Édition internationale

VENTE DE L’AMBASSADE DE FRANCE EN MALAISIE – Entrevue avec l'Ambassadeur

Écrit par Lepetitjournal Kuala Lumpur
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 18 décembre 2014

En 2011, le patrimoine immobilier de la France à l'Etranger (consulats, ambassades, instituts français, etc) s'élevait à 1.500 biens répartis dans 160 pays, pour une valeur d'environ 5 milliards d'euros. Au cours des six dernières années, 152 biens immobiliers appartenant à la France auraient été vendus par le Ministère des Affaires Etrangères pour une valeur totale de 307 millions d'euros. L'ambassade de France en Malaisie s'inscrit comme l'une des prochaines ventes de ce programme de cessions mis en place en 2009. Cette décision est-elle incontournable ? D'autres solutions qu'une vente sèche peuvent-elles être envisagées ? Doit-on considérer cette politique comme une « dilapidation » du patrimoine français ? Sur quelles bases les biens sélectionnés pour la vente le sont-ils ? Quel impact cela aura-t-il sur le rayonnement de la France et pour les entreprises françaises basées en Malaisie ? Alors qu'une pétition vient d'être lancée contre la vente de l'Ambassade, S.E. Christophe Penot, Ambassadeur de France en Malaisie nous a reçu pour faire le point.

Avant toute chose, il faut le rappeler, Christophe Penot a géré durant quatre ans l'immobilier du Ministère des Affaires Etrangères à Paris. ?Il est normal que les Français se posent des questions?. Mr l'Ambassadeur ne dit avoir aucune objection à la pétition qui a été lancée, considérant qu'il est ?plutôt sain d'avoir une discussion?. Mais, il tient à mettre en avant que deux grands axes sont à l'origine de cette vente, ?les raisons sont difficiles à comprendre car cela elles relèvent d'une politique globale, son point d'application en Malaisie peut paraître injuste? aux ressortissants.

Une politique qui se veut globale

Depuis 2009, une nouvelle politique immobilière a en effet été mise en place par le gouvernement. Sous les gouvernements successifs, l'objectif a été de rationaliser la gestion du patrimoine immobilier de l'Etat et d'en optimiser sa gestion. Le Ministère des Affaires Etrangères n'a donc pas dérogé à cette volonté.

Christophe Penot explique qu'il faut reconsidérer les choses : ?est-ce que les locaux ou les terrains sont bien dimensionnés? par rapport à l'usage qui en est fait ? Il cite en exemple Bangkok qui a vu ses services regroupés et l'ambassade reconstruite. ?Ici le campus est gigantesque. Le parc est très beau et c'est un crève-c?ur pour tout le monde, mais la question d'un gestionnaire est : a-t-on besoin de cela pour représenter notre pays ??

Contrairement aux autres ventes, dont 30% de la recette est reversée à l'Etat dans l'optique de participer au renflouement du déficit public, le Ministère des Affaires Etrangères a pu bénéficier d'un accord avec la direction du Budget. Ainsi, il récupère l'intégralité des ventes effectuées à l'étranger. Cela étant, le Ministre a décidé que le MAEDI participerait au désendettement de l'Etat, en reversant une contribution volontaire. La très grande ?majorité de la ressource sera donc réinvestie dans le réseau diplomatique et consulaire français à l'étranger?. Pour quelles raisons ? A ce jour, l'Etat a très peu de crédits budgétaires en termes d'investissement. Le vrai problème donc, détaille Christophe Penot, c'est ?qu'aujourd'hui l'Etat ne peut pas dégager facilement des ressources nouvelles pour l'entretien lourd, la remise à niveau de la sécurité du réseau, la France étant confrontée à une menace globale, il faut protéger nos ambassades et institutions?. Un budget conséquent qui s'élève à des dizaines de milliers d'euros chaque année. Ainsi, l'Ambassadeur cite l'attentat contre l'Ambassade de France à Tripoli en avril 2013. Il a ensuite été nécessaire de la reconstruire, mais il n'y avait pas de budget pour cela.

A Kuala Lumpur, cette vente est vécue ?comme quelque chose de négatif, mais rapporté à une politique globale? les choses doivent être perçues d'un autre point de vue. Aujourd'hui il est indispensable de gérer au mieux ?ces 1.500 biens?. Lorsqu'on l'interroge afin de savoir sur quelle base, la décision est prise de vendre tel ou tel bien, dans le cas de la Malaisie, Christophe Penot nous explique que des études ont été menées en amont. ?Conjoncturellement, la valorisation peut se faire de façon optimale car le marché est au plus haut ici. Tous les spécialistes de l'immobilier s'accordent à dire que c'est un très bon moment pour procéder à cette vente?.

Et le rayonnement de la France et de ses entreprises dans tout cela ?

Seulement voilà, l'une des principales questions qui émerge est quelles répercussions cette vente va-t-elle avoir sur l'image et le rayonnement de la France en Malaisie ? L'Ambassadeur l'assure : deux de ses objectifs dans le cadre de cette cession sont d'une part de ?veiller à la bonne mise en ?uvre? de cette vente ?et que l'on en retire un profit maximum?; d'autre part, ?veiller à ce que la relocalisation de la chancellerie et de la résidence se fassent dans des conditions qui ne nuisent pas au rayonnement de notre image?.

