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Entretien avec Phyllis Gaffney : l’hôpital irlandais de Saint-Lô en Normandie

À l’occasion du 80e anniversaire de la création de l’hôpital irlandais de Saint-Lô en Normandie, Valérie David-McGonnell (présidente de l’AIPLF et de l’Alliance Française de Cork et l’une des ambassadrices de la Normandie en Irlande) a invité Phyllis Gaffney à nous parler de cet épisode normand des relations franco-irlandaises avec lequel elle a un lien très personnel.

Dr James GaffneyDr James Gaffney
Dr James Gaffney, père de Phyllis Gaffney, fut pathologiste à l’hôpital irlandais de Saint-Lô en Normandie
Écrit par Valérie David-McGonnell
Publié le 17 décembre 2025

Phyllis GAFFNEY est une chercheuse et autrice irlandaise, ancienne maître de conférences à University College Dublin où elle a enseigné le français (langue et littérature). Dans ses recherches, elle s’intéresse aux relations franco-irlandaises, à l’histoire de l’enfance au moyen âge (Constructions of Childhood and Youth in Old French Narrative, Ashgate, 2011) et à la traduction littéraire. Son dernier ouvrage s’intitule Foreign Tongues: Victorian Language Learning and the Shaping of Modern Ireland (UCD Press, 2024).

Valérie David-McGonnell : Comment s’est passée la création de l'hôpital irlandais de Saint-Lô, en 1945 ?

Phyllis Gaffney : La ville de Saint-Lô avait été bombardée par les Alliés lors de leurs débarquements sur les plages normandes, début juin 1944. Il restait si peu de bâtiments que la ville gagna le triste surnom de « Capitale des Ruines ». L’hôpital municipal fut détruit le 8 juin. La reconstruction de la ville dévastée allait prendre dix ans. 

La Croix-Rouge irlandaise voulait faire quelque chose pour soulager la situation en Europe après la guerre. Elle proposa d’offrir un hôpital, quelque part en France. En mars 1945, une équipe de la Croix-Rouge Irlandaise alla en Normandie et la ville de Saint-Lô fut choisie. Ville où l’hôpital municipal bombardé manquait énormément. Le gouvernement français allait fournir le site et les bâtiments ; la Croix-Rouge irlandaise allait s’occuper du personnel et de l’équipement médical.

Ouvrage de Phyllis Gaffney Healing Amid the Ruins
Ouvrage de Phyllis Gaffney Healing Amid the Ruins

Le financement provenait de dons volontaires et des courses de chevaux (Irish Hospital Sweepstakes), un moyen d’avoir des fonds pour le travail de la Croix-Rouge pendant la guerre. Pendant plusieurs mois, le matériel et l’équipement de l’hôpital ont été rassemblés à Dublin et le personnel recruté. 

Les premiers membres du personnel irlandais quittèrent Dublin pour Cherbourg, en août 1945. Pour plusieurs raisons provenant des pénuries matérielles et des voies de communication problématiques après la guerre, l’hôpital commença à traiter les malades en consultation externe en septembre, mais n’était prêt à ouvrir pour hospitaliser que quelques mois plus tard, en décembre 1945. Le premier bébé, né au mois de janvier 1946, s’appellera Patrick.

Pourriez-vous nous décrire cet hôpital ?

L’hôpital était composé de 25 baraques en bois, situées sur une pente entre deux routes. Il comportait des terrains où les jardiniers faisaient pousser des fleurs et où les enfants du quartier venaient jouer de temps en temps. Le dimanche après-midi, on servait le thé au public qui passait et les habitants de la ville appréciaient la chaleur des Irlandais ainsi que l’ordre et la propreté des lieux. Ce qui se comprend, vu les ruines où vivaient toujours certains d’entre eux. 

Les baraques communiquaient par des couloirs. Divers services fonctionnaient, avec un personnel formé pour les spécialisations : chirurgie, tuberculose, laboratoire, radiographie, ophtalmologie, pharmacie, maternité, pédiatrie, médecine générale. 

