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PASSEUR D'HISTOIRE - “L’escale de Malacca est une déception“

Écrit par Lepetitjournal Kuala Lumpur
Publié le 18 décembre 2016, mis à jour le 19 décembre 2016

 

?L'escale de Malacca est une déception? Jean Cocteau, Mon premier voyage (Tour du monde en 80 jours), Gallimard, 1936

Le 28 avril 1936 Phileas Fogg alias Jean Cocteau et son fidèle Passepartout, à bord du Karoa, jettent l'ancre dans la baie de Malacca. En effet le touche-à-tout de génie a accepté pour Paris-Soir de partir sur les pas des héros de Jules Verne. Après le déjeuner, ils débarquent, et c'est en pousse-pousse que nos touristes visitent la ville. 

« La vie de Malacca doit être une vie de campagne très européenne et très élégante. La ville est une petite ville de province, pleine de garages, de papeteries, d'usines, d'écoles, d'églises méthodistes, de magasins, de pelouses de sport. Clubs et camp de boy-scouts. Fanfares qui s'exercent. Tirs. Ruines de temples. Couleuvrines. » 

Cette collection d'instantanés, est encore bien visible aujourd'hui dans le paysage de Malacca. 

 « Rares sont encore les vieilles femmes qui marchent encore sur des moignons : plumes d'oie au bec retroussé, trempées dans des encres de couleurs vives. Rares les vieux qui portent la natte. Ici plus qu'ailleurs on s'attriste que les coutumes disparaissent. Malveillance des pêcheurs de Villefranche. Seuls les Sikhs tiennent bon avec leurs farouches crinières d'amazones. »

Si les Chinois ont renoncé à la natte, qui symbolisait leur servitude, la famille Yeoh continue à fabriquer les Lotus d'or en souvenir d'une époque révolue et les Sikhs font toujours de la résistance. Précieux conseil pour les photographes, l'artiste a parfaitement saisi la violence de la lumière équatoriale.    

« Le soleil mange les couleurs. Le soir elles ressuscitent dans une brune de nacre. L'humidité lave la poussière. On dirait que des plantes sous-marines et des coquillages morts revivent dans l'eau fraîche.  

Haies d'hibiscus. Les porteurs les appellent : fleurs de souliers, parce qu'ils teignent leurs socques avec l'écarlate de ces grosses fleurs compliquées qui tirent la langue. »

En effet, le jus de celle qui allait devenir après l'indépendance, la fleur nationale, Hibiscus rosa-sinensis est alors utilisé pour teindre les chaussures.   

« Légumes. Rue lacustre. Magnifiques jonques de bois précieux, un gros ?il à la proue. Les mariniers se douchent en tirant l'eau sale dans un seau qu'ils y jettent au bout d'une corde. Ils se baignent ensuite sans ôter leurs pagnes. Ils se frottent, les poings fermés, de toutes leurs forces. » 

Malheureusement la réhabilitation de la rivière pour satisfaire les besoins croissants du tourisme l'a vidée de sa substance. Les barges, les chantiers navals, les dockers, les  entrepôts, ses pêcheurs et ses  perahus multicolores ont aujourd'hui disparu de la rivière de Malacca. 

Le poète à raison: Malacca ne mérite pas une escale.

A décharge pour Malacca, si Cocteau a aimé les nuits « fauves » de Penang, de Kuala « L'impure » et de Singapour, un mardi après-midi n'était guère favorable à la tournée des bars,  des fumeries d'opium et des théâtres.  

Et puis, si quelques heures suffisent souvent à se pâmer devant un joyau, à s'agenouiller devant un chef- d'?uvre ou un monument incontournable, il en va tout autrement d'une petite ville de province, qui ne prend de l'épaisseur qu'avec le temps. Et le temps, c'est ce qui manque le plus à nos globetrotteurs, ils n'ont que quatre-vingts jours  pour faire le tour du monde ! 

Alors, à la vitesse des jambes qui les tirent autour de la ville, ils n'ont pas senti les épices qui firent Malacca. Ils n'ont rien vu de son architecture éclectique, ni de la juxtaposition des lieux de culte où se pratiquent encore toutes les grandes religions du monde. Rien non plus d'une histoire tumultueuse, ils n'ont pas écouté la mort qui chuchote ici dans toutes les langues.       

Ils n'ont pas eu  le bonheur d'entrer dans l'une des maisons ancestrales et dédaléennes  des Babas, ni goûter la cuisine des Nyonyas. Ils n'ont pas poussé la porte du Club de Malacca où ils auraient pu rencontrer le fantôme de Somerset Maugham écrivant Les empreintes dans la jungle, ni visité la maison du Munshi, le père de la littérature malaise contemporaine. 

« A Malacca, impossible de plonger à même les rues et de rapporter une perle. Il faudrait mener l'existence anglaise. Nous rentrons en hâte au bateau qui s'éloigne à sept heures. » 

Et Serge Jardin continue à se promener dans les rues et les ruelles de Malacca à la recherche des fantômes d'autrefois, d'une ville perdue et bien présente? 

 

Serge Jardin(www.lepetitjournal.com/kuala-lumpur.html) lundi 19 décembre 2016

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Publié le 18 décembre 2016, mis à jour le 19 décembre 2016

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