec Claire Marcos
Créée en 2018 et basée à Cusco, TrekkInca se divise en deux entités complémentaires : une agence touristique solidaire francophone péruvienne, et une “Assolidarité” française.
Ces deux entités se recoupent sur une même ambition : défendre un tourisme local solidaire proche des communautés locales, et soutenir les écoles rurales du Sud Andin par différents projets éducatifs et culturels. Entretien exclusif avec Claire Marcos, cofondatrice et coordinatrice de projet de TrekkInca.
Le Sud Andin, un tourisme inégalitaire. Panorama de la situation socio-économique de la région de Cusco
Paradoxalement, bien que la région de Cusco soit la première destination touristique nationale, elle demeure l’une des plus pauvres du pays. En effet, les retombées économiques et sociales du tourisme profitent majoritairement à des entreprises privées, souvent étrangères, excluant les populations locales.
Le tourisme représente 90% de l’économie locale, mais ses effets se concentrent essentiellement sur la ville de Cusco, massivement gentrifiée au profit de commerces, restaurants et hôtels.
Le tourisme de masse dont fait l’objet la région pose également des questions importantes quant au respect et à la transmission des traditions et de l’histoire incas. Si cette mise en valeur peut permettre aux habitants de se réapproprier leur patrimoine culturel et leur héritage, il peut également le réduire à une attraction touristique.
Tandis que le centre urbain profite du phénomène touristique, les zones rurales de Cusco s’en trouvent profondément marginalisées, et restent dans une grande pauvreté. Les habitants font face à des problèmes de malnutrition, d'insécurité alimentaire, et se retrouvent cantonnés à des emplois précaires du tourisme. L’éducation est un autre enjeu crucial de la région : ce sont 6 enfants sur 10 qui souffrent de retard scolaire et seulement 30% qui terminent leurs études élémentaires.
TrekkInca, un tourisme conscient au coeur de la Vallée Sacrée
L’agence TrekkInca adopte une approche clairement engagée en faveur d’un tourisme éthique. Leur positionnement est sans ambiguïté : TrekkInca n’est pas une agence de voyage comme les autres. Conscient des effets dévastateurs du tourisme de masse, l’agence défend un modèle de tourisme solidaire, proche des communautés locales.
“Notre travail doit avoir du sens, et ce sens passe par le partage avec les communautés locales. Puisque le tourisme repose ici sur leur histoire, leurs traditions, il est juste que les retombées leur reviennent.” “Garder un esprit de solidarité simple, sans prétention.”
L’Assolidarité TrekkInca, un projet éducatif et culturel pensé pour, avec et par les populations locales
Convaincu de l’importance de l’épanouissement culturel et éducatif des enfants de la région dans la préservation et le respect de la culture inca, l’Assolidarité TrekkInca soutient des projets éducatifs et culturels au sein des communautés éloignées de Cusco.
Quels sont les différents projets que vous menez au sein de TrekkInca ?
“Nous travaillons pendant deux ans avec une école rurale, toujours éloignée de Cusco, car plus les villages sont isolés, plus les besoins sont grands. Ce sont souvent des enfants qui n’ont jamais quitté leur village, dont les parents vivent d’agriculture de subsistance.
La première année, nous finançons les fournitures scolaires et mettons en place une bibliothèque. La seconde, nous emmenons les enfants au Machu Picchu pour qu’ils découvrent leur histoire, leur patrimoine. On essaie aussi de toujours les accompagner de professionnels de la culture, du spectacle et de l’éducation pour leur proposer des activités de qualité.”
@TrekkInca
“C’est vraiment quelque chose qu’on essaie de mettre en place, c’est de mettre les moyens pour soutenir le milieu de la culture et de l’éducation péruvien. On cherche à valoriser des professionnels qui sont finalement peu mis en avant, tout en professionnalisant nos actions”.
Quelles sont vos différentes sources de financement pour soutenir ces projets ?
“À l’origine, l’association était financée en partie par l’agence, mais peu à peu, elle a développé ses propres ressources. Aujourd’hui, on reçoit des dons de voyageurs qui nous ont connus sur le terrain et nous font confiance, de petites entreprises, et on vend aussi de l’artisanat local, comme notre mascotte “Cusco le lama solidaire” ou un livre de contes pour enfants créé avec des auteurs et illustrateurs partenaires. Ce sont de petites sources, mais très précieuses, et surtout issues d’un réseau de soutien très humain et engagé, qui reconnaissent notre travail. “
La crise sanitaire liée au Covid-19 a durement frappé la région de Cusco. Dans une ville où le tourisme représente la quasi-totalité de l'économie locale, la fermeture des frontières et des sites touristiques comme le Machu Picchu a laissé des milliers de familles sans ressources. Les effets se sont rapidement fait sentir, notamment dans les zones rurales les plus précaires.
“Il y a eu deux ans d’école fermée. Pendant cette période, on n’a pas pu continuer nos projets éducatifs, donc on a tout réorienté vers le soutien aux familles. On a apporté de l’aide alimentaire aux familles qui vivent dans les hauteurs de Cusco, des gens qui vivaient plutôt au jour le jour et qui se sont retrouvés sans aucun revenu.”
Pour répondre à l’urgence, l’association s’est engagée dans le soutien aux Ollas Comunes, des cantines solidaires mises en place par les habitant·es eux-mêmes dans différents quartiers :
“Elles se sont organisées entre quartiers pour cuisiner ensemble, pour tout le monde. Et nous, on a participé à leur financement. C’était une solution concrète pour nourrir les familles pendant ces années-là.”
@TrekkInca
Du côté de l’agence de voyage solidaire, l’activité a été totalement suspendue. Pendant un an, plus aucun tour n’a pu être organisé. Une période difficile, dont est née une idée originale : proposer des visites virtuelles de Cusco, en direct, à destination des francophones.
“Je me suis dit : si les voyageurs ne peuvent pas venir à Cusco, alors nous, on va venir à eux. On proposait des visites virtuelles de la ville, et aujourd’hui encore, on continue ce format, notamment pour des écoles francophones.”
Cusco autrement : un regard solidaire sur l’histoire inca.
Des conseils pour la communauté expatriée, cherchant à visiter la région de Cuzco de manière éthique, et à s’immerger dans l'histoire inca ?
« Beaucoup de gens viennent pour le Machu Picchu, mais Cusco elle-même regorge d’histoire – elle a plus de 3000 ans, bien plus que le Machu Picchu ! En se promenant simplement dans la ville, on traverse toute l’histoire inca. Pour vraiment s’immerger, je conseille vivement d’être accompagné d’un guide, idéalement francophone. C’est ce qui permet de dépasser l’aspect “carte postale” et de comprendre la profondeur culturelle des lieux. C’est ce qu’on cherche à valoriser avant tout : prendre le temps de raconter, de transmettre, pour que cette histoire ne soit pas juste vue, mais vraiment partagée. »