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BUSINESS - La Malaisie à la pointe de la finance islamique

Écrit par Lepetitjournal Kuala Lumpur
Publié le 7 janvier 2013, mis à jour le 7 janvier 2013

Français et francophones de Malaisie, vous devez surement passer chaque jour devant des banques islamiques. Mais savez vous vraiment ce que recouvre cette expression "finance islamique" ? Quels en sont les grands principes et l'importance dans le monde ? Savez vous que la Malaisie est en passe de devenir le "hub" de la finance islamique mondiale ? Le Petit Journal.com décrypte ce phénomène aujourd'hui devenu une donne internationale avec laquelle il faut compter.

Un système plus éthique comme remède à la crise ?
La crise économique débutée dès 2007 avec la crise des subprimes aux Etats-Unis a mis en évidence la nécessité de réfléchir à une possible réforme des principes gouvernant la finance. Les institutions financières se sont vues obligées d'explorer de nouveaux modèles afin d'éviter à l'avenir de telles crises. La finance islamique fait partie des modèles alternatifs à la finance dite conventionnelle. Basé sur des principes et valeurs morales tirés des livres saints musulmans, ce système est en effet perçu comme davantage éthique et ses produits comme moins risqués. Les banques islamiques ne sont pas nées durant la crise mais les principes qui les régissent ont trouvé un écho particulier ces dernières années. Elles ne suscitent plus uniquement la curiosité, elles intéressent. Et ce, d'autant plus que le secteur connaît un essor remarquable.

Etat des lieux dans le monde
En 2010, le montant total des actifs de la finance islamique s'élevait à plus de 1.000 milliards de dollars (contre 509 milliards de dollars en 2006, soit la moitié, selon Arte) et la croissance annuelle du secteur est estimée autour de 15% par an. Si les principaux acteurs de la finance islamique sont évidemment situés dans les grands pays musulmans, surtout du Moyen-Orient, les places financières comme la City montent en puissance. Une Islamic Bank of Britain a même été créée en 2004. Il ne faut pas non plus négliger les pays d'Asie du Sud-Est musulmans, bien au contraire. La Malaisie se classe en 3ème position mondiale en terme d'actifs relevant de la finance islamique avec un montant de 133 milliards de dollars en 2010. Elle se positionne ainsi juste derrière les deux grands financiers islamiques du Moyen-Orient que sont l'Iran (avec 388 milliards de dollars) et l'Arabie Saoudite (151 milliards).

Un système plus éthique parce que basé sur des principes religieux moraux ?
Dans le système financier islamique, comme dans les autres domaines de la vie musulmane qu'elle régit, la Sharia fait figure de référence juridique. Rappelons qu'elle est structurée en deux parties. La première (Sharia Al ?Ibadat) concerne tout ce qui a trait au culte ; ce sont les 5 piliers de l'Islam (entre autres : la prière, le jeûne, le pèlerinage à la Mecque). La seconde (Sharia Mu'amala) régit tout ce qui touche au comportement en société (infractions pénales, mariage, divorce, héritage et donc transactions financières). Au regard de la finance conventionnelle, la finance islamique est plutôt contraignante puisque basée sur des principes négatifs. Quels sont-ils donc ? 

Le premier et le plus connu est l'interdiction de l'intérêt (riba). Le gain que l'on retire de quelque chose ne doit pas provenir de la monnaie elle-même. Autrement dit, l'argent ne peut être un capital en soi ; il n'est qu'un moyen d'échange. Ainsi, le prêteur ne peut tirer un avantage de son prêt. La banque islamique n'est pas perçue comme un prêteur mais comme un investisseur ; elle apporte des capitaux et se rémunère ensuite sur les bénéfices de l'entreprise dans laquelle elle a investi selon un pourcentage fixé à l'avance.

Dans la finance islamique, toute transaction qui comporte une part de gharar ou de maysir est proscrite. Ces deux termes assez proches désignent le caractère aléatoire, flou ou relevant du hasard d'un échange. Autrement dit, une transaction qui renferme une part d'incertitude et donc oblige la spéculation est interdite. Cela signifie qu'on ne peut vendre un bien dont les caractéristiques sont incertaines ou encore qu'on ne peut accepter une opération dont les espérances de rendement sont spéculatives.

