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Bùi Huy Trang : « Je voulais saisir l’âme des Vietnamiens »

Bui Huy Trang Vietnamese we Bui Huy Trang Vietnamese we
Autoportrait de Bùi Huy Trang
Écrit par Loanne Jeunet
Publié le 25 octobre 2019

Sobrement intitulé "Nous autres Vietnamiens - Au-delà des clivages" en français, "Vietnamese We - Beyond divides" en anglais, et "Người Việt Nam chúng tôi" en vietnamien, le livre de Bùi Huy Trang ambitionne de représenter le plus objectivement possible le peuple vietnamien et ses diasporas à travers le monde. 

bui huy trang vietnamese we

Dans les années 60, étudiant, il rêvait de devenir l’un des meilleurs photojournalistes au monde pour couvrir la guerre du Vietnam. Passionné de photographie, Bùi Huy Trang,  a pourtant dû remiser son rêve au placard pour une carrière d’ingénieur, plus conventionnelle. Mais enfouie au fond de lui, cette envie première et indicible ne l’a jamais quitté. À tel point qu’il s’est promis de publier un jour, un ouvrage d’anthologie sur la représentation du peuple vietnamien et de ses diasporas dans le monde, à l’image de Robert Frank (The Americans, 1959), René Burri (Die Deutsche - Les Allemands) et quelques autres, ces « grands maîtres » qui se sont attelés avant lui à cette tache difficile. 

Au terme de vingt années de travail d’orfèvre autour de son projet éditorial Zixbook, après avoir sillonné une vingtaine de pays, toujours armé de son fidèle Leica, ce jeune retraité franco-vietnamien s’est heurté à une difficulté de taille : trouver un éditeur qui respecte l’identité de son oeuvre. 

lepetitjournal.com HCMV : Bùi Huy Trang, parlez-nous de ce projet éditorial de longue date,  Zixbook ? 

Bùi Huy Trang : En tant qu’ancien spécialiste brevet, j’ai appliqué la même façon de faire pour mon projet : je me suis demandé si cette mention était brevetable : on définit un thème (les Vietnamiens), on décrit les choses que l’on va aborder, on s’interroge sur ce qui existe sur le sujet, on date, on signe. À ce jour, il n’existe qu’une douzaine de bouquins photographiques sur les peuples nationaux dans le monde, sur un siècle ! J’ai donc protégé le terme de Zixbook en tant que marque et nom de domaine. Zi est la contraction de musique (zik), et le X, c’est tout ce qui se rapporte à l’image, aux pixels. J’avais également breveté le mariage entre le papier et le numérique, un concept qui associe les deux ; car si vous êtes un véritable lecteur, vous lisez sur papier.

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© Tous droits réservés - Bùi Huy Trang Thạch An, 2000

Pendant vingt ans, j’ai fait le tour du monde dans le cadre de ce projet qui me tient beaucoup à coeur. J’ai sélectionné une centaine de photos pour apparaître dans mon livre, 50 en couleur et 50 en noir et blanc, et écrit deux poèmes en prose Je rêve d’un pays et Mes yeux d’oiseau en cage, lesquels s’accompagneront de 3 bandes-son. Mon défi était de présenter les Vietnamiens de la façon la plus objective possible avec mon regard subjectif. Dans mon cas de figure, quand vous traitez les questions vietnamiennes vous êtes confronté à des problèmes d’ordre idéologique. C’est un thème difficile de présenter un peuple national. Je voulais saisir l’âme des Vietnamiens, de façon authentique, avec une approche humaine et empathique, au- delà des clivages. Les photos de paysages et de tourisme, je m’en moque éperdument. L’important, c’est le message.

C’est un ouvrage quasiment prêt à l’édition. Expliquez-nous comment vous avez procédé ?

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© Tous droits réservés - Bùi Huy Trang

En tant qu’auteur, je suis également l’éditeur. C’est un bouquin trilingue très culturel, pour lequel j’ai tout choisi : de la police de caractère spéciale faite par un typographe, complètement compatible avec l’écriture vietnamienne, en passant par le design de la composition. J’ai introduit des caractères idéographiques cryptés, le Nôm, et pour ce faire,  j’ai rencontré des spécialistes de plusieurs pays, dont le Vietnam, où j’ai fait la connaissance d’un des meilleurs calligraphes du pays, spécialisé dans cette écriture ancienne. Les 240 pages du livre sont en papier italien, l’ensemble est haut de gamme et travaillé aux petits oignons. En tout, j’ai fait une dizaine de maquettes, très proches de la réalité. C’est un beau brouillon. Ce sera un ouvrage de 24cm et 3 cm d’épaisseur, qui sera accompagné d’une carte USB et/ou d’un QR code pour la partie numérique Zixbook (Ebooks et montages audiovisuels), un complément qui enrichit le livre papier. 

