Saïd Nourine vient de prendre la direction de l’Alliance Française de Dubaï, il a derrière lui plus de 20 années d’expérience dans l’enseignement du français et la coordination de centres culturels. Poète, cela s’entend dans un discours au langage ciselé et animé d’un supplément à la fois de profondeur et légèreté. Il a plusieurs cordes à son arc et une vraie passion pour la mission des Alliances : concepteur d’événements, de festivals, de conférences et de rencontres culturelles, on sent dès cette première rencontre qu’il a « l’Alliance Française au cœur » et de belles ambitions.
Lepetitjournal.com/dubai : Quelques mots sur vos premières semaines à Dubaï ?
Saïd Nourine : Mes premiers jours ici sont marqués par la découverte totale, je ne savais rien, depuis ma toute première visite il y a deux ou trois ans jusqu’à mon arrivée. Et l’arrivée n’est pas évidente, lorsque l’avion atterri c’est très impressionnant, déroutant, ce n’est pas une séduction d’emblée, instantanée, ce n’est pas une ville qui s’offre à l’inconnu de manière évidente : il faut laisser le temps à la découverte, dépasser les premières impressions un peu déconcertantes et écrasantes, et je suis très curieux de justement lever le voile, découvrir ce qui fait de Dubaï un pôle d’attraction aussi intense.
Qu’est-ce que l’Alliance Française pour vous ?
L’Alliance Française est le lieu par excellence pour apprendre le français et être au contact des cultures française et francophone, au travers de nos cours, notre programmation culturelle, nos médiathèques et nos espaces de vie et de partage.
L’Alliance évolue dans un univers extrêmement fluctuant, dans un jeu de permanence et d’équilibre. J’aime bien évoquer les installations d’Alexander Calder, chacune est le fruit d’un rapport de forces étudié, mais laissant la place au hasard et à l’empirique pour parvenir à un jeu d’équilibre au fond très stable. J’aime bien cet oxymore justement, « l’équilibre instable », il est pour moi une image parlante du travail que l’on effectue dans un établissement culture En effet, le désir d’apprendre, de se cultiver, de maîtriser une autre langue que la sienne recèle une fragilité inhérente.
Qu’est ce qui fait la différence d’une Alliance à l’autre ?
Ce qui compte in fine, ce dont une ville va se souvenir ce sont les évènements marquants, dans quelques années qu’est-ce que notre communauté francophone va retenir de notre passage, de leur passage à l’AF, qu’est ce qui les y aura attirés ? Je pense que la seule vraie réponse, fondamentale même, c’est l’avenir de leurs enfants. On vient à l’Alliance Française pour leur ouvrir le monde des possibles : d’autres langues, d’autre cultures, d’autres rencontres, d’autres études, d’autres opportunités.
Je viens de l’Alliance Française de Bahreïn, qui est aussi très belle. Et j’ai eu la joie d’y fêter ses 50 ans, en 2019, c’est un vrai symbole de la francophilie au Bahreïn, et le témoignage bien vivant de la sagesse des acteurs qui ont fait ce pari de la langue de de la culture. C’est un pari sage, ce qui serait presque un autre oxymore (sourire), mais surtout un pari passionné sur l’avenir. C’est un choix courageux quand il aurait été plus facile de miser sur quoi que ce soit de plus simple et de plus évident. L’Alliance Française de Dubaï est quant à elle le fleuron du Moyen Orient et de la zone Afrique, et je ressens cette lourde responsabilité de maintenir une position de pointe, et de continuer à se développer : encore une histoire d’équilibre….
Vous parlez beaucoup de mouvement, dans les images que vous utilisez, d’où cela vous vient ?
Je suis poète, aussi, et pour moi la poésie c’est à la fois la langue, la culture et le mouvement pour moi le langage c’est la marche et la poésie la danse, mais oui, j’aime le mouvement.
Vos premières impressions ?
Beaucoup de sollicitations, beaucoup de stimuli de toutes parts, une ville très active, tout le temps, tous les jours, toutes les communautés emportées dans ce mouvement, et le constat immédiat d’un champ des possibles immense.
Si vous deviez avoir un premier objectif durant votre mandat ?
Remettre cette Alliance Française au centre de la ville, de la vie. Ici tout bouge vite, le plan de la ville, les routes, les énergies... En un mot, je souhaite la mettre sur le devant de la scène. Qu’elle soit active, engagée auprès de toutes les communautés de Dubaï.
Une Alliance Française se construit aussi avec des chiffres, on se doit d’être pragmatique. Dans le monde d’aujourd’hui la culture doit être au cœur de toutes les grandes villes, c’est peut-être même ce qui définit la « grande ville » justement : d’avoir un cœur culturel battant et bien vivant. C’est cela que l’Alliance Française Dubai incarne depuis 40 ans.
Ce qui vous tient à cœur ?
En premier lieu l’environnement, je souhaite une Alliance Française verte, ce qu’elle est déjà, mais on peut toujours faire plus dans ce domaine, et une Alliance à la pointe de la digitalisation. C’est un projet en cours, immédiat, et je souhaite aller le plus loin possible dans cette voie, développer la pédagogie, la formation, les pratiques quotidiennes, la productivité, etc. Il ne s’agit pas juste de mettre des cours en ligne mais bien de digitaliser tout ce qu’il y a en amont, et en aval, de connecter en temps réel les élèves d’une salle avec des élèves absents ou présents, l’étape suivante étant la création de « classes dynamiques », c’est-à-dire des classes connectées entre elles, en temps réel.
On se doit d’être à la pointe des innovations pédagogiques et cette évolution est une des conséquences imprévues et positives de la Covid : cela aura permis aux Alliances Françaises qui sont des établissements physiques de maintenir le lien avec nos publics, dans un esprit de solidarité. C’est cela véritablement notre ADN. Pour la préserver, il a fallu se montrer résilient et créatif.