« Un sujet universel », celui de l’amitié entre deux grandes figures de la fin du 19ème siècle, Paul Cézanne et Emile Zola, qui finira sur une rupture. Avec « Cézanne et moi », la réalisatrice Danièle Thompson offre un récit précis sur l’amitié, sa transformation avec le temps et de beaux morceaux d’histoire sur le peintre et l'écrivain.
Danièle Thompson a récemment présenté son film à Hong Kong lors du festival « Celebration of the Arts » organisé par l’Alliance Française de Hong Kong pour le French May. Le film sera également dans les salles à Hong Kong en Septembre. Lors de notre rencontre, nous avons obtenu quelques anecdotes savoureuses sur la création du film et l’amitié entre le peintre et le romancier.
D’où vous est venue l’idée de réaliser un film sur l’amitié entre Cézanne et Zola ?
Elle m’est venue au détour d’un article paru il y a une quinzaine d’années dans un journal d’art. J’ai été surprise d’apprendre qu’au-delà de se connaître, les deux artistes entretenaient une amitié extrêmement profonde, qui a commencé dès l’enfance, et qui s’est terminée par une rupture. Je me suis dit que je devrais prendre du temps un jour pour me documenter. Bien plus tard, il y a quatre ans maintenant, j’ai décidé de prendre ce temps, de me consacrer à la lecture plus qu'à l'écriture ! Sans savoir si j’allais faire ce film, j’ai passé beaucoup de temps à chercher dans les biographies de l’un et de l’autre, dans les témoignages, à lire les articles de Zola comme journaliste ainsi que les Souvenirs d’un marchand de tableaux d’Ambroise Vollard.
Après six ou sept mois, j’avais pris des tonnes de notes, j’avais visité de nombreux musées. J’ai vécu un temps au 19ème siècle, ce qui n’est pas désagréable ! Et je me suis dit finalement qu’il y avait quelque chose à faire, avec cette relation passionnelle, et ces extraordinaires échanges entre Cézanne et Zola, notamment des lettres passionnées, intimes, qui pourraient paraître aujourd’hui à la limite de l’ambiguïté. Puis, les deux prennent des routes très divergentes.
Vous évoquez le livre d’Emile Zola, L'Oeuvre, dans le film. Sa publication signe la fin de l’amitié des deux artistes ?
L’Œuvre est un peu leur histoire. Cette histoire d’amitié entre un peintre et un écrivain, qui se rencontrent enfants dans une ville de province dans le Sud, qui ont des aventures de gamins… Cézanne a dû commencer à lire ce livre, peut-être avec un sourire au départ, car le portrait de l’enfance est très beau. Mais au fur et à mesure du livre, le portrait du peintre devient celui d’un personnage totalement négatif, frustré, difficile à vivre et mal-aimé.
J’ai lu et relu ce roman. Contrairement à Zola, de qui on sait pas mal de choses depuis l’école, de Cézanne, on en apprend peu. Et derrière des tableaux, on ne devine pas grand chose. Je ne connaissais pas ses origines bourgeoises, il a grandi dans un grand confort financier, en opposition avec Zola. Il y a aussi un côté « bipolaire », en dent-de-scie chez lui. Il s’est finalement marginalisé alors que l’autre « s’embourgeoisait ». J’ai eu des témoignages des arrière-petit-fils de son ami Pissarro. Leur grand-mère leur racontait que quand Cézanne venait pour dîner, il puait, ne se lavait pas, il était couvert de peintures, il n’en avait rien à faire.
Le personnage de Cézanne, à mesure qu’il se dessinait, m’a passionné. On peut imaginer quand Cézanne lit la fin de l’Œuvre, qu’il se mette en colère !
Pensez-vous qu’il y avait une sorte de rivalité entre les deux artistes ?
Je ne pense pas que c’était une rivalité. L’amitié peut se terminer en s’effilochant.