La plupart des médecins étaient jeunes, en début de carrière. Après leur travail à Saint-Lô, ils trouvèrent des emplois en Irlande ou à l’étranger. L’infirmière en chef, Mary Frances Crowley, ira travailler au Royal College of Surgeons, où elle sera l’une des fondatrices de la Faculté des Sciences Infirmières. Le chirurgien Frederick McKee, après son retour en Irlande, assumera un poste au Richmond Hospital. Paddy McNicholas, ophtalmologue, partira au Canada. 

Il y avait aussi un personnel administratif. Parmi eux se trouvait le futur écrivain célèbre, Samuel Beckett. À l’époque, ce jeune intellectuel n’était pas connu. Très doué en langues, il rendait un service indispensable aux Irlandais, surtout au début. Il était responsable des boîtes d’équipement stockées dans le haras municipal. Ce sera après son séjour à Saint-Lô qu’il commencera à écrire en français. 

Qui était soigné dans cet hôpital ?

L’hôpital soignait tous les citoyens gratuitement et disposait de médicaments (comme la pénicilline) difficiles à obtenir en France d’après-guerre. La typhoïde était courante, vu les mauvaises conditions sanitaires en ville. Les malades comprenaient des enfants blessés par les mines non explosées ; des tuberculeux ; des hommes rentrés de la guerre ou des camps de concentration ; les femmes qui accouchaient en sécurité dans des salles chaleureuses et fleuries. Les habitants malades se trouvaient en général bien contents des soins reçus.

Phyllis Gaffney, 2025
Phyllis Gaffney, 2025

Pendant leurs loisirs, il y avait de très bons rapports entre le personnel irlandais et les habitants de la ville. On se réunissait pour dîner ensemble, pour aller à la mer, pour fêter mardi gras ou la Saint-Patrick. 

L’hôpital fonctionna avec un personnel irlandais pendant un peu plus d’un an. Une fois la guerre terminée, la Croix-Rouge irlandaise avait des difficultés financières et ne pouvait pas continuer à payer leur salaire. De plus, les médecins français de la région voulaient bien rentrer en activité. Donc, un transfert de gestion à la ville de Saint-Lô s’effectua fin décembre 1946. Les Irlandais quittèrent Saint-Lô en janvier 1947. Une foule de personnes de la ville vint à la gare pour leur dire adieu. 

L’hôpital garda son nom d’« hôpital irlandais » pendant une dizaine d’années, même après le départ des Irlandais. C’est en 1956 qu’un nouvel hôpital, « Le Mémorial », ouvrit.

Quel est votre lien personnel avec l'histoire de cet hôpital ?

Je me suis en effet penchée sur cette histoire pour des raisons très personnelles. Mon père, Dr James (Jim) Gaffney, y travailla pendant un an comme pathologiste. Or, je n’ai jamais connu mon père parce qu’il a disparu lors du premier incident aérien d’Aer Lingus, au Pays de Galles, le 10 janvier 1952. Je suis née quelques semaines après. 

Ma tante paternelle avait gardé les lettres de Saint-Lô, écrites par Jim aux membres de sa famille. Cette correspondance est un témoignage précieux qui donne une idée très vive de la vie quotidienne à l’hôpital, des problèmes auxquels il fallait faire face et de ce que les Irlandais faisaient pendant leurs heures de loisirs. 

Je me suis servie de cette correspondance comme source de mon travail sur l’hôpital. Ayant fait des recherches supplémentaires dans les archives à Dublin et en Normandie et ayant trouvé des habitants qui se rappelaient toujours les membres du personnel irlandais, j’ai pu rédiger un livre intitulé Healing Amid the Ruins : the Irish Hospital at Saint-Lô, 1945–46 (A. & A. Farmar, 1999)

Bibliographie sommaire :

Phyllis Gaffney, Healing Amid the Ruins: The Irish Hospital at Saint-Lô, 1945–46 (1999)

Radio Éireann, Documentary on One (4 Sept 2020), “The Hospital the Irish shipped to France” 

Propos recueillis par Valérie David-McGonnell, décembre 2025.

Retrouvez le podcast de cet entretien sur le site de l’Alliance Française de Cork.

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