Par Francesca Landini et Giancarlo Navach
ALBA, Italie (Reuters) - L'industrie de 44 milliards de dollars de l'huile de palme, sous pression en Europe après les révélations des autorités de son risque d'être cancérigène, a trouvé un allié dans le secteur de l'alimentaire : le fabriquant de Nutella.
La firme italienne Ferrero a pris la parole en publique pour prendre la défense d'un ingrédient que beaucoup d'autres compagnies alimentaires boycottent dans le pays.
Des pots de Nutella, Pâte à tartiner aux noisettes et au cacao, exposés au supermarché Carrefour de Nice, France, 6 avril 2016. REUTERS/Eric Gaillard/File Photo
Elle a lancé une campagne publicitaire pour rassurer le public à propos du Nutella, son produit phare qui engendre 50% de son chiffre d'affaires.
Avec la noisette et le chocolat, l'une des marques les plus connues d'Italie pour le petit déjeuner des enfants, repose principalement sur l'huile de palme pour sa texture et sa durée de conservation.
Selon Ferrero, d'autres ingrédients tel que l'huile de tournesol, changerait son goût et sa texture.
?Du Nutella sans huile de palme donnerait un produit inférieur au produit original, ce serait un pas en arrière?, avance pour Reuters le gérant de la marque, Vincenzo Tapella.
L'homme figure dans une publicité télévisée en Italie depuis trois mois, qui suscite les critiques de nombreux politiciens.
S'écarter de l'huile de palme devrait également avoir une répercussion économique, car à 800 dollars la tonne, il s'agit de l'huile végétale la moins chère du marché, en comparison aux autres huiles de substitution telles que l'huile de tournesol à 845 dollars la tonne, et 920 dollars pour l'huile de colza.
Chaque année, Ferrero utilise environ 185.000 tonnes d'huile de palme. Remplacer celle-ci par un substitut devrait coûter à la firme 8 à 22 millions de dollars supplémentaires par an.
La compagnie refuse de commenter ces calculs.
L'autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), a déclaré en mai que l'huile de palme présentait davantage de risques cancérigènes que les autres huiles végétales lorsqu'elle est raffinée à une température supérieure à 200 degrés. Il n'est cependant pas recommandé aux consommateurs d'arrêter totalement d'en consommer, davantage d'études devant être menées pour évaluer le niveau de risques.
Les recherches détaillées sur le contaminant - connu sous le nom GE - ont été commandées par la Commission Européenne en 2014, après une étude de l'AESA un an auparavant, à propos des substances générées lors du raffinage industriel, identifiées comme étant potentiellement nuisibles.
L'AESA n'a néanmoins aucun pouvoir de régulation tant que l'étude est entre les mains de la Commission Européenne. Le porte-parole de la Santé et de la sécurité alimentaire, Enrico Brivio, a déclaré que les résultats seraient publiés d'ici la fin de l'année.
Ces mesures pourraient inclure de limiter le niveau de GE dans les produits alimentaires, mais n'interdiront pas l'utilisation de l'huile de palme, a t-il ajouté
L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et l'organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) ont pointé le même risque potentiel que l'AESA à propos du GE, mais n'ont pas pour autant recommandé aux consommateurs d'arrêter de consommer de l'huile de palme. La Food and Drug Administration (FDA), l'Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux, n'a également pas interdit l'utilisation de l'huile de palme dans les aliments.
Ce problème est devenu un sujet préoccupant pour les consommateurs en Italie après que la plus grande chaine de supermarché, Coop, ait boycotté l'huile de palme de tous ses propres produits, en suivant les études de l'AESA, justifiant cet acte comme une ?précaution?.
La plus grande chaine de fabrication alimentaire italienne, Barilla, a également éliminé cette huile et labélisé ses produits sur leurs packagings comme étant ?sans huile de palme?.
Ces décisions font suite aux pressions de la part d'activistes, émanant notamment de la principale association d'agriculture du pays Coldiretti et du magazine en ligne Il Fatto Alimentare, qui appellent toutes les firmes de l'alimentaire à cesser d'utiliser de l'huile de palme.
Les températures élevées sont utilisées pour dissoudre la couleur rouge naturelle de l'huile de palme et neutraliser son odeur, mais Ferrero explique qu'il faut un procédé industriel qui combine une température en-dessous de 200 degrés et d'une pression extrêmement basse pour minimiser les contaminants.
Ce procédé nécessite plus de temps et coûte 20% de plus qu'avec des températures élevées, avance Ferrero à Reuters. Mais cela permettrait de réduire si considérablement le niveau de GE que les instruments des scientifiques ne pourraient plus déceler aucune trace de cette substance.