C’est vraiment un sujet sur l’amitié, que je trouve universel. Avec tout ce qui vous unit quand vous êtes adolescent, avec une sorte de passion, c’est inconcevable à cet âge de se dire que ça va disparaître. Mais c’est en général ce qui arrive, car la vie nous sépare, les choix, les femmes, les hommes, les carrières, les succès… L’amitié, c’est très malmené. Et en même temps, ces deux hommes-là ont gardé cette amitié envers et contre tout, très longtemps. Pour moi, c’est aussi parce qu’ils ont gardé cette part d’enfance. Mais c’est dur, car l’un est pauvre et l’autre très riche, puis cela s’inverse. L’un est un humaniste engagé, quand l’autre ne s’occupe que de sa peinture… Ça tient tout de même trente-cinq ans ! Et finalement, L’Oeuvre, c’est le coup de grâce.
Avec ces deux artistes « sacrés » et cette relation magnifique, comment s’est fait le choix des acteurs?
J’ai très vite pensé à Guillaume Gallienne, mais pour jouer le rôle de Zola ! Après avoir lu le scénario, il m’a dit qu’il préférait jouer Cézanne. J’étais un peu déstabilisée, car Cézanne est un personnage aux antipodes de ce que peut être Guillaume dans la vie. Mais c’était une erreur. Etre acteur, c’est justement se mettre dans la peau d’un autre ! On a donc fait une lecture et c’est vrai qu’après une vingtaine de minutes, j’ai vu ce comédien se transformer. J’ai ensuite contacté Guillaume Canet pour jouer Zola.
Ils ont travaillé de manières différentes. Je sais que Guillaume Canet a beaucoup lu sur Zola, notamment ses lettres, il s’est imprégné du personnage. Guillaume Gallienne, à l’inverse, est resté extérieur à la vérité et a vraiment joué le personnage du scénario. Il n’a pas voulu lire L’Œuvre, il s’est dit que ça le perturberait.
Autour des deux artistes, vous faites graviter tout un tas de personnes devenues célèbres depuis. L’époque vous a-t-elle beaucoup inspirée ?
Ce qui est intéressant, c’est que leurs années 1860 sont équivalentes aux nôtres, celles du vingtième siècle. C’est une bande de rockstars. Renoir, Monet, Degas…. Ils ont tous vingt ans à l’époque. On ne l’imagine plus, mais à cet âge-là ils crevaient de faim. A l’époque, si on n’avait pas de riches bourgeois pour passer des commandes, on ne vivait pas de son art. C’est pour ça qu’ils veulent absolument rentrer dans le Salon (ndlr : le Salon officiel permettait aux peintres qui respectaient les conventions académiques d'accéder au marché de l’art et aux acheteurs). Mais ils n’y arrivent pas car leurs peintures révulsent les gens. Dans leur discipline, cette bande de jeunes gens commençait à bousculer l’art établi… et Zola, à 25 ans, écrivait des choses merveilleuses sur eux, mais plus tard il est un peu revenu sur ses positions.
Ils vivaient aussi une autre révolution. A l’époque, on mettait plusieurs jours pour monter à Paris, on avait de longs échanges épistolaires. Mais ils découvraient aussi le train et l’électricité, c’était fou ! C’est comparable à nos changements aujourd’hui quand on parle d’Internet...
Vous dites qu’on connaît bien Zola, mais pas forcément Cézanne. Est-ce que cela explique le titre, Cézanne et moi, qui met en retrait l’écrivain ?
Peut-être. Ce titre a été très compliqué à trouver, car je nageais dans des idées un peu banales comme « Emile et Paul »… J’avais envie de trouver un titre très personnel, qui donne la sensation qu’on allait parler de quelque chose d’intime et non pas d’un documentaire sur la peinture ou la littérature. Tout à coup, cette idée de « moi », un peu mystérieux, m’est venue. Ca aurait pu être « Zola et moi », mais L’Oeuvre, c’est lui qui l’a écrit sur Cézanne, c’est le point de vue de Zola. Dans le film, il y a un équilibre entre les deux.
Vifs remerciements à l’Alliance Française de Hong Kong pour avoir permis cette rencontre passionnante.
Antoine Vergnaud – Marc Schildt (lepetitjournal.com/hong-kong) – jeudi 22 juin 2017