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Luc Roux et Jean-Pierre Lavoignat : "la mémoire de l'histoire du cinéma disparait"

A l'occasion de l'exposition des photos de cinema de Luc Roux organisée par Jean-Pierre Lavoignat, nous avons rencontré ces deux légendes du monde du cinéma français.

luc roux et jean-pierre lavoignatluc roux et jean-pierre lavoignat
Écrit par Didier Pujol
Publié le 29 novembre 2023, mis à jour le 30 novembre 2023

L'exposition de photos couvre plus de 20 ans de cinéma

Jean-Pierre Lavoignat, vous êtes l’ancien rédacteur en chef adjoint de Première et co-fondateur de Studio Magazine et le curateur de l’exposition des photos de Luc Roux. Quelle est la genèse de ce projet et comment s’est opéré le choix des photos exposées ?

L’origine de l’exposition vient des curateurs du Festival du film d’Angoulême Dominique Besnehard et Marie-France Brière qui connaissaient le travail de Luc et le nôtre à Studio. Ils ont choisi une 60aine de photos, ce qui n’était pas facile sur un parcours de 20 ans de photo de cinéma. Ils ont sélectionné des photos parmi les plus connues mais que le public n’aurait pas spontanément attribuées à Luc, ainsi que certains clichés qu’il aimait particulièrement. Nous sommes aussi allés au plus simple, en utilisant des photos dont nous savions où étaient les négatifs, sachant qu’il y a des cartons entiers d’archives. Nous avons voulu montrer une variété d’acteurs, d’actrices et de metteurs en scène, des photos posées dans un studio, prises sur le vif sur les lieux de tournage, en omettant peut-être les photos de festivals. L’exposition s’est enrichie après Angoulême en tournant dans plusieurs villes du monde et la Fondation Pathé et en intégrant des metteurs en scène américains comme Spielberg, David Lynch ou Martin Scorcese.

expo Luc Roux

Je n'étais pas cinéphile à l'origine

Luc Roux, vous vous êtes connu pour les plus célèbres affiches du cinéma français (Sous le soleil de Satan, La reine Margot) et vos photos d’acteurs et de plateau. Pourquoi ce choix en faveur du 7ème art. Quel lien entre le cinéma et la photo selon vous ?

Dans les deux cas il s’agit d’image et l’image arrêtée peut donner envie de voir celle qui bouge. Je suis entré dans le monde du cinéma par hasard, à l’occasion de ma rencontre avec Jean-Pierre. J’avais fait l’Ecole des Beaux-Arts à Avignon où je faisais beaucoup de photos en plus des cours de dessin, sculpture, peinture et histoire de l‘art. Grâce à Jean-Pierre j’ai rencontré Marc Esposito, directeur de la rédaction de Première, qui cherchait un photographe pour couvrir les tournages et les festivals. Je n’étais pas cinéphile à l’origine. C’est un métier très exigeant et très physique, surtout pour la partie plateau, mais riche de magnifiques rencontres. J’ai pu faire plusieurs fois le tour du monde, y compris en Chine, pour suivre les acteurs dans leur métier. J’ai eu le plaisir de travailler avec Patrice Chéreau, Maurice Pialat, Bertrand Blier, Claude Miller, Alain Corneau, entre autres, pas forcément pour le journal mais aussi pour des portraits, en séances privées.

J'ai appris de Willy Ronis la bienveillance

Vous avez côtoyé Willy Ronis et Michel Steiner. Quelle influence ont-t-il eu sur votre travail et pourquoi ?

Pour Willy Ronis, c’est une rencontre formidable et rare. Il vivait une grande partie du temps dans le sud et venait une fois par mois à l’École des Beaux-Arts d’Avignon pour parler de photo. Il nous montrait ses clichés et nous lui montrions les nôtres. Il était très pédagogue et parlait des pionniers de la photographie du 19ème siècle et début du 20ème comme Julia-Margaret Cameron. Pour Michel Steiner, c’était le dessin et l’histoire de l’art, avec les civilisations anciennes et leur iconographie. Certes, j’ai mon propre style mais j’ai appris énormément de choses grâce à eux. Willy Ronis travaillait beaucoup en lumière naturelle. J’ai fait plus de studio que lui, éclairant via des projecteurs et non des flashs. J’ai surtout retenu de cette rencontre la bienveillance envers les autres.

Luc Roux

Chaque photo raconte une histoire

Parlez-nous de vos photos préférées et de leur histoire

Chaque photo correspond à des moments différents et ce sont ces moments dont je me souviens. Par exemple, le fait de passer toute une après-midi avec Charlotte Gainsbourg à New York, constitue un souvenir mémorable. C’est différent de passer plusieurs heures en studio avec Sophie Marceau à Paris, ce qui est bien aussi. J’ai pris beaucoup de plaisir à travailler avec les acteurs et actrices, dans une relation de confiance réciproque. Le fait de prendre des photos de stars m’a donné la joie de rencontrer Sean Penn et Jack Nicholson, même si je ne les ai vu qu’un quart d’heure. Je suis aussi très heureux de connaître ou d’avoir connu Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Isabelle Adjani, Emmanuelle Béart, Daniel Auteuil, Philippe Noiret ou Jean-Pierre Marielle, que j’ai beaucoup photographiés à différentes périodes de leurs carrières. Concernant l’affiche de la reine Margot, c’était totalement fortuit puisque j’ai pris Isabelle Adjani juste après la scène du massacre de la Saint Barthélémy, quand sa robe était encore tachée de sang. Quand je lui ai proposé de la photographier, elle a mis instinctivement ses mains sur sa bouche et c’est ce cliché qui a été retenu pour l’affiche, parmi beaucoup d’autres que j’avais proposés.