?La vente ne signifie pas par ailleurs que nous allons réduire nos effectifs en Malaisie, composés à ce jour de 70 à 80 personnes?. Christophe Penot en convient, la résidence de France est ?un outil de représentation et d'image au service de la communauté. Mais l'ambassade aussi est importante. Aujourd'hui le consulat reçoit les Français dans des conditions que je ne trouve pas satisfaisantes. De plus, tous les services sont cloisonnés? ce qui empêche de travailler ensemble de façon fluide et optimale.

La vente, seule issue envisageable ?

Alors la question suivante se poste : pourquoi ne pas céder une partie du terrain et conserver l'exploitation des bâtiments ? ?Nous n'allons pas rénover, ni détruire pour reconstruire?, une telle opération, tel que le précise l'Ambassadeur, nécessiterait par ailleurs un budget plus que conséquent, entre 8 et 10 millions chiffre-t-il. La vente partielle du terrain n'a quant à elle d'intérêt ?que si nous conservons la résidence. Si cinq tours d'habitation? se construisent juste à ses pieds, son maintien sur le site apparaît alors ?comme peu intéressant. Le revenu qui serait retiré de cette vente serait par ailleurs moins élevé?. Une autre solution évoquée aurait pu être de trouver un partenariat avec un promoteur, mais une telle option ?poserait énormément de problèmes d'ordres juridiques et financiers. L'Etat n'est pas promoteur et s'associer implique de différer le revenu que l'on attend de l'opération. Cela serait dont très loin de ce que nous pourrons obtenir par le biais d'une vente sèche?. Par ailleurs, alors que le gouvernement malaisien a entrepris certaines actions afin de percer la bulle immobilière qui était en train de se former, Christophe Penot le souligne, ?le marché restera-t-il à la hausse ? La réponse n'est pas évidente?. Il entrevoit donc la future implantation comme un ?progrès dans l'accueil des Français et des Malaisiens, mais aussi dans le fonctionnement au quotidien des différents services, une meilleure synergie et de meilleures conditions de travail pour les agents?.

Mais il ne le nie pas, ?le grand problème c'est la résidence. Je suis d'accord qu'il est dommage de quitter ce bâtiment?, mais dans un contexte de politique globale, l'Ambassadeur appelle à relativiser. ?J'ai la conviction que l'on peut trouver un lieu sans que notre image en pâtisse?. Les prochains mois seront consacrés à de nombreuses visites, dans le but de trouver un endroit qui puisse convenir au mieux et qui restera dans le centre-ville.

Aucun doute en revanche sur le fait que la capacité à racheter un bien sera bien réelle. Cependant, nuance l'Ambassadeur, ?il faudra voir ce qui est le plus intéressant pour l'Etat?. Si le relogement des différents services s'envisagent lui sur un plateau de bureaux, il l'évoque à juste titre ?quel est le calendrier d'obsolescence d'un plateau de bureaux ? Si nos actifs sont dévalorisés en 10 ou 12 ans, ceci n'est pas intéressant? et louer pourrait donc paraître une meilleure option. Mais encore une fois, il le rappelle, aucune décision ne sera prise dans la précipitation, et des études seront menées pour statuer sur ce qui conviendra le mieux. Quant à acheter une nouvelle résidence, l'Ambassadeur répond sans hésitation ?oui, cela ne posera pas de problème?.

Il l'assure, il veillera dans tous les cas à ce qu'une ?mise en concurrence valorise notre produit?, rappelant que chaque décision est mûrement réfléchie.

Oui mais doit-on comprendre que l'on va vendre et, par là même, augmenter les dépenses de fonctionnement en louant partiellement ? ?Cela se comprend en Malaisie, mais ce n'est pas le bon raisonnement pour Paris?. Pourquoi ? Encore une fois, il faut appréhender les choses dans leur globalité. ?La vente de la résidence consulaire à Hong Kong a par exemple permis d'acheter un plateau de bureaux à Shanghai pour sortir d'un loyer qui allait passer à un million. A l'inverse, à Hong Kong on loue maintenant pour un montant inférieur de moitié au loyer qui aurait dû être acquitté à Shangai?. Un système de vases communicants où, au cas par cas, il est nécessaire de considérer ce qui représentera une gestion optimale de ce patrimoine, dans une logique de réseau.

La France dilapide-t-elle son patrimoine ?

?Cet argument de dilapidation du patrimoine est faux. On réinvestit. Pas forcément en Malaisie mais dans d'autres pays. Comme en Egypte où l'on doit effectuer des travaux importants pour des raisons de sécurité. Il y a des priorités qu'il faut financer?.

La vente a été confiée à un agent qui aura en charge d'effectuer la mise en concurrence sous le contrôle, bien entendu, de l'ambassade. L'appel d'offre a été lancé mi-décembre. Le contrat de vente, détaille l'Ambassadeur, devrait être signé en mars ou avril 2015. ?Il faudra ensuite compter environ quatre mois pour finaliser le contrat. La vente devrait donc être soldée en août ou septembre. Nous demanderons à prolonger notre occupation durant un an. Le déménagement sera donc prévu pour le premier trimestre 2016?.

Christophe Penot conclut ainsi : ?je veillerai à ce que le consulat soit mieux installé et plus moderne, comme l'image de l'ambassade et de la représentation française. Ce sujet ne doit pas nous diviser. Les Français ont le droit de s'opposer mais doivent avant tout réfléchir à l'ensemble des facteurs? qui mènent à cette vente.

Alexandra Le Vaillant (www.lepetitjournal.com/kuala-lumpur.html) jeudi 18 décembre 2014

Crédit photo : ambassade de France en Malaisie

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Publié le 17 décembre 2014, mis à jour le 18 décembre 2014
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