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RENCONTRE – Shan Sa, la plus française des romancières chinoises, à Hong Kong

Écrit par Lepetitjournal Hong Kong
Publié le 12 octobre 2011, mis à jour le 28 février 2015

Shan Sa, écrivain, peintre, poète, d'origine chinoise et française d'adoption, sera jeudi 13 octobre à l'Alliance Française de Hong Kong pour une conférence littéraire intitulée "Écrire la vie et peindre le monde". Shan Sa a échangé avec lepetitjournal.com sur son parcours unique, ses romans et sa passion pour la langue française

 

Née à Pékin dans une famille lettrée traditionnelle, Shan Sa est d'abord poète d'expression chinoise. En 1990, elle part poursuivre ses études à Paris, avant de s'établir en France et d'en adopter la langue et sa musicalité. C'est avec son troisième roman, La Joueuse de go qu'elle fait véritablement son apparition au premier plan de la scène littéraire française en obtenant le Goncourt des Lycéens. Ecrivain abondamment récompensée, Shan Sa est une figure de la littérature chinoise.

Lepetitjournal.com : Pourquoi avoir quitté la Chine pour la France après les évènements de Tien An Men ?

Shan Sa : L'année qui suivit Tien An Men fut pleine de confusion, les cours étaient arrêtés à l'université alors que je venais d'obtenir mon bac et que je devais commencer mes études. Je ne voulais pas perdre de temps. C'était également l'occasion de dire à mes parents "Je m'en vais", et de partir pour la France. Ma famille avait déjà des liens avec la France, mon père enseignait à la Sorbonne. Je me rappelle que le passeport n'était pas facile à obtenir. C'était à cette époque une toute autre Chine. Je suis partie sans savoir parler français. À mon arrivée en France, toute mon énergie fut consacrée à l'apprentissage de langue, il me fut impossible d'écrire les premières années.

Que représente la France pour vous aujourd'hui, un foyer, un pays d'accueil ?

J'ai toujours eu un rapport ambigu avec la France. Je suis citoyenne française, j'ai donc des responsabilités, je dois payer des impôts, les contributions sociales, etc. (sourires). Ce sont les responsabilités basiques d'un être humain qui choisit de vivre avec un groupe. Cependant, la Chine est un empire et une civilisation que l'on ne quitte pas, jamais. Je me sens doublement responsable, par rapport à mon pays d'origine, auquel je reste très attachée, et par rapport au pays qui m'a accueillie.

Shan Sa est un pseudonyme, quel est son sens ? Pourquoi avoir choisi ce pseudonyme ?

C'est une tradition des lettrés chinois que de prendre un pseudonyme. Cela fait partie des traditions qui se sont perdues après 1910. On ne pouvait pas écrire sous le nom donné par la famille, car cela porte malheur. Le deuxième nom est un nom d'élégance. Enfin les lettrés se donnent un troisième nom, "Celui qui habite le monde qui fuit" par exemple (sourire). Pour la publication de mon premier roman, j'ai eu envie de faire honneur à ma culture et à cette tradition. "Shan" signifie montagne, un symbole de solidité, d'ascension, de recherche spirituelle. "Sa", le bruissement du vent, représente la liberté.

Dans Impératrice, l'héroïne se bat contre une destinée qui semble la maltraiter, pour finalement se retrouver seule au sommet. Dans La Joueuse de Go, l'héroïne est une femme révoltée, blessée et meurtrie par les hommes. Comment considérez-vous la situation des femmes en Chine de nos jours ?

Ce long combat des femmes, je l'aborde également dans La Cithare nue, dont le personnage principal est une autre impératrice chinoise qui, elle, a subi toute sa vie. La femme enfante et est porteuse de l'humanité. Elle possède une horloge biologique différente de celle des hommes. En Chine, auparavant la femme était très dépendante et se mariait très jeune, elle devenait alors une mère et une matriarche ou mourait en couche. En tant que matriarche, la femme possédait un pouvoir un peu secret sur la famille et sur les hommes de la famille. Aujourd'hui, en Chine, les femmes ont retrouvé leur indépendance et ont une certaine reconnaissance sociale. Pourtant aujourd'hui, j'ai des amies chinoises qui sont malheureuses, malgré leur réussite sociale. En effet elles n'ont pas eu le temps de s'occuper de leur vie privée. C'est un réel problème social, si l'on ne trouve pas de mari entre 20 et 30 ans - avant on est considérée comme une adolescente, après comme une vieille femme - on n'a aucune chance. Les femmes sont aujourd'hui victimes de leur indépendance. Les femmes sont infantilisées et perdent peu à peu leur statut de mère. C'est un problème qui me tient à c?ur dans mes romans.

Dans votre avant-dernier roman, Les Conspirateurs, les trois personnages principaux sont une Chinoise, un Française et un Américain. Le roman reprend le thème du jeu de miroir et des différences entre les cultures. L'entre-deux culturel dont vous êtes issue semble trouver un écho important dans vos livres?

D'un point de vue sociologique, je considère que beaucoup d'entre nous ont une nouvelle identité. Une identité internationale. Derrière cela, se trouve le choix d'un mode de vie. A l'inverse d'autrefois où les immigrés devaient très souvent renoncer à leur identité et ne pouvaient pas rentrer au pays ; avec les facilités de communication actuelles, rien n'est définitif. Une vie peut désormais être partagée en plusieurs endroits et en plusieurs appartenances sociales.