sean penn

La collaboration entre Romy Schneider et Claude Sautet est unique

Jean-Pierre Lavoignat, vous venez de publier un livre intitulé « Un coup de foudre créatif » sur Romy Schneider et Claude Sautet. Pouvez-vous nous en parler ?

J’ai dédicacé ce livre à la librairie Parenthèses de Hong Kong mais le livre est sorti il y a un an. Romy Schneider fait partie des actrices qui m’ont fait connaitre le cinéma, avec Claude Sautet, que j’ai beaucoup interviewé et accompagné sur des tournages. C’était un homme émouvant et passionné, brusque ou sensible selon les circonstances. Il y a dix ans, je me suis occupé de la première exposition en France sur Romy Schneider à la demande de sa fille Sarah Biasini. J’avais contacté le fils de Claude Sautet qui était déjà décédé et il avait gardé énormément de documents de son père dont des plans de travail et des télégrammes de Romy Schneider concernant la lecture de scénarios comme "Les Choses de la Vie" ou "César et Rosalie". Le rôle de Rosalie était au départ prévu pour Catherine Deneuve mais c’est Romy Schneider qui l’a finalement interprété, laissant une empreinte inoubliable. Je suis retourné voir le fils de Claude Sautet pour ce livre qui contient du coup des photos pour beaucoup inédites. Ce livre retrace la genèse des cinq films que Romy et Claude ont fait ensemble, dans le cadre d’une relation unique qui a magnifié le travail de l’un comme de l’autre.

Romy Scheider Claude Sautet

Je ne suis venu qu'une seule fois en Chine

Quel est votre lien avec Hong Kong et l’Asie en général ?

Luc : Je ne connaissais pas Hong Kong que je trouve très belle. Je suis déjà venu 15 jours à Shanghai pour le tournage de « Balzac et la petite Tailleuse Chinoise ». J’ai pu suivre le tournage dans le Yunnan, à Lijiang, une petite ville traversée de canaux et visité Zhangjiajie, avant de rentrer par Pékin.

Jean-Pierre : Je suis allé quant à moi en Malaisie sur le début du tournage d’"Indochine", avec Vincent Perez et Catherine Deneuve, film dans lequel j’ai même fait un peu de figuration. Le Vietnam est le pays d’origine de Catherine Deneuve et elle était heureuse de pouvoir y revenir.

Des films actuels il ne restera que quelques photos de promotion

Quels est votre actualité et sur quel projet travaillez-vous en ce moment ? 

Jean-Pierre : Nous fêtons les 30 ans de "La reine Margot" l’année prochaine, film sur lequel Luc est resté 6 mois et demi. J’aimerais faire un livre pour montrer les photos prises par Luc sur ce tournage, car on voit presque toujours les mêmes dans la presse. C’est encore en négociation avec un éditeur mais il y aurait beaucoup de témoignages sur la genèse et le tournage du film, de Isabelle Adjani, Vincent Perez ou encore Danièle Thomson, la scénariste. Si cela se fait, je ferais aussi une exposition pour accompagner la sortie, peut-être une nouvelle occasion de venir à Hong Kong.

Que diriez-vous à des jeunes qui veulent faire votre métier ? Quels conseils pourriez-vous leur donner ?

Luc : Pour la partie photo de votre question, je dois dire que j'ai été privilégié car j’ai peu travaillé comme photographe de plateau et uniquement sur des films qui me plaisaient. Le reste du temps, le magazine servait de vitrine à mes activités en studio, de reporter ou de portraitiste, ce qui me donnait une grande liberté quant à l'utilisation de mes photos. Aujourd’hui pour 8 semaines de tournage, un photographe ne travaille que 12 jours, par tranches de deux jours, et il ne fait plus vraiment partie de l’équipe. Dans les années où j’ai travaillé, j'étais proche des machinistes, du perchman, du cameraman, du chef électro car je devais trouver ma place pour faire les photos sans gêner personne.

Jean-Pierre : Il n’y a hélas plus de journaux dédiés au cinéma comme Première ou Studio Magazine et le métier de photographe de plateau est en voie de disparition. Il y a certes aujourd’hui plus de sites internet qu’il y avait de journaux à mon époque mais le soucis est qu’ils ont du mal à vivre. C'est pour cela que des films actuels, il ne restera que quelques dizaines de clichés de promotion ou encore des captures d’écran. C’est vraiment dommage car on perd la mémoire de l’histoire du cinéma.

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Didier Pujol
Publié le 29 novembre 2023, mis à jour le 30 novembre 2023

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