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Junior Nadje, chef du restaurant de Matthieu Vianney, RUE ROYALE

rue royal restaurant rue royal restaurant
Écrit par Marie-Jeanne Acquaviva
Publié le 29 février 2020, mis à jour le 1 mars 2020

Dans la multitude des restaurants qui à Dubaï ouvrent leurs portes en fanfare et sont contraints parfois de fermer tout aussi rapidement peu sont ceux qui survivent, et qui savent s’imposer en naviguant entre authenticité et exigences du public. C’est un art délicat qui exige beaucoup de franchise, de travail et de patience.  Du côté du public il est parfois tout aussi difficile de dénicher une cuisine fine, vraie, qui « donne faim » sans pour autant vous dévaliser en un repas avec une addition « dubaïote ». Et si Matthieu Vianney - le célèbre chef étoilé du légendaire La Mère Brazier - en ouvrant la Rue Royale et en en confiant les rênes au talentueux, sincère et passionné chef Junior Nadje avait réussi l’équation parfaite ? Une cuisine vraie, fraiche, élaborée avec attention et passion, sans trahir ni le produit, ni la recette, ni le client ? Allons donc à la rencontre de cette licorne culinaire, et tenter de découvrir les secrets de Junior Nadje.

 

Quelle est votre histoire avec Dubaï, comment êtes-vous arrivé ici?

 

J’arrive en décembre 2014, recruté pour devenir le second de Yannick Alléno au Stay, et quand je reçois la proposition je saute sur l’occasion: se faire recruter par Alléno c’est difficile de refuser, son nom est mythique, et quand dans le panier on rajoute “Dubaï” et le « One & Only », forcément ça fait rêver, c’est magique ! J’y resterai 3 ans, et je ne regrette rien : je me suis formé à Paris, et quand la proposition arrive je suis en fin de saison à La Chèvre d’Or (un deux étoiles Michelin, dans l’hôtel du même nom à Eze, ndlr), j’ai travaillé à Londres aussi, mais une fois qu’on a pris le virus du voyage c’est difficile de rester en place et de revenir dans la capitale, je n’avais qu’une envie c’était de repartir, j’avais vraiment soif de l’étranger, de voyage.

 

Qu’est-ce qui vous donne envie de changer de projet, de quitter le O&O?

 

C’est ma rencontre avec Matthieu Vianney: en 2017 je cuisine pour lui, on accroche bien et très vite arrive ce projet un peu fou de lancer un restaurant gastronomique français, ici, à La Pointe et sans alcool… oui, c’est un pari un peu dingue, mais le projet grandit en moi, et je me lance.

 

Vous démarrez de zéro, et bien sûr il ne s’agit pas de faire un copié-collé de l’institution qu’est La Mère Brazier?

 

On commence  avec un chef qui vient m’épauler pour l’ouverture, on doit décider de tout de a à z, les dimensions de la cuisine, la place de la salamandre, la taille des feux, combien de lampes, de tables, comment organiser l’espace pour que le service soit fluide, agréable, combien de frigos… ce n’est pas mon métier alors je le laisse faire et j’apprends beaucoup. Matthieu Vianney s’implique beaucoup aussi et nous épaule : ce que l’on recherche c’est la même énergie que la Mère Brasier, pas une copie. Sans compter qu’on doit tenir compte de nos concurrents de voisinage et de la clientèle de Dubaï : exigeante, gâtée (en tout cas ayant sous le coude un choix infini de restaurants de toutes catégories) et qui mêle de très fins gourmets, des connaisseurs, à des personnes qui n’ont qu’une idée très vague ou “diluée” de la gastronomie française. Sans vouloir avoir la prétention de plaire à tout le monde, il a fallu néanmoins s’adapter.

 

C’est-à-dire? J’ai l’impression que c’est vraiment le défi récurrent de toute cuisine traditionnelle qui cherche à s’installer dans une mégapole au brassage international comme Dubaï… Préserver une tradition synonyme de qualité et savoir aller à la rencontre d’une clientèle qui souvent méconnaît cette tradition et ne veut pas être trop “secouée” dans ce qu’elle connaît ou attend des plats?