Quel est votre sentiment à l'idée de vous déplacer en Chine pour parler de vos ?uvres et de la culture française ?

Cela fait quinze ans que je viens en Chine pour parler de la France et de mon travail d'écriture dans cette langue.  Ici, il y a eu un certain déclin de la langue française lié à l'engouement de l'apprentissage de l'anglais. Pourtant le temps a arrangé les choses de manière inattendue puisque la langue française est de nouveau "à la mode", maintenant que l'anglais est une langue acquise par de nombreux Chinois. Parler le français devient un plus. La France est un symbole d'élévation et de culture grâce à ses produits de luxe, ses châteaux, ses écrivains, qui forment un label de style de vie et un respect de la culture. Par exemple, les jeunes femmes sont nombreuses à faire une heure de transport, après leur travail, pour aller dans les Alliances Françaises. Par l'apprentissage de la langue, elles cherchent à s'imprégner de la culture, à devenir différentes et distinguées. La langue française fait rêver la Chine.

Comment envisagez-vous cette tournée en Chine ?

Je me vois comme une missionnaire. La France est synonyme de raffinement, de romantisme. Le romantisme est très rare en Chine, la culture française peut avoir une influence très positive sur la culture chinoise. En France, on me demande ce que je pense de la place de la femme en Chine, ce qu'en pensent les Chinois. Aujourd'hui en tant que Française en Chine, je souhaite que mon rôle soit d'expliquer la France aux Chinois. Si la France a donné naissance aux sacs Vuitton et au Château Laffitte, des produits de luxe adulés ici, c'est grâce à une accumulation de capitaux culturels, non pas uniquement de capitaux économiques. La Chine est pour l'instant un grand navire économique. Il faut qu'elle développe d'autres choses pour qu'elle ne se résume pas à des performances économiques.

Quel est votre dernier projet en date ?

Un roman. Celui-ci a pour sujet deux destins croisés. Celui d'une Française et d'une Chinoise vivant à Shanghai.  Je m'intéresse aux rapports entre la Chinoise et la culture occidentale et la Française et la culture chinoise. C'est un sujet contemporain, l'augmentation de la communauté française en Asie, ne cesse de croître. Rétrospectivement, quand j'écris, je suis un sujet, je suis une urgence contemporaine. Mes romans ont plusieurs niveaux de lecture. À une époque de perte de culture avec une prédominance d'une lutte des puissances dans un cadre économique, mon dernier roman, La Cithare nue, symbolise pour moi l'évolution de la Chine. La cithare est un symbole de la civilisation chinoise, elle a été inventée avant l'écriture et la calligraphie. Ce roman, qui se déroule au Vème siècle,  a pour propos une impératrice et un groupe de lettrés qui tentent de protéger cette petite lumière que sont la culture et l'art de jouer de la cithare alors que l'époque est à la guerre et l'enrichissement. De la même manière, je souhaite préserver cette lumière que sont la création artistique et la littérature, dans une époque de terrible transformation de la culture et de possible disparition du livre.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune écrivain qui souhaite se faire publier ?

Il faut écrire. Écrire un manuscrit complet. L'envoyer avec un résumé, son nom, son adresse, son téléphone. Trop de timides n'indiquent pas leur nom, on ne peut alors même pas les contacter ! Et il faut garder à l'esprit que Marguerite Yourcenar, pour ne citer qu'elle, a été refusée avec Mémoires d'Hadrien, la littérature est quelque chose de subjectif. Les conditions psychologiques sont également importantes. Il faut vouloir sa chance. Dans ma carrière, tout était improbable. Venir en France, écrire et publier des livres en français. Or je savais que le succès serait au rendez-vous.

Propos recueillis par Roman Fruitier et Laurence Huret  (www.lepetitjournal.com/hongkong.html), mercredi 12 octobre 2011

La tournée de SHAN SA en Chine: 13/10 : Hong-Kong ; 15/10 : Nankin ; 16/10 : Hangzhou ; 19/10 : Shanghai ; 21/10 : Chengdu ; 24/10 : Chongqing ; 25/10 : Wuhan ; 27/10 : Xian ; 29/10 : Pékin ; 31/10 : Qingdao ; 02/11 : Jinan ; 03/11 : Tianjin

Rencontre avec Shan Sa à la Médiathèque de l'Alliance Française de Hong Kong à Jordan : jeudi 13 octobre à 19H00, plus d'infos ici

Au cours de ce cycle de conférence dans 12 villes de Chine, Shan Sa évoquera sa découverte de la culture et de la langue française, ainsi que sa vie de peintre nomade. Comment un écrivain passe-t-il de sa langue natale à une langue étrangère dans son processus de création ? De même, comment un peintre puise-t-il son inspiration de l'essence interculturelle de son parcours ? Shan Sa excelle dans l'alliage inédit de l'encre de Chine traditionnelle et de la peinture classique européenne. A la croisée des cultures et des arts, l'?uvre de Shan Sa est unique. Cette conférence constitue une occasion exceptionnelle de venir à sa rencontre et d'en aborder toute la finesse et la sensibilité.

Plus d'informations : www.afchine.org, www.shan-sa.com/

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Publié le 12 octobre 2011, mis à jour le 28 février 2015

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