Le Petit Journal est allé à la rencontre de Tristan Haentjens, expatrié français au Vietnam et co-créateur de “Tarot Vietnam”. Tristan revisite le jeu de tarot classique en illustrant les cartes du jeu avec des symboles et des caractéristiques de la culture vietnamienne: une initiative qui séduit à la fois les touristes, mais aussi les locaux et les collectionneurs.


1 - Pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours scolaire et professionnel ? Que faites-vous actuellement ?
Bonjour, je suis Tristan Haentjens, j’ai 35 ans et je suis originaire de Nantes. J’ai été formé dans le domaine du développement informatique et j’ai eu de nombreuses occasions de voyager au cours de mes études, notamment en Amérique centrale, en Australie, mais surtout au Vietnam : un voyage qui m’a conquis et m’a donné envie de revenir.
Après avoir mené la transformation digitale de larges groupes de distribution à Dubaï, puis au Vietnam, j’ai ensuite décidé de lancer mon activité en indépendant depuis plus d’un an (création de sites web et gestion de projets digitaux), toujours au Vietnam
2 - Quel est votre lien avec le Vietnam ? Comment vous est venue l’idée de venir ici la première fois ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de rester vivre dans ce pays ?
Le Vietnam est pour moi un pays où tous les sens sont stimulés en permanence et où tout est possible. Ici, on vit au jour le jour et le pays dispose d’une richesse culturelle immense, ce qui m’a donné l’impression d'arriver sur une autre planète la première fois que j’ai mis les pieds ici.
Malgré le développement rapide du pays, je retrouve aujourd’hui les quartiers typiques que j’ai connus lors de mon premier voyage en 2012/2013. Le pays parvient à rester intègre et à conserver ses caractéristiques tout en se développant extrêmement rapidement.
Le Vietnam représente également pour moi une base, un pied-à-terre en Asie où je suis installé depuis 2018 et où je me retrouve, où je me sens chez moi (presque plus qu’en France d’ailleurs, car je suis ici continuellement stimulé par un environnement exotique).
3 - Vous avez créé un jeu de tarot français avec des illustrations typiques de la culture vietnamienne, pouvez-vous nous en dire plus ?
Au départ, l’idée vient d’une volonté de jouer au tarot avec mes amis, mais il est très difficile de trouver des jeux de cartes de tarot au Vietnam. Le jeu est plutôt européen et inexistant ici.
Pendant la période du COVID, nous avons donc décidé, avec ma compagne graphiste, de nous lancer dans la création d’un jeu de tarot revisité avec des illustrations qui reprennent les caractéristiques et éléments marquants du Vietnam. Initialement, le projet était donc assez personnel et correspondait à une activité subsidiaire à mon emploi. La création d’un seul jeu était d’ailleurs très chronophage au début, car il fallait que je découpe et plie moi-même les patrons des paquets envoyés par les imprimeurs.
Ainsi, en parallèle de mon travail, je notais et imaginais les illustrations qui pourraient être pertinentes, tandis que ma compagne m’aidait dans la conception graphique des images. Au départ, la sélection des images et des symboles était difficile, car il fallait trouver des éléments pertinents et réussir à les hiérarchiser correctement pour correspondre aux valeurs des cartes du jeu.
L’idée de commercialiser le jeu n’est venue qu’au moment des premières impressions, car il fallait alors imprimer un nombre minimum de jeux afin de pouvoir correspondre aux normes des imprimeurs. Je me retrouvais donc avec des quantités importantes de jeux de tarot que je distribuais autour de moi et qui suscitaient un certain engouement, ce qui nous a motivés à augmenter les impressions et à réfléchir à la commercialisation du jeu.
Le jeu est aujourd’hui trouvable dans de nombreux points de vente tels que les librairies, les guest houses, les boutiques de souvenirs… Les démarches auprès de ces établissements m’ont également permis de découvrir, au-delà de la fabrication d’un jeu, l'aspect marketing et commercial de la fabrication de jeu, qui m’étaient alors inconnus. Nous cherchons aussi à étendre la distribution du jeu en dehors de Ho Chi Minh-Ville et sommes en contact avec des vendeurs à Hoi An, Da Nang, Can Tho et Hanoi.
4 - Qu’est-ce qui vous passionne dans ce jeu et pourquoi vouloir y intégrer des caractéristiques vietnamiennes ? Cela change-t-il quelque chose par rapport à la version originale du jeu ?