La Sharia définit certaines activités comme "illicites" ; elles sont ?'haram'' contrairement à tout ce qui est ?'halal''. Il est ainsi interdit d'investir dans le secteur de l'armement, l'industrie pornographique, la filière porcine, les activités en rapport avec l'alcool ou encore les jeux de hasard et les paris.

Enfin, le dernier grand principe est celui du Partage de Profits et de Pertes (les 3 "P"). Lorsque des personnes investissent du capital, chacun est engagé proportionnellement à sa mise de départ en cas de profit ou de perte.

 Les Sharia Boards, garants de la conformité des produits aux principes islamiques
Les services bancaires, lorsqu'ils sont conformes à ces différents principes, sont dits Sharia compliant. Le Sharia Board est le comité de conformité chargé de l'attester et de rejeter les transactions contraires à la Sharia. Il est constitué d'Oulémas (savants de l'Islam) qui disposent de solides connaissances bancaires et financières.

Si l'ensemble des Oulémas admet les principes fondamentaux de la finance islamique, la coexistence de plusieurs écoles de pensée conduit néanmoins à des interprétations divergentes des textes sacrés et empêche donc une harmonisation des services financiers. Alors que certains Sharia Board se conforment strictement aux principes religieux d'autres sont plus ouverts et prennent en compte les exigences du marché. Par exemple, les Sharia Board malaisiens sont réputés beaucoup plus souples que ceux des pays du golfe.

Pour palier à ce problème d'hétérogénéité, la banque centrale de Malaisie a créé un Sharia Board central. Les institutions peuvent avoir leur propre comité mais tous doivent se conformer aux règles dictées par le Sharia Board central.

L'expérience malaisienne : pionnier et acteur majeur du secteur
La création d'un Sharia Board central est loin d'être la seule innovation de la Malaisie en matière de finance islamique. Le pays est un véritable précurseur en la matière, plus en avance que la plupart des pays arabes. En ce sens, l'expérience malaisienne intéresse car elle est un exemple du potentiel de développement du secteur. Les chiffres donnés récemment par le vice ministre des finances, Awang Adek Hussin, illustrent cette croissance remarquable : les actifs du secteur qui s'élevaient à 1,4% du marché en 1990, représentent aujourd'hui près de 23% et valent 459 milliards de ringgits (150 milliards de dollars américains).

En 2011, l'expérience malaisienne a d'ailleurs fait l'objet en France d'un colloque organisé conjointement par l'IESH  (Institut Européen des Sciences Humaines), et l'Université islamique de Malaisie avec pour thème « La finance islamique en Malaisie : quelles spécificités et quelles leçons ? ». Ahmed Jaballah, directeur de l'IESH expliquait que la Malaisie est « l'un des premiers pays à avoir développé la finance islamique dans les années 1970 ». Soulignons qu'elle est également l'un despionniers du système dualiste dans lequel finance conventionnelle et finance islamique coexistent souvent même au sein d'une seule et même institution bancaire.

La Malaisie, qui s'est dotée de nombreux centres de recherche et institutions (dont l'IFSB, Islamic Financial Services Board), a également organisé en 1994 un marché interbancaire entièrement conforme aux principes islamiques (Islamic Interbank Market). Toutes ces innovations font que Kuala Lumpur s'est imposé ces dernières années comme un centre mondial de la finance islamique. Etant également le leader du Halal, la Malaisie a lancé en 2011 le premier indice boursier uniquement dédié à l'industrie agro-alimentaire halal baptisé indice SAMI Halal Food Index (Socially Acceptably Market Investments ou Placements sur les marchés socialement acceptables) dont les sociétés cotées sont en majorité malaisiennes.

Au vu de l'expansion de la classe moyenne malaisienne qui crée une demande forte pour un large éventail de services financiers sophistiqués, la croissance du secteur de la finance islamique ne semble pas prête de ralentir en Malaisie.

Camille Bondu (www.lepetitjournal.com/kuala-lumpur.html) Mardi 8 Janvier 2012

 
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Publié le 7 janvier 2013, mis à jour le 7 janvier 2013

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