 

C’est un peu ça oui, il faut trouver un équilibre entre une nourriture simple, compréhensible mais authentique, que même le client de passage, asiatique ou oriental, n’ayant jamais mis les pieds en France, saura choisir et apprécier, et savoir en même temps satisfaire aussi le client plus curieux ou le très fin gourmet qui recherche justement son souvenir ému de la Mère Brazier ou l’expérience emblématique de la cuisine Lyonnaise à son sommet… Il faut être capable de jongler entre toutes ces propositions avec aisance, et ne pas snober l’une au profit de l’autre. Moi j’essaye de dépasser ces clivages, de travailler de façon intelligente : faire un plat commercial ce n’est pas une insulte, et ne doit pas être synonyme de cuisine « au rabais » il ne faut pas y mettre de l’ego. S’entêter à faire un plat à la carte que personne ici ne va choisir c’est idiot, tandis que séduire la clientèle en l’amenant petit à petit vers des choses plus inhabituelles… c’est mieux! Il faut s’adapter avec subtilité, offrir des points de repère que les gens vont reconnaître. La cuisine Lyonnaise a dans ses tiroirs une foule de plats qui passent très bien aux yeux d’une clientèle internationale : les fricassées, les quenelles, les gratins… Mon coquelet à la moutarde il est délicieux, c’est très français, c’est vraiment de la cuisine de « bouchon » (bistrot populaire traditionnel de Lyon, ndlr), il est facile a comprendre, mais je n’ai rien travesti… Ce qui ne m’empêche pas quand j’ai un client amateur de lui préparer la parfaite poularde en demi-deuil (rires)! On doit savoir faire les deux, et y trouver une harmonie. Et pour moi cela passe par le respect d’une identité, des produits de très haute qualité, et surtout faire une cuisine sincère: comment bien travailler et se lever chaque matin si on se force? Moi j’aime la cuisine que je propose et j’en suis fier.

 

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La Rue Royale qu’est-ce que c’est pour vous aujourd’hui?

 

Eh bien cela va bientôt faire un an jour pour jour que nous sommes ouverts, et je suis très fier de ce que nous sommes devenus. Le fait de travailler sans alcool, c’est bien sûr un défi dans l’esprit du gastronome traditionnel français, mais je ne le vois pas seulement sous cet angle. Moi je suis extrêmement fier d’avoir fidélisé une clientèle et d’entendre le bouche à oreille qui parle de nous comme d’un bon restaurant, que les gens reviennent pour ce qu’ils trouvent dans leur assiette et pour le seul plaisir de manger! Bon n’exagérons rien, nous avons aussi un joli cadre, un service et une équipe impeccable mais vous comprenez ce que je veux dire : oui je suis très fier de savoir que nos premiers succès ne sont dûs qu’au plaisir de l’assiette et non pas à une mode un peu artificielle ou par ce que chez nous « on fait la fête », ici on vient manger, se faire plaisir, et ça me fait très plaisir. J’aime que nos assiettes laissent une empreinte suffisamment forte dans le souvenir, le palais de nos clients pour qu’ils aient envie de revenir jusqu’ici juste pour le plaisir de bien manger… ce qui ne les empêche pas d’aller boire un verre après (rires).

 

Qu’est-ce qui est votre moteur, votre envie pour l’année ou les années à venir?

 

Eh bien je dirais que mes modèles (et amis) ce sont des restaurants de taille modeste et qui fonctionnent au respect, le respect à 360 degrés, peu importe l’alcool, le décor, la mode… Je pense par exemple à Reif ou aux 3Fils (qui d’ailleurs sont eux aussi sans alcool), moi aussi je fonctionne comme ça : je respecte le produit, la qualité, mon équipe, des prix justes et bien évidemment mes clients. C’est un cercle vertueux, un autre modèle de réussite: moi je crois au travail. Un chef c’est un auteur, il ne doit pas avoir d’ego mais une identité oui, et cette identité elle se défend en se levant tout les matins avec l’envie de bien faire, l’envie de faire une cuisine dans laquelle on croit. J’ai cette chance là : je cuisine avec sincérité, sans tricher, je fais ce que j’aime. Et je n’ai pas honte de dire que mon ambition c’est d’être le numéro un, le premier restaurant français de Dubaï sans alcool, et le jour où j’aurai cette reconnaissance, où j’entendrai les gens dire “comment ils ont fait c’est dingue!”, alors je saurai que mon assiette elle l’a mérité toute seule sa médaille (rires)!

 

Votre Dubaï? Ce qui vous faire rêver, ce qui vous rend heureux ici?

 

Le soleil! Le soleil toute l’année… même si un peu moins cette année (rires) et puis aussi mes amis et mes équipes : de travailler avec des gens extraordinaires, venus des 4 coins du monde, qui eux aussi ont une éthique de travail,  qui ont envie d’apprendre, de bien faire. Et le fait de pouvoir travailler avec eux sans hiérarchie culturelle. Bien entendu il y a un savoir faire culinaire français qui est particulièrement sophistiqué et qui remonte historiquement loin dans le temps, mais culturellement on est tous égaux, et cette dynamique de travail là, elle est unique.

 

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Publié le 29 février 2020, mis à jour le 1 mars 2020

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