?L'huile de palme utilisée par Ferrero est saine puisqu'elle provient de fruits frais compressés à une température contrôlée?, avance Tapella dans une publicité diffusée à la télévision, qui a été filmée dans l'usine de la firme dans le nord de la ville d'Alba, accompagnée de pleines pages de publicité dans les journaux reprenant le même message.
Les ventes italiennes sont touchées
Ferrero n'est néanmoins pas la seule grande firme européenne qui continue d'utiliser de l'huile de palme dans ses produits depuis le rapport de l'AESA. Unilever et Nestlé en utilisent dans leurs produits contenant du chocolat, dans les snacks et dans la margarine. Les deux compagnies se sont penchées sur la question des contaminants et ont travaillé avec leurs fournisseurs pour maintenir le niveau de GE le plus bas possible.
Ferrero est l'unique grande firme européenne à montrer une telle défense publique quant à l'utilisation de cet ingrédient dans ses produits, face à l'opinion de l'AESA.
Les ventes de Nutella en Italie ont baissé de près de 3% en 12 mois, jusqu'à la fin du mois d'août, durant lequel Ferrero a blâmé ses concurrents qui faisaient la promotion de leurs produits comme étant sans huile de palme.
Pour répondre aux préoccupations des consommateurs, la société a lancé sa campagne publicitaire en septembre et affirme qu'elle affiche maintenant des résultats.
Ainsi, les ventes de Nutella en Italie ont augmenté de 4% au cours des quatre derniers mois de 2016, indique Alessandro d'Este, PDG de Ferrero Italie.
Les ventes globales de Nutella n'ont pas été affectées par l'opinion de l'AESA et ont même augmenté de 5 à 6 % cette année, annonce la firme.
La famille Ferrero, qui n'est pas côtée en bourse, n'a pas divulgué ses ventes pour l'Europe en dehors de son marché domestique.
Le groupe a clôturé ses revenus fiscaux en août avec un chiffre d'affaires de 10 milliards d'euros, dont 2 milliards proviennent des ventes de Nutella.
Préoccupations environnementales
Les études de 284 pages de l'AESA viennent s'ajouter aux préoccupations environnementales qui ont menacé l'industrie de l'huile de palme pendant plusieurs années. Les groupes écologistes ont accusé l'industrie d'engendrer de la déforestation.
De nombreuses firmes utilisant cet ingrédient, y compris Ferrero, affirment acheter une huile de palme certifiée par la ?Table ronde de l'huile de palme durable? qui travaille avec des producteurs pour réduire l'effet négatif de cette production sur l'environnement.
Tapella a avancé à Reuters que Nutella utilise de l'huile de palme depuis sa création dans les années 1960 et que le groupe ne fait appel qu'à des plantations de palmiers certifiés et durables.
La campagne publicitaire de Ferrero a attiré un certain feu politique.
Le mouvement 5 étoiles, coude à coude avec le Parti démocratique au pouvoir, a demandé à l'autorité italienne de la publicité de bloquer la campagne de Ferrero et de lui infliger une amende pour chercher à tromper les consommateurs sur les risques sanitaires et environnementaux.
Une porte-parole de l'autorité de la publicité a déclaré qu'elle n'avait pas encore décidé si elle rejetterait la plainte de 5 étoiles ou si elle prendrait des mesures contre Ferrero, ajoutant que le processus pourrait prendre plusieurs semaines ou plus.
L'industrie de l'huile de palme, dominée par les producteurs de Malaisie et d'Indonésie, estime que Ferrero joue un rôle important dans ce qu'elle considère comme des idées fausses dans l'esprit des consommateurs.
?C'est une bonne chose que Ferrero ait clarifié que l'huile de palme qu'ils utilisent est saine et durable?, dit Yusof Basiron, chef exécutif du conseil de l'huile de palme de Malaisie.
Il a par ailleurs indiqué que les producteurs malaisiens n'avaient pas subi d'impact sur leurs exportations européennes après l'avis de l'AESA. L'association indonésienne de l'huile de palme a également déclaré qu'il n'y avait eu aucun impact.
(Texte complémentaire Emily Chow à Kuala Lumpur, Paul Sandle à London et Silke Koltrowitz à Zurich; Edité par Mark Bendeich et Pravin Char)
Traduction Guillaume Asmanoff (www.lepetitjournal.com/kuala-lumpur.html) mardi 24 janvier 2017
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