Ma famille et moi-même sommes assez joueurs et aimons donc nous prêter à de nombreux jeux, dont le tarot. Après mon arrivée au Vietnam, j’ai donc souhaité continuer à jouer et l’idée de la création du jeu est venue, ce qui m’a également permis de faire découvrir le jeu de tarot à ma compagne, qui est thaïlandaise.
En ce qui concerne les règles, ce sont exactement les mêmes que celles du tarot classique, seules les illustrations changent. Afin de faciliter l’appréhension et la compréhension du jeu, les règles sont expliquées en anglais et en vietnamien sur notre site (tarot-vietnam.com), en plus d’être fournies dans le paquet avec un récapitulatif de la valeur des cartes.

Nous parvenons à toucher une clientèle assez diversifiée, composée à la fois de touristes voulant ramener du Vietnam un souvenir original et qui peut tenir dans la poche, mais également de locaux, d’étudiants… J’ai aussi été démarché par de nombreux collectionneurs qui me commandent régulièrement de nouveaux jeux au fil des mises à jour. Notre jeu aurait même été introduit au Musée de la carte à jouer en France.
5 - Comment s’est fait le choix des images et quelle portée cela apporte-t-il au jeu au Vietnam ?
Le choix des images, leur organisation, leur design et leur hiérarchisation nous a pris beaucoup de temps avant d’arriver à un rendu satisfaisant. Nous étions trois à réfléchir à ces illustrations : ma compagne, moi-même et un ami à nous. Nous avions la volonté de réunir dans le jeu les éléments qui nous avaient marqués au Vietnam, sans pour autant tomber dans les clichés et en évitant une trop grande politisation du choix des images.
Nous avons donc listé nos idées sur plein de domaines différents (gastronomie, vie de rue, art, histoire…) avant de réfléchir à une hiérarchisation de ces symboles pour correspondre à la valeur des cartes. Par exemple, au départ, nous avions choisi de représenter les Cavaliers par des policiers vietnamiens en uniforme, ce qui nous a été fortement déconseillé par la suite par les boutiques partenaires, et nous avons donc changé cette carte. Autre exemple, la Dame et le Roi sont représentés par des mariés vietnamiens en tenue traditionnelle. Toutefois, le jeu n’est pas figé et peut se prêter à des actualisations.
À travers la création de ce jeu, il y a à la fois la volonté de créer un produit unique et personnel, mais également une envie de faire découvrir ce jeu aux Vietnamiens eux-mêmes, qui ne le connaissent pour la plupart que très peu. Beaucoup ont une vision biaisée du jeu et associent cela à une forme de divination, de jeu de cartes pour lire l’avenir. Nous souhaitions donc également démocratiser l’usage et les pratiques de ce jeu datant du XVe siecle auprès des Vietnamiens.
6 - Comment se déroule la fabrication d’un jeu ? Cela se fait-il via un fabricant, une usine ?
Au départ, la quantité des paquets imprimés était assez faible et je devais exécuter une partie du travail en finissant de découper et de mettre en forme les paquets. De plus, les premières fabrications n’étaient pas optimales, car certaines cartes manquaient dans les paquets et il fallait donc vérifier chaque jeu avant de les mettre en vente, ce qui prenait un temps fou.
Afin d’évoluer dans la fabrication des jeux et de nous simplifier la tâche, nous avons donc cherché à automatiser la production des jeux en changeant de prestataire et en augmentant le nombre d’impressions. Par exemple, au cours de la dernière session d’impression, 500 jeux ont été imprimés.
Qui plus est, les cartes et le paquet sont aujourd’hui fabriqués par le même prestataire, ce qui simplifie énormément l’assemblage final du jeu. Les productions sont aujourd’hui beaucoup plus qualitatives et uniformisées qu’au début.
7 - Pour finir et revenir sur l’expatriation, avez-vous des observations que vous pourriez partager avec des Français qui voudraient venir vivre au Vietnam ?
Le Vietnam est un pays où il est facile de se sentir très bien. Dans mon cas, le retour ici en 2018 a fait l’effet d’un retour à la maison. C’est également un pays où il est possible de garder une grande liberté dans notre activité.
Il est beaucoup plus facile de se lancer dans quelque chose ici : les rouages sont bien moins serrés qu’en France et il est donc plus simple de lancer des projets même s’ils échouent. Il y a évidemment des règles à respecter, mais dans l’ensemble, l’accessibilité au lancement de projet est bien plus grande.
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