

Pour participer à la fête de la Bretagne ce week-end, Lepetitjournal.com met à l'honneur un Breton, Franck Le Moënner, auteur du blog Hungry Breton créé en août 2014. Ce blog, écrit en anglais, présente des recettes bretonnes et irlandaises réalisées par Franck Le Moënner. De très belles photos accompagnent les plats et les histoires de l'expatrié. Il est venu sur l'île d'émeraude en 1994 pour le travail, attiré par la connexion culturelle entre les deux pays. Depuis, il a exercé de nombreux métiers?: ornithologue, cuisinier, fromager, marchand de vin et de nouveau fromager. Et à 44 ans aujourd'hui, Franck Le Moënner a passé autant de temps en Irlande qu'en France.
Comment est né le site de Hungry Breton??
J'ai toujours aimé écrire, c'est un passe-temps personnel. Ça a commencé en 2006 quand j'étais caviste. J'envoyais des lettres d'anecdotes à mes clients sur un vin ou une région de France. Et ma culture bretonne apparaissait toujours, un peu en humour, en autodérision. Puis j'ai été approché par un journal régional. J'écrivais une page tous les mois. En changeant de métier, après la Récession, il y a 7 ans, j'ai continué cette tradition d'envoyer un mail à mes clients. C'était une histoire, une recette avec, toujours, une référence à la Bretagne. Et plusieurs personnes m'ont demandé de faire un blog où je pourrais avoir plus de plaisir et de liberté. L'idée était de marier ses passions?: c'est un aller-retour entre des petites histoires, des recettes de famille?
Oui, cela se voit bien sur le site, il y a une histoire derrière chacune de vos recettes.
Oui, la nourriture représente beaucoup de souvenirs, c'est les plats que la grand-mère faisait. C'est l'idée de la continuité de certaines recettes de famille et de les faire voyager. Par exemple, j'avais fait une recette de gâteau aux pommes que ma mère faisait et je l'avais mise sur le site. Et j'ai eu un retour d'une maman au Canada qui voulait me dire que maintenant elle faisait la recette, que ses enfants l'adoraient et qu'elle cuisinait ce gâteau toutes les semaines. C'est le passage d'une tradition et ça me touche beaucoup.
Quelle est votre recette préférée??
Celle du «?Gâteau Breton aux pommes?» sans doute. Et celle qui le plus de succès est la recette des «?Raviolis irlandais?».

Est-ce que le site a évolué depuis de sa création??
Depuis le début, c'est parti sur ?'une histoire = une recette''. Mais je ne voulais pas faire exclusivement des recettes bretonnes traditionnelles, c'était plus l'histoire d'un Breton en Irlande. Alors bien sûr il y a des plats traditionnels comme le far breton mais je ne voulais pas partir dans la Bretagne classique. C'était aussi pour représenter l'esprit breton têtu, mais voyageur. L'idée était vraiment de mixer. Il y a des souvenirs mais c'est aussi des expériences?: je mélange des influences, avec les producteurs irlandais, et je mélange des ingrédients.
Justement, vous cuisinez avec des produits irlandais et français. Est-ce difficile de se procurer des produits français??
Après la récession, il y a eu une explosion de petits producteurs en Irlande. J'en connais un qui fait du chorizo par exemple ou du fromage comme des bries. Les petits producteurs s'inspirent aussi de l'étranger et font leurs propres trucs. A Sligo, en 1994, Cuisine de France est arrivée avec les premières baguettes? on était comme émerveillé. Et de plus en plus, on a commencé à avoir des 
Ce qui est intéressant, c'est qu'avant la récession, les Irlandais aimaient beaucoup tout ce qui était produit français. Et pendant la récession, il y a eu une volte-face complète (qui n'avait rien à voir avec le fait d'être contre la France). Ils voulaient soutenir leurs produits et leurs petits producteurs. Le changement a été incroyable. Maintenant avec une reprise de confiance économiquement parlant, il y a un certain retour aux produits français. C'était intéressant de voir une société faire ça.
Vous percevez la table comme un lieu de partage et de convivialité. Une vision plutôt française, non?? N'y a-t-il pas quand même de grandes différences dans la culture culinaire et les habitudes alimentaires?entre les deux pays ?
Si, je suis tout à fait d'accord. C'est un peu la raison d'être du blog aussi. Comme dirait Jacques Brel, je me berce de nos rêves et de souvenirs. Le blog me permet de retrouver des moments que je n'arrive pas à recréer ici, c'est-à-dire l'art de la table, inviter le voisin à l'apéritif, rester manger... Inviter des amis à diner ne se fait pas autant qu'en France. Ça me manque un peu cette réunion autour de la table. Dans l'Hexagone, la maison est plus un lieu ouvert qu'ici. En revanche, ce qui m'a épaté en tant que cuisinier amateur, ce sont les plans de travail irlandais par rapport à la France. Ils sont paradoxalement plus grands en Irlande.
«?Les Bretons ne quittent jamais la Bretagne, ils l'emmènent toujours avec eux?»
Vous dîtes que les cultures bretonnes et irlandaises sont assez similaires? en quoi??
Au niveau de la langue d'abord. Il y a des similarités dues aux migrations même si le Scottish gaelic est plus proche du breton. Il y aussi des ressemblances dans les traits de caractère?: le côté fêtard, buveurs de bière, la musique, les contes. Raconter des histoires est très chéri en Irlande et en Bretagne. Et c'est pour ça que l'Irlande était une attraction pour moi. Mais il y a aussi des différences évidemment. Car la culture bretonne a subi une influence française et eux une influence anglaise. Et donc dans n'importe quelle maison bretonne, il y aura cette culture de la table, venir prendre le café de manière naturelle alors qu'ici la maison est un lieu assez fermée en Irlande. J'ai un voisin d'une soixantaine d'années qui vient une fois par mois prendre le café mais ce n'est pas commun.
A votre avis, comment les Irlandais perçoivent les Bretons??
Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, il y avait un pont culturel très important entre la Bretagne et l'Irlande. Il y avait beaucoup d'échanges de musiciens, les jeunes Irlandais venaient en Bretagne et certains se sont installés. Et les Bretons ont toujours eux un rapport de solidarité avec l'Irlande. Mais les cultures changent, les gens ont commencé à voyager un peu plus. Ce côté famille entre les pays celtiques est un petit peu passé de mode, surtout que la Bretagne n'est pas un pays anglophone.
Vous êtes expatrié depuis 20 ans maintenant, vous avez passé autant de temps en Irlande qu'en France, de quelle culture vous sentez-vous le plus proche aujourd'hui??
Il y a un proverbe breton?qui dit « Les Bretons ne quittent jamais la Bretagne ils l'emmènent avec eux?». Je n'ai jamais coupé les ponts avec la Bretagne ou la France. Tous les jours je lis Libération, Le monde et Ouest-France. Je garde le contact bien sûr et d'ailleurs j'écris aussi mes histoires sur le blog. Je voulais que les gens qui lisent le blog se rendent compte ce qu'était mon histoire quand j'étais au collège. J'ai donc écrit «?La cantine?» pour montrer comment on a grandi?: pour dix francs, il y avait une ou deux entrées, des plats et des desserts. Et cette histoire anecdotique a fait parler beaucoup de gens. Et donc, même si je ne rentre pas beaucoup, je n'ai jamais coupé les ponts avec la culture du c?ur, bretonne qui me vient de mes grands-parents et arrières grands-parents mais aussi la culture française.

Les gens me disent souvent «?ah tu es irlandais maintenant?» mais je ne le sens pas. Ce n'est pas méchant, il y a des choses que j'aime ici d'autres moins mais c'est pareil en Bretagne ou en France. J'aime vivre ici mais j'ai plus l'impression d'avoir eu de la chance d'avoir été exposé à deux cultures. Et mon pays d'origine commence maintenant à être le pays où je vais en vacances. Je reviens en France une fois tous les deux ans avec l'?il du touriste, avec admiration, comme une redécouverte à chaque fois de ce qu'on prenait pour argent comptant. Je suis content d'être qui je suis et de partager des aventures avec des gens qui viennent des quatre coins de la planète. Ce que la nourriture m'a permis.
Et est-ce que même après vingt ans dans l'île d'émeraude, il y a des choses auxquelles vous ne vous habituez pas??
Il faut que je réfléchisse? L'art de la table est un peu difficile comme on disait tout à l'heure. J'aime bien les amitiés à la française, à la bretonne, difficiles à gagner mais très riches ensuite. Ici c'est différent. J'habite par exemple dans un village depuis dix ans dans le comté de Meath et c'est l'endroit où j'ai vécu le plus longtemps de toute ma vie. Je me suis fait des amis à Dublin plutôt dans le contexte de mon travail mais je n'ai pas de pote dans mon village. C'est juste parce que c'est une culture différente, je n'ai pas joué dans le club de football gaélique du coin etc. Mais les gens sont quand même très sympas malgré tout.
Est-ce qu'il y a un autre élément auquel vous pensez??
J'ai quand même un regret sur le manque d'attention à l'environnement. L'Irlande a essayé de partir sur un courant?«?origine green?» mais il n'y a pas assez d'ouverture de parcs régionaux ou de réserves naturelles, pas assez d'endroits où les gens peuvent s'oxygéner. Peu de choses ont été proposées aux dernières élections concernant la protection de l'environnement. Et les gens ont recommencé à balancer leurs sacs de poubelles sur le bord de la route. Cela m'a déçu mais bon il ne faut pas être trop dur. L'Irlande a une carte très importante à jouer là-dessus. Il y a beaucoup d'aménagements en France. Ça commence, je suis peut-être trop impatient (rires). J'essaie un peu aussi de montrer ça dans mon blog?: que l'on peut profiter de son environnement. Je prends des photos autour de chez moi pour montrer avec l'?il de l'appareil photo?: «?Regarde, c'est pas mal chez toi?».
Tiphanie Naud (Vendredi 13 mai 2016)
Credit Photos : The Hungry Breton
https://hungrybreton.com/