J’ai acheté une musique créée par un Australien. Celui-ci l’a composée et enregistrée en studio avec deux bols chantants.  Pourquoi n’ai-je pas choisi de musique vietnamienne ? En tant que photographe, je peux passer des heures à regarder une image, pendant lesquelles j’imagine plein de choses, je crée mon monde. Il ne faut surtout pas être dérangé par le son ; je voulais plutôt que le spectateur puisse se concentrer sur l’image, dans une atmosphère de recueillement, comme dans celle d’une pagode.

J’ai également écrit deux poèmes en prose et les ai mis en musique avec deux morceaux du compositeur australien. On peut l’écouter en étant de n’importe quel pays du monde, c’est universel. Il y a des instruments bizzaroïdes que j’adore.

Comment êtes-vous allé à la rencontre de la diaspora vietnamienne dans le monde ?

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© Tous droits réservés - Bùi Huy Trang - Toronto, 2016

Les Vietnamiens qui vivent aux Etats-Unis sont très importants. Je ne pouvais pas imaginer faire un livre en les excluant. 

Je suis allé à Moscou pour une semaine, où il faisait froid à mourir. Je me suis perdu là-bas, ai rencontré quelques soucis, tout ça pour ramener une photo ! (Rires)

Pareillement, l’avion pour l’Australie, c’était 24h de vol, tout ça pour ramener 2 photos. 

 

Je peux vous citer des dizaines d’exemples qui traduisent bien la folie qui m’a habité pour ce projet, sans parler du budget que j’ai investi. Je pourrais m’acheter une maison en région parisienne ou deux Porsche Cayenne (Rires). Mais tout ça était une aventure extraordinaire, et entreprise parallèlement à mon travail et à ma vie de famille ! 

Dans quels contextes avez-vous pris ces clichés ? Etait-ce longuement étudié et mis en scène, ou spontané ? 

Mes photos en général sont spontanées. Je fais rarement des photos de pose. Dans ma série de 100 photos, il y en a peut-être une douzaine où l’on pourrait dire que c’est de la pose mais c’est de la fausse pose.

Un jour dans une pagode à Saigon, j’ai photographié le moine responsable des lieux, il tenait un bébé dans les bras. Je passais à côté, je l’ai photographié alors qu’il me regardait mais ce n’était pas de la pose, juste deux regards qui se sont croisés.

La photo que je préfère, c’est celle d’une jeune femme d’environ 25 ans, sans bras, victime de l’agent orange. Elle avait un t-shirt très féminin, un joli bracelet à la cheville. Elle se servait de sa jambe pour se gratter. Et derrière elle en arrière-plan, vous avez le drapeau vietnamien. C’est une photo symbolique, presque iconique. Et j’ai réussi à évoquer le problème de l’agent orange de façon un peu décalée. Je ne voulais pas montrer le trash, les choses horribles. De toute façon, l’horreur est souvent dans le quotidien, et je compte sur l’intelligence du lecteur pour se faire son interprétation.

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© Tous droits réservés - Bùi Huy Trang - Sài Gòn, 2017

Parlez-nous de ces difficultés que vous rencontrez depuis tant d’années ? 

Ce projet est totalement ficelé, mais il faut que je réussisse la balle de match : dénicher un sponsor, un décideur, qui pourrait promouvoir mon livre.

De plus, je pense que le deuxième obstacle, c’est que je ne photographie pas des scènes de vie qui montrent des images paradisiaques du Vietnam. 

Mais je ne veux pas faire de compromis, c’est ça le travail d’un photographe documentaire digne de ce nom.

 

Le projet éditorial Zixbook vous intéresse ? Découvrez-le plus en détails sur son site internet 

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© Tous droits réservés - Bùi Huy Trang - Hòn Khói, 2013

 

loanne jeunet
Publié le 25 octobre 2019, mis à jour le 25 octobre 2